Ethel Hazel, sa thérapeute, décrypte les clef de perception du monde de Dubois l’architecte qui font de lui un redoutable tueur en série avec une appétence notable pour les blondes aux yeux bleus. Gloria l’architecte, que Dubois est allé rejoindre au Brésil, n’est pas encore menacée, du moins dans l’immédiat selon la police.
Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
Relire le prologue de la saison 7 (et le résumé des saisons précédentes)
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« La gourmandise dans le mensonge finit souvent pas suggérer la saveur réelle des choses ».
Jean Anthelme Brillat-Savarin
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Lundi, 5h00 (heure locale) – Florianopolis, Brésil
Dans les pages locales du Diário Catarinense, le quotidien de l’État de Santa Catarina, au Brésil, un bref article signé Bianca Bertoldi et titré : O mistério de Glória Da Silva e do discreto arquiteto francês (Le mystère Gloria Da Silva et le discret architecte français)
Foi uma matéria da Folha de São Paulo que nos alertou. Na verdade, você já deve ter ouvido falar da descoberta de um corpo no Arpoador, o famoso hotel 5* de São Paulo. Não é de surpreender que a polícia descubra um assassinato nesta cidade de 12 milhões de habitantes onde os crimes são diários. Porém, descobrimos que o Arpoador, que reabriu há poucos meses, foi totalmente reformado pela arquiteta florianense Glória da Silva – o projeto está visível em seu site – e confirmamos que ele estava no hotel quando o crime foi cometido, acompanhado deste arquiteto francês visto em Florianópolis. Provavelmente nada de incomum nisso, exceto que o corpo nu de Léonie Meunier, essa francesa de 45 anos que viajava sozinha pela região, foi encontrado aparentemente levado pelo mar a menos de 100 metros da casa de… Gloria da Silva, que já acolheu este arquitecto francês ainda não identificado. Coincidência? Procurado, um porta-voz da agência, localizada na R. Emílio Blum, 123 – loja 27, centro de Florianópolis, disse que Glória da Silva, principal arquiteta de um escritório classificado em 44º lugar no Brasil, tirou uma folga com um amigo francês e Não foi surpresa que ela lhe mostrasse o Arpoador, um dos “mais belos e mais recentes projetos” do escritório. Ainda assim, o corpo de Léonie Meunier foi repatriado para a França na sexta-feira por agentes consulares que se recusaram a comentar, assim como o consulado francês em São Paulo. Portanto, não saberemos mais sobre o mistério de Léonie Meunier. Porém, se você tiver mais informações, ligue para 48 4832-800. Discrição garantida. Recompensa por qualquer informação útil.
C’est un article du Folha de São Paulo qui nous a mis la puce à l’oreille. En effet, vous avez peut-être entendu parler de la découverte d’un corps à l’Arpoador, célèbre hôtel 5* de São Paulo. Rien d’étonnant pour la police de découvrir un meurtre dans cette ville de 12 millions d’habitants où les crimes sont quotidiens. Pour autant, nous avons découvert que l’Arpoador, qui n’a rouvert que depuis quelques mois, a été entièrement rénové par l’architecte de Florianopolis Gloria da Silva – que nous avons présentée à plusieurs reprises dans nos pages, le projet est visible sur son site – et nous avons confirmé qu’elle se trouvait à l’hôtel, accompagnée de cet architecte français aperçu à Florianopolis, le jour où le crime a été commis. Rien d’inhabituel à cela sans doute sinon que le corps nu de Léonie Meunier, cette Française de 45 ans qui voyageait seule dans la région, a été retrouvé apparemment rejeté par la mer à moins de 100 mètres de la maison de… Gloria da Silva, qui hébergeait déjà cet architecte français encore non identifié. Coïncidence ? Contactée, une porte-parole de l’agence, située R. Emílio Blum, 123 – loja 27 dans le centre-ville de Florianopolis, a fait savoir que Gloria da Silva, architecte principale d’une firme classée 44ème au Brésil, avait pris quelques congés avec un ami français et qu’il n’était pas étonnant qu’elle lui fasse visiter l’Arpoador, l’un « des plus beaux et plus récents projets » du cabinet. Nous avons essayé de joindre Gloria sans succès. Toujours est-il que le corps de Léonie Meunier a été rapatrié vers la France vendredi par des agents consulaires qui se sont refusés à tout commentaire, tout comme le Consulat français de São Paulo. Nous n’en saurons donc pas plus sur le mystère de Léonie Meunier. Pour autant, si vous avez plus d’informations, appelez au 48 4832-800. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
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Mardi 18h15, dans le bureau de Dr. Nut
Dr. Nut est content, troublé mais content. Heidi Lepelletier, un jeune flic nantais, vient de sortir de son bureau et Dr. Nut, depuis une semaine qu’il est là, a encore du mal à le cerner. Un beau brun, 26 ans, un grand sourire, la tchatche, qui s’est fait copain avec toute l’équipe en quelques jours. L’inspecteur était étonné de le voir arriver, rares sont les stagiaires à choisir son service, le 22, celui des personnes disparues, un puits sans fond d’affaires souvent plus tristes les unes que les autres. Mais lui a insisté pour le rejoindre. Alors Dr. Nut l’a mis sur l’Ukrainienne nouvelle arrivée à l’agence de Dubois l’architecte, une blonde aux yeux bleus comme les aime Dubois justement. Il n’avait pas mis le nouvel arrivant au courant de la véritable nature de Dubois, se disant que de toute façon il l’apprendra bien assez tôt, il lui avait simplement demandé de tenter d’en savoir plus sur l’Ukrainienne, ce qui permettait de le tester. Le résultat est spectaculaire et c’est ce qui trouble Dr. Nut. En quelques jours, Heidi lui a fait un rapport complet sur Oksana Shevchenko, une jeune architecte de Kharkiv, 25 ans, ayant trouvé refuge en France et du travail à l’agence Dubois. Il a glané tant de détails – date de naissance, nom des parents, elle a un frère médecin sur le front, une sœur infirmière à Kiev – que c’en est perturbant. Comment a-t-il fait si vite, jusqu’à savoir que c’est Dubois qui l’a embauchée avant de partir en voyage ? En fait il a traîné au Petit Balcon, le bistrot juste à côté de l’agence de Dubois et a facilement fait connaissance avec la jolie Oksana un peu esseulée dans la grande ville. Comment a-t-il pris toutes ces photos sans qu’elle s’en rende compte est un autre mystère. Dr. Nut se demande si la formation des flics s’est vraiment améliorée depuis le temps, son temps, ou si ce caractère qui a déboulé dans son service est une anomalie de la nature. Dr. Nut a vite compris que le jeune homme avait engagé la jeune femme, et plus puisqu’affinités apparemment. Et quand Heidi lui a expliqué qu’il pourra ainsi, si la relation avec Oksana devait durer, garder un œil sur Dubois, Dr. Nut comprit alors que le jeune flic avait déjà fait une grande partie du chemin pour comprendre pourquoi cette mission lui était confiée. Alors, après lui avoir montré les photos sur le mur, certaines déjà jaunies, Dr. Nut a donné une copie du dossier Dubois au jeune homme, l’invitant à le relire attentivement, avec l’espoir qu’il y verrait peut-être quelque chose ayant échappé à l’inspecteur. Songeur, le policier se dit, qu’après Aïda, son équipe et lui-même ont sans doute besoin de sang neuf… Pour autant, il n’est pas sûr de la méthode d’Heidi. Certes, un flic a le droit de sortir avec une architecte mais c’est limite question déontologie puisqu’il a dit à Oksana être étudiant et effectuer des recherches en affaires criminelles, ce qui n’est qu’un demi-mensonge. Mais bon, pour ce qui concerne Dubois, cela fait longtemps que Dr. Nut a franchi toutes les lignes rouges. Il ne peut cependant s’empêcher d’être inquiet. Quelles sont les intentions de Dubois avec la jeune Ukrainienne ? Comment réagira-t-il si, à son retour, il la trouve déjà maquée avec « un étudiant en affaires criminelles » ? Heidi doit comprendre que Dubois est dangereux !
(À suivre)
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Mercredi, 21h17, dans la cuisine d’Ethel
Ethel trouve finalement plus confortable de travailler de chez elle, de sa cuisine, que de travailler au bureau après y avoir reçu des patients toute la journée. Mais elle s’aperçoit qu’il lui est plus facile de rester concentrée quand elle est au bureau – après tout c’est d’un article scientifique qu’il s’agit – que quand elle est chez elle où son esprit vagabonde plus facilement quand elle pense à Dubois, l’autre jour par exemple, elle était tellement « émue » qu’elle s’est réfugiée dans sa chambre pour se masturber longuement en pensant à Dubois, le visage enfoui dans son oreiller. D’un autre côte, c’est cette expérience, assez nouvelle pour elle, qui lui a donné l’angle de son prochain chapitre.
SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
Gourmandise et nature morte
Maintenant que nous savons comment Dubois l’architecte tue ses victimes – en les étouffant de plaisir – la question est de savoir pourquoi il les garde. Nous savons que cela passe par le regard mais une seule victime ne lui semble pas suffisant puisque, avec le concours de l’inspecteur Nutello, j’ai pu en identifier au moins une dizaine. Il m’a parlé d’elles, toutes, au fil de nos séances mais il m’a fallu longtemps pour comprendre le sens de ses digressions architecturales. Ha que n’ai-je alors su être plus attentive ou plus sensible, les dernières victimes seraient encore vivantes…
Est-ce que je dois vraiment battre ma coulpe dans cet article ? D’ailleurs, aurais-je réellement pu les sauver ces femmes ? N’est-ce pas me donner plus de pouvoir que je n’en ai ? La preuve, quand il me parlait de ses victimes ou futures victimes, comme Géraldine, j’étais exaspérée car j’avais l’impression qu’il ne me parlait que d’architecture quand en réalité, il utilisait l’architecture pour me parler de lui et il m’a fallu des années pour le décrypter. Aurais-je pu aller plus vite ? Pourquoi ai-je cesser de communiquer avec Nut ? Parce que j’ai cru qu’il m’avait laissée tomber, voila la vérité alors qu’en vérité, il était retenu prisonnier par Dubois et n’en pouvait mais… J’ai été si injuste avec lui… et nous n’avons jamais su reconstruire le fil de notre relation. Et voilà, je m’égare à nouveau. Reprenons.
Leur nombre interroge, surtout si, comme je le crois, il les garde toutes, du moins celles dont il est question pour ce syndrome…
Mais que s’est-il passé pour Gina Rossi ? Pourquoi l’a-t-il ramenée chez elle à Turin ? Les collectionneurs se séparent rarement de leurs plus belles pièces et, pour les photos que m’a montrées Dr. Nut, Gina était une belle pièce. Manque-t-il de place ? Est-ce justement pour faire de la place à Gloria, comme dans les cimetières les plus vieilles tombes sont remplacées au profit de morts neufs ? Bref, reprenons…
Leur nombre interroge, surtout si, comme je le crois, il les garde toutes ou presque… Est-ce là avidité ? Gourmandise ? Une volonté compulsive de posséder toujours plus ?
– Citation : « Selon Épicure les désirs naturels sont nécessaires au bonheur ».
– Question : « Vous êtes sûr de votre citation ? ».
– Citation : « Je me souviens qu’Épicure avait classifié les six grands désirs qui animent les hommes. Voyons, il y a le désir de nourriture, soit la gourmandise ; le désir de la chair, la luxure et la concupiscence ; le désir de l’argent, la cupidité ; le désir du pouvoir, l’envie et… et… Ha, j’ai failli oublier, le désir des honneurs, c’est-à-dire l’orgueil, sans doute le désir le plus désiré des architectes !!! Vous noterez quand même que les désirs d’Épicure correspondent pratiquement aux péchés capitaux des chrétiens. Vous n’avez pas l’intention de me faire la morale n’est-ce pas ? D’autant que je mange peu, que je ne suis ni cupide ni désireux d’un quelconque pouvoir et, quant au désir de chair, j’aime finalement penser que je n’en use qu’avec circonspection ; pour autant, ce désir présente une permanence et c’est sa durabilité qui devient justement une sorte d’immortalité tant je n’ai ni le pouvoir de le réaliser jamais complètement ni celui d’y renoncer ».
De fait c’est lui qui met dans une même phrase la gourmandise, le désir de la chair, la luxure et la concupiscence comme si sa gourmandise était un mélange de tout ça. Pour autant, le gourmand a besoin de sucre rapide, pour une satisfaction immédiate. Or l’architecte Dubois aime le sucre lent : il peut passer des années à travailler sur un bâtiment pour le livrer exactement comme il le voulait et je sais qu’il est ainsi capable a travailler pendant des années, voire des décennies, à créer le mausolée qui lui apportera satisfaction à ses besoins profonds, ce qu’il appelle les « désirs naturels » nécessaires à son bonheur. De la même façon, il est capable de patienter des années avant de passer à l’acte sur une proie choisie. En attendant que sa « couche » soit prête ?
– Citation : « Le désir est toujours insatisfait, alors sa transformation en symbole, en totem ou en fantasme devient impérative, et le désir apparaît alors stylisé, ainsi en est-il de sa représentation, qui devient une nature morte en quelque sorte, de toute beauté, émouvante, sensible, inoubliable, presque comme un art premier. Dans un sens, cette stylisation du désir s’exprime aussi dans l’architecture, chaque bâtiment n’étant au fond pour son auteur rien d’autre qu’une nature morte à l’échelle 1, un désir presque abouti et finalement immobile ».
Il parlait d’architecture et de son métier mais était-ce vraiment le cas ? Et à quoi fait-il référence en évoquant un ouvrage dont l’objectif final est une « nature morte ». Gérard Wajcman, écrivain et psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association mondiale de Psychanalyse, s’est penché sur l’objet nature morte dans son ouvrage Ni nature, ni morte. Les vies de la nature morte. Je me permets ici de le citer. « On dit « natures mortes ». Ce nom après tout est plutôt joli, mais il est nul. La nature morte ne raconte pas des histoires de nature, elle raconte l’histoire des corps. Pourtant le corps est absent, le grand absent de la nature morte. Pas de nature morte avec des corps, par définition. Alors ? La nature morte raconte le corps parce qu’elle raconte l’histoire des objets qui font jouir le corps, autant dire qui le font vivre. Parce que la vie, c’est le corps qui jouit. Un art de la vie matérielle. Ni nature ni mort, voilà la nature morte. La nature morte raconte la vie du corps vivant. En un mot, la nature morte, c’est la vie ».
La nature morte de l’architecte Dubois, ou plutôt les natures mortes architecturales de l’architecte Dubois ne sont-elles pas toutes vouées à raconter l’histoire d’objets qui font jouir le corps, qui le font vivre ? Un art de la vie matérielle ? Ce pourrait être une définition de l’architecture. De fait, pour en revenir au syndrome de la Belle au bois dormant de Dubois, se souvenir que plutôt que nature morte, les Anglo-Saxons utilisent l’expression ‘still life’ que nous pourrions traduire par « vie silencieuse », et c’est sans doute ici la définition qui prévaut pour Dubois.
(À suivre)
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Jeudi 8h15, dans le bureau de Dr. Nut
Dr. Nut est énervé. Il a commencé la journée de bonne heure dans le bureau du chef pour faire le point après les appels de la presse du Brésil et de l’Italie. Pour l’instant les journalistes ne savent presque rien de Dubois, encore moins qu’il est un tueur en série. Alors ils ont décidé que la totale discrétion de Dubois pouvait ici les servir et, en conséquence, de faire profil bas. Non, nous ne savons rien de ces meurtres au Brésil, non nous ne savons rien de Gina Rossi en Italie, non, nous ne savons rien de Dubois et il n’est suspect en rien dans nos papiers. Dr. Nut a fait passer le message à son équipe mais il sait que ce n’est qu’une question de temps que la presse sente l’odeur du sang. Il a vu qu’un magazine italien à scandales avait déjà fait le portrait de Gina en extraterrestre ! Pour vendre du papier, les journalistes se posent là. S’il n’y avait qu’eux, pense-t-il amèrement. Son équipe est au taquet, c’est ce qu’il a dit au chef ce matin, pas seulement parce que les disparitions ne cessent jamais mais parce qu’aujourd’hui il faut travailler non seulement sous la pression des familles criant au scandale, d’autant plus fort que c’est là que nous cherchons en premier, mais aussi désormais sous la pression des réseaux sociaux – hier encore, Jean, un gars expérimenté de son équipe, calme et à l’aise à l’oral, a du répondre en conférence de presse à une journaliste d’un magazine people à la question de savoir pourquoi nous n’avons pas de sourcier dans l’équipe… – et c’est sans compter les charlatans, Jean expliquant à la même conférence que non, la famille n’a pas demandé de cagnotte et si vous ne voulez pas voir vos dons transférés dans un pays exotique, faites un don à une association d’orphelins. Et puis encore les enquêteurs amateurs qui vous saoulent d’informations qu’il vous faut vérifier, parmi eux, de fameux sourciers et des rois mages et tout ce que la terre porte de tarés. Pas étonnant que le baveux à sensations italien vende des milliers d’exemplaires. Évidemment que Gina est une extraterrestre ! Non, c’est Dubois qui est un extraterrestre, se dit Dr. Nut, énervé.
(À suivre)
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Jeudi, 8h09 (heure de São Paulo), 13h09 (heure de Paris)
Aïda patiente au milieu de la file de touristes qui attend avec elle sur le quai en pierre du port de Paraty. Autour d’elle le village est déjà bien réveillé, et les pêcheurs tentent d’accoster les touristes pour leur proposer des ballades à la découverte des plus belles merveilles de la région à bord de leurs bateaux plus colorées les uns que les autres.
Elle a quitté Thiago il y a quelques minutes et elle ne va pas tarder à monter à bord d’une navette direction Ilha Grande. Elle regarde sa montre, elle a juste le temps de passer un coup de fil à Dr. Nut.
– Allo Patron, vous m’entendez ?
– Oui, bonjour Aïda, je vous entends, vous allez bien ?
– Oui, je vous appelle rapidement pour vous tenir au courant, je suis sur un embarcadère, j’ai un speedboat qui part dans 10 minutes direction Ilha Grande. Il semblerait que Dubois et Gloria y sont depuis hier soir. C’est une île au large de l’État de Rio, à une soixantaine de km d’ici.
– Ok, il y a du nouveau donc !
– Oui ! Beaucoup ! On a passé presque une semaine à Paraty. Un peu trop longtemps d’ailleurs ! Je vous l’expliquais, on a eu aucun souci cette fois pour surveiller Dubois et Gloria puisqu’ils ont passé toutes leurs soirées au fameux restaurant gastronomique réhabilité et décoré par Gloria. C’était en quelque sorte leur cantine pour leur séjour à Paraty. Une aubaine pour nous, qui, comme je vous l’ai dit dans mon email, avions une visibilité permanente sur leurs soirées depuis le balcon de l’auberge. Nous sommes même allés y déjeuner. C’est bon et pas très cher considérant le décor.
La première fois qu’elle les a vus arriver de l’angle de la rue marchant main dans la main en direction du restaurant, Aïda a eu du mal à ne pas crier sa joie. Elle les regarda avec une vraie curiosité bien qu’elle s’en veuille immédiatement de cette curiosité. Il lui fallait rester concentrée. Gloria portait une robe fluide aux imprimés colorés, une paire de boucles d’oreille dorées démesurées et de jolies tongs assorties. Aïda fut surprise par son pas assuré et son allure chic faussement décontractée. Son look était travaillé. Même à cette distance Aïda n’avait pas de doute : c’était une très belle femme qui savait de surcroît se mettre en valeur. Dubois à côté était plus sobre, un short en jean et une chemise bleu ciel, il paraissait bien discret à côté d’elle mais plus bel homme qu’Aïda ne l’imaginait. Ensemble, ils formaient presque un beau couple, se dit-elle.
– C’est donc avec beaucoup de facilité en les observant tous les jours qu’on a réussi à les loger et observer leur quotidien. (Piscine de leur hôtel, bateau, plage, restau – la belle vie pensait Aïda en les regardant.) En parallèle, j’ai continué mes recherches sur Gloria, ses projets et son agence. Et j’ai fait une nouvelle découverte bien intéressante ! Elle publie sur le compte Instagram de l’agence un peu de sa vie privée : des photos d’elle posant dans son restau avec le chef, des photos en maillot de bain dans la piscine du rooftop de l’Arpoador à São Paulo, bref elle publie sa vie privée façon « architecte-influenceuse ». Si vous voulez vous dépayser un peu je vous conseille d’y faire un tour : c’est luxe et opulence.
– C’est peut-être comme ça que l’a trouvée Dubois, souligne Dr. Nut.
– C’est possible, parce qu’elle ne se cache pas. Elle poste de temps en temps des storys, ce qui nous permet d’ailleurs de deviner leur programme. Bref, on les a donc observés de près et de loin toute la semaine ! Mais ça, c’est la seule bonne nouvelle…
– Ah…, soupire Dr. Nut.
– Oui le problème, c’est que Paraty est un tout petit village. Son centre historique est composé d’à peine quelques rues pavées et de jolies maisons blanches aux portes et fenêtres colorées. Mais les activités autres que le farniente y restent très limitées : quelques restaurants, quelques boutiques, un petit port de pêche. On a très vite tourné en rond ! Alors forcément nous avons fini par les croiser, une fois, totalement par hasard. Et j’ai bien peur que nous ne soyons pas passés inaperçus.
– C’est-à-dire ? demande Dr. Nut, aussitôt inquiet.
– Eh bien Thiago n’est pas le plus discret ! 1,95 m, crâne rasé, ses bras débordent de son T-Shirt, bref le genre de gars que tout le monde regarde du coin de l’œil quand il passe dans la rue. Entre un flic en civil ou un bodybuilder, le cœur des passants hésitent, alors pourquoi pas celui de Dubois? Et puis ni lui ni moi n’avons le look d’un couple de touristes en vacances alors comment expliquer notre présence dans ce village, qui n’est autre que le lieu de villégiature des Paulistas et des Cariocas ? Je ne sais si Dubois a des doutes sur notre vraie nature mais, en tout cas, une chose est sûre : si on les recroise ailleurs ils nous reconnaîtront, ils reconnaîtront Thiago au moins !
– Merde ! s’exclame Dr. Nut pensif ; il était à la fois rassuré qu’Aïda soit en sécurité auprès de Thiago et contrarié de la situation.
– Je ne vous le fais pas dire ! Quant à moi j’avais les cheveux tirés et de grandes lunettes de soleil, rien qui attire le regard parmi toutes ces brésiliennes et j’ai évité de croiser leur regard en tombant sur eux. Mais bon, Thiago… On va devoir être stratèges et redoubler d’effort pour être encore plus discret. On a donc décidé que je parte toute seule à Ilha Grande.
– Pardon ? s’écrie Dr Nut.
– Oui, et on n’a pas le choix. On a retrouvé hier soir une femme pendue dans son magasin de souvenirs. On n’a pas eu besoin d’être alertés par la police locale, ça a fait un tel ramdam dans le village, on ne pouvait pas passer à côté. La nuit a été courte pour tout le monde, les habitants sont choqués, tous la connaissaient. Maria Aparecida Silva, c’est son nom, 64 ans. Les cheveux blancs mais ils ont dû être blonds. Certains pensent que c’est un suicide, il paraîtrait qu’elle avait perdu l’année dernière son mari et que depuis elle n’avait plus trop goût à la vie. Sauf que pour le moment on n’a pas plus d’explications et toujours Dubois dans les parages, ce qui commence à énerver Thiago d’ailleurs. Il a depuis surnommé Dubois Landru !
– Il connaît Landru ? s’étonne le policier.
– Oui, toute la semaine il s’est passionné pour les tueurs en série français. Landru, Guy Georges, Fourniret, Gilles de Rais, toute la bande.
– Bon, mais vous me dites que Dubois, et Gloria je présume, sont sur une île à soixante bornes au milieu de la mer depuis hier soir, c’est ça ?
– Oui, on a toujours quelques heures de décalage, j’ai l’impression que c’est la même histoire qui se répète ! Une femme meurt et Dubois, comme par hasard, n’est déjà plus là. Cela ne peut pas être qu’une succession de coïncidences… Il y a forcément quelque chose qui nous échappe. C’est pourquoi Thiago retourne à Piscinas naturais do Cachadaço, là où nous étions il y a quelques jours, pour essayer de déceler ce qui nous aurait échappé dans le décès d’Isabella da Rocinha, le féminicide dont je vous ai parlé mais qui se retrouve lui aussi comme par hasard dans le sillage de Dubois. Quant à moi je pars dans quelques minutes vers Ilha Grande.
– Compris. Quelque chose m’échappe : comment savez-vous qu’ils sont partis sur cette île ? Vous êtes sûre qu’il n’est pas encore dans le village ?
– Grâce aux stories instagram de Gloria ! Une photo postée hier soir avec un coucher de soleil vue d’un voilier avec comme légende « en direction d’Ilha Grande ». Elle nous facilite la tâche.
– Justement, un peu trop peut-être, répond Dr. Nut avec une pointe d’inquiétude dans la voix. Après tout elle peut aussi vous lancer dans une chasse au dahu. Poste-t-elle des photos de Dubois ?
– Non jamais. Tiens, vous avez raison, je n’avais fait gaffe, du coup on ne sait pas si elle est seule ou avec lui…
– En tout état de cause, la méfiance est de rigueur. Vous pensez que Gloria pourrait être sa complice ?
– Écoutez…, hésite Aïda, confuse. Elle m’a l’air OK : elle a son agence, son hobby instagram, de l’argent, du respect, elle est belle femme, pourquoi s’embarquerait-elle en pleine conscience dans une aventure criminelle pareille ?
– Oui pourquoi en effet ? soupire le policier sans préciser qu’il connaît une femme, Ethel Hazel, qui a déjà plongé pour ce type.
– Bon patron, je dois vous laisser, on embarque.
– Ok Aïda, mais vous me faites signe régulièrement, je ne suis vraiment pas tranquille à l’idée de vous savoir seule sur la piste de Dubois. On ne vous a pas formée pour ça dans votre laboratoire textile.
– Non certes, dit Aïda en riant trop fort, l’évocation de son laboratoire évoquant des souvenirs qui n’ont plus rien à voir avec sa vie actuelle. Je dois y aller. Ça va le faire mais je voulais quand même vous prévenir.
– Merci Aïda, prenez soin de vous. Au fait, avant de raccrocher : avez-vous vu la presse tourner autour de Dubois ou Gloria ?
– Non, pas encore. Je fais attention, aucun journaliste sur sa piste, pour l’instant. Ils ne m’auraient pas échappé à Paraty. Pas de flic non plus à part Thiago et moi.
– Ok, merci, à bientôt Aïda.
– À bientôt patron.
Clic
(À suivre)
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Vendredi, 5h00 (heure locale) – Turin, Italie
Dans les pages locales de La Stampa, principal journal de Turin, à la rubrique Faits divers, une correction signée Lorenzo Antonetti et titrée : L’architetto Dubois è l’ultimo a vedere Gina viva? (L’architecte Dubois le dernier à avoir vu Gina vivante ?)
Mia colpa! Nell’ambito della nostra indagine sulla strana scomparsa di Gina Rossi, abbiamo commesso un errore nel nostro articolo di sabato scorso. Per la cronaca, il corpo, apparentemente mirabilmente conservato, di Gina Rossi, una bella donna bionda con gli occhi azzurri, nata a Torino il 10 agosto 1991 e di professione architetto, è stato ritrovato sull’altare della chiesa di San Tommaso, in via Monte di Pietà, a Torino nell’agosto 2022. In realtà è scomparsa a Parigi nel 2018. Come è arrivata a Torino? E perché il suo corpo è così ben conservato? Abbiamo scoperto il suo ultimo indirizzo conosciuto a Parigi, ma nel nostro articolo precedente avevamo indicato per errore che l’ultimo datore di lavoro di Gina, di professione architetto, era l’agenzia gestita da Madeleine Dupont. Non è esattamente così. In effetti, da allora abbiamo appreso che Madeleine Dupont era allora associata all’architetto Dubois. Da allora, i due partner si sono separati in seguito a un divorzio e l’architetto Dubois, la cui agenzia si trova in rue du Liban a Parigi, nel ventesimo arrondissement, potrebbe essere l’ultimo ad aver visto Gina viva. Abbiamo contattato l’agenzia Dubois&MOI dove un certo signor Franck Trangin, che lavora presso l’agenzia da molto tempo, ha gentilmente accettato di rispondere alle nostre domande. Sì, ricorda bene Gina Rossi, “un bravissimo architetto, amato da tutti”, dice. Sì, ha confermato, ha lasciato l’agenzia Dupont&Dubois nel dicembre 2018, per, a memoria, ha detto, un viaggio in Sud America. No, per quanto ne sa, non è stata licenziata. Non sa altro sui motivi della partenza di Gina ed è rimasto sorpreso e rattristato nell’apprendere della sua morte. Per quanto riguarda lo stesso architetto Dubois, il signor Trangin ha spiegato che attualmente è in viaggio d’affari in Brasile e al momento non è raggiungibile. Senza dubbio ne sapremo di più non appena tornerà. Nel frattempo, se avete qualche informazione su questa misteriosa vicenda chiamate il giornale allo 0116568304. Discrezione assicurata. Premio per qualsiasi informazione utile.
Mea culpa ! Dans le cadre de notre enquête à propos de l’étrange disparition de Gina Rossi, nous avons dans notre article daté de samedi dernier commis une erreur. Pour mémoire, le corps, apparemment admirablement préservé de Gina Rossi, jolie femme blonde aux yeux bleus, née à Turin le 10 août 1991 et architecte de son état, a été retrouvé sur l’autel de l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà, à Turin en août 2022. Elle a en réalité disparu à Paris en 2018. Comment est-elle revenue à Turin ? Et pourquoi son corps est-il si bien préservé ? Nous avons bien découvert à Paris sa dernière adresse connue mais nous avons indiqué par erreur dans notre article précédent que le dernier employeur de Gina, architecte de son état, était Madeleine Dupont, fondatrice de son agence d’architecture Dupont&Dupont. Ce n’est pas exactement le cas. En effet, nous avons appris depuis que Madeleine Dupont était alors associée à Dubois l’architecte au sein de l’agence Dupont&Dubois. Depuis les deux associés se sont séparés à l’issue d’un divorce et l’architecte Dubois, dont la nouvelle agence Dubois&MOI est située rue du Liban à Paris dans le vingtième arrondissement, pourrait bien être le dernier à avoir vu Gina vivante. Nous avons contacté son agence où un certain M. Franck Trangin, qui travaille de longue date avec Dubois, a accepté de bonne grâce de répondre à nos questions. Oui, il se souvient bien de Gina Rossi, « une très bonne architecte, aimée de tous », dit-il. Oui, a-t-il confirmé, elle a quitté l’agence Dupont&Dubois en décembre 2018, pour, de mémoire dit-il, un voyage en Amérique du Sud. Non, à sa connaissance, elle n’a pas été licenciée. Il n’en sait pas plus sur les raisons du départ de Gina et fut surpris et attristé d’apprendre son décès. Quant à l’architecte Dubois lui-même, M. Trangin a expliqué qu’il est actuellement en voyage d’affaires au Brésil et injoignable pour le moment. Sans doute en saurons-nous plus dès son retour. D’ici-là, Si vous disposez d’informations au sujet de cette affaire mystérieuse, appelez le journal au 0116568304. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* En librairie L’architecte en garde à vue
* En librairie, Le fantôme de Gina
Retrouver tous les épisodes de la saison 7 (Le syndrome de la Belle au bois dormant)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 6 (Le Fantôme de Gina)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 5 (L’architecte en garde à vue)
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