En évoquant la renaissance de Notre-Dame de Paris, la presse, de façon unanime, a parlé du « Grand Projet du Siècle ». Y en aura-t-il d’autres ? Ne voulant pas me résigner à cette idée, je me demandais quel pourrait être un nouveau grand projet, support d’une ambition, d’une audace.
Le phénix est un oiseau mythique qui a le pouvoir de renaître de ses cendres. Après Notre-Dame, ce sera Los Angeles… Mayotte…
Après l’incendie de la cathédrale, les architectes se sont précipités dans un concours spontané de flèches : en verre, en acier, en titanium, en bois, en Ductal, en béton… elle sera reconstruite à l’identique.
À quelque chose malheur est bon ! Pendant ce temps-là, je rêvais d’un projet qui engagerait l’avenir de l’architecture, une réflexion sur la ville. Pas un projet monté à la va-vite, dans l’urgence, pas un projet bricolé, mais un vrai projet qui ferait sens.
Le voilà, apporté sur un plateau.
Il s’agit d’un drame qui s’est déroulé il y a quelques semaines dans l’hémisphère sud mais dont on ne parle déjà plus. Ainsi va l’information. Dix ans pour mener à bien un projet, dix jours pour en parler. Le cyclone Chido a donc dévasté Mayotte, un archipel de 380 km², soit une surface correspond à 1/25ème de la Corse (8 722 km²). Pour donner la mesure de la tâche, il faut savoir que la population, sur ce confetti situé à l’entrée du canal du Mozambique, est d’environ 20 % supérieure à celle de l’île de Beauté. Pour prendre la mesure du problème, il faut imaginer que la Corse doive accueillir 8 000 000 d’habitants au lieu des 360 000 recensés en 2024.
Dès le premier abord se pose la question de la constructibilité de ce territoire volcanique. Les images nous ont fait appréhender l’ampleur des dégâts : impossible de rester insensible, impossible de ne pas s’interroger une fois encore sur ce qui s’annonce comme un gigantesque défi à relever. L’urgence est là, il faudra des années pour effacer ce traumatisme. Ce coup de projecteur nous a obligés à nous replonger dans les cartes du monde pour découvrir cet archipel perdu entre l’Afrique de l’Est, la Tanzanie et Madagascar, mais situé à une latitude de rêve. L’insularité fait rêver. Probablement la part d’exotisme, l’idée d’un éloignement de la civilisation, l’espoir d’une sauvagerie retrouvée ou l’illusion de ce que l’utopie y serait possible, du moins depuis Platon, jusqu’à Thomas More.
Après le passage d’un cyclone meurtrier et dévastateur, à Mayotte c’est l’histoire qui doit se réécrire. Faire renaître l’espoir d’un cadre de vie possible. Les dégâts sont tels qu’il faut un moment pour reprendre ses esprits et préparer l’avenir. En même temps, il faut aller très vite pour mettre la population à l’abri et éviter la reconstitution des bidonvilles, constructions anarchiques et précaires.
Comment transformer rapidement ces territoires et que la population puisse y vivre dignement ?
S’il a fallu deux cents ans pour construire Notre-Dame de Paris, le chantier de reconstruction, après l’incendie, en cinq années est un tour de force. Combien faudra-t-il d’années pour panser les plaies après une catastrophe ? Pour Mayotte, deux ans c’est peu, c’est mal connaître la situation quand le problème majeur est la surpopulation. Dans les années soixante-dix, la population sur l’île était de 25 000 habitants, elle a été multipliée par 20 y compris l’immigration illégale. C’est évidemment l’origine de la difficulté en matière d’équipements publics, de logements, de viabilisation, de production d’énergie, d’approvisionnement en eau potable. Autant de sujets qui pourraient paraître surmontables s’il existait un établissement public chargé de la reconstruction avec, à sa tête, un général pour assurer la maîtrise d’ouvrage.
L’urgence serait de mettre à l’abri la population sinistrée et de bien s’assurer que l’expérience des « logements millions », ceux de l’Abbé Pierre, ne se reproduira pas. Prévus pour ne durer que quelques années, ils se sont pérennisés sur des décennies.
Les architectes, les entreprises, sont déjà dans les starting blocs !
Il faudrait avant tout élaborer un plan général d’aménagement, faire le choix des secteurs, objets de constructions pérennes, définir une stratégie de viabilisation, choisir les techniques de construction à mettre en œuvre… Somme toute, rien de grandiose, juste y mettre davantage de panache.
À situation exceptionnelle, réponses exceptionnelles.
Les demandes de dérogations sont déjà sur les bureaux des ministères, mais pour quel projet ?
Des idées oui, mais lesquelles ? L’occasion est trop belle pour la laisser passer.
Il faut rêver : toutes les solutions de tentes, de constructions d’urgence en carton seraient envisagées. Shigeru Ban, spécialiste des mégalopoles surpeuplées, est prêt.
On peut aussi deviner que Jacques Rougerie, visionnaire des habitats marins, va adapter sa ville sous-marine au lagon ou au-delà de la barrière de coraux en ajustant le tirant d’eau. Dominique Perrault pourrait aussi envisager des quartiers troglodytes pour tenir les coteaux, tout en répondant à l’attente des écologistes en matière de réduction de l’artificialisation des sols. Des solutions de même nature avaient déjà été envisagées par Eugène Hénard puis Edouard Utudjian (architecte de l’urbanisme souterrain). Les ateliers Jean Nouvel, associés à Maximiliano Fuksas, sentant que le projet Neom (un trait de 170 km dans le désert) risque de se réduire à sa plus simple expression, pourraient élaborer un dôme géodésique pour mettre l’île à l’abri des cyclones. Norman Foster, jamais en retard, testerait son double mur en miroir encadrant un ensemble d’autoconstruction afin de développer une démarche participative. Christian de Porzamparc, plus modestement et plus justement, recyclerait l’îlot ouvert en l’adaptant aux conditions climatiques. Quant à Franck Gehry, je me suis laissé dire qu’il travaillait à la conception d’un musée pour rendre l’île attractive. Philippe Prost, récemment croisé, un peu dépité, envisage un atoll intérieur, sorte d’ellipse sur pilotis articulés, flottante sur l’île, et qui mettrait les habitants à l’abri d’un éventuel tsunami. Une belle idée sur le plan formel. Et Renzo Piano alors, lui qui a l’habitude de la construction en zone tropicale, sismique et cyclonique ? J’ai compris qu’il n’avait pas l’intention d’avancer sans contrat. Le plus surprenant est une équipe d’architectes russes, conduite par Jean-Michel Wilmotte, qui propose une réplique de Matmata, cette ville qui s’abrite de la chaleur sous terre, une certaine parenté avec Dominique Perrault, l’un créant des tunnels l’autre des puits. Odile Decq, en souriant, m’a dit « dommage que Kenzo Tange soit mort, c’était une occasion rêvée pour réaliser sa ville flottante et la laisser dériver ».
Je me méfie des fake news et avant d’aller plus loin, j’irai vérifier la vérité des différents projets. Le général, lui, aura bien du mal à choisir !
Qui sera l’ordonnateur de ces belles idées ?
Je pense à Louis XV répondant à Monsieur de Marigny qui, pour la place devenue Place de la Concorde, ne savait pas quel projet choisir, tant les architectes s’étaient investis. Le roi lui a dit : « Prenez ce qu’il y a de mieux dans chacune des propositions et faite réaliser l’ensemble par Monsieur Gabriel ».
Je me suis laissé dire qu’une équipe franco chinoise était sur les rangs, alors tous les espoirs sont permis !
Les architectes de l’urgence sont prêts à se lancer dans la compétition, de même les spécialistes des catastrophes naturelles. Oubliant l’impossibilité de prévoir les éruptions volcaniques, les tsunamis, les cyclones, ils viendront expliquer qu’il ne fallait pas construire Pompéi à proximité du Vésuve ou Volubilis au pied du Zerhoun.
L’avenir s’annonce radieux mais il ne faudra pas construire en bordure des ravines pour éviter les glissements de terrain et les inondations !
Tous ces projets font rêver et nous en avons le plus grand besoin ! Une fois encore l’utopie est là pour montrer que rien ne changera, un miroir aux alouettes.
Pourquoi les bidonvilles sont construits sur les pentes raides des collines proches de Mamoutzou ? La réponse à cette question risque de mettre à terre toutes les réflexions brillantes ! En effet, les terrains plats sur la zone côtière sont pour l’essentiel d’anciennes mangroves qui rendent les fondations extrêmement difficiles pour des habitats à rez-de-chaussée. Et l’essentiel des zones construites se trouve sur des hauteurs, ce qui nécessite des travaux de terrassements longs et coûteux. À la surpopulation s’ajoute l’impossibilité de construire durablement. C’est la quadrature du cercle. Il faudrait prendre rapidement en considération ces données pour envisager de reconstruire, de façon durable, des logements adaptés aux conditions climatiques, la réalisation de 50 000 logements. Cela signifie une surface à aménager de l’ordre de 600 à 1 000 hectares, y compris les services et équipements publics. L’urgence consiste à mettre à l’abri une population estimée à plus de 200 000 habitants.
Il me vient à l’esprit l’image de Valparaiso, dernière escale avant la traversée du Pacifique, ses constructions en amphithéâtre : tenir les terres par des drains surdimensionnés, réduire les terrassements a minima après un compactage général, envisager la réalisation d’une vingtaine de funiculaires. Avec le Machu Pichu on peut aussi rêver à de la ville en terrasses, on peut penser à Gênes, Alger, Epidaure, Ségeste ou Taormine.
Il faudra avant tout localiser les « campements provisoires » sur les terrains plats non constructibles et s’assurer qu’ils resteront provisoires…
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
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