Le Président de la République, ex-Vulcain ex-Jupiter*, viré de l’Olympe et redevenu Héphaïstos – c’était écrit – se gargarise de la reconstruction en cinq ans de la toiture endommagée de la cathédrale Notre-Dame de Paris et de la reconstruction à l’identique de la flèche : coût de recherche & développement égale zéro.
Cela dit, avec un tel trésor d’argent privé de plus de 800 M€ littéralement tombés du ciel grâce aux vertus de gens pieux, avec en sus une loi spéciale autorisant de s’affranchir de nombre de contraintes administratives, « notamment en matière d’attribution des marchés publics » (Public Sénat) et habilitant le gouvernement à agir par ordonnances sans souci d’urbanisme et sans évaluation préalable de l’impact environnemental, même ma petite sœur aurait pu construire dans ces délais une cathédrale sur Mars.
Voyons, avec un budget équivalent, le CHU de Nantes, dont le projet a été acté en 2016, n’est toujours pas achevé, et de loin. Il apparaît donc que pour construire un hôpital avec de l’argent public dans le cadre du droit commun c’est d’une autre temporalité qu’il s’agit. Autant pour l’auto-congratulation de l’ex, élu en 2017… Ce qui illustre un choix de société : des dizaines de milliers de gens peuvent attendre de se faire soigner quand il faut rendre grâce à des illuminés de masse, comme il y a un tourisme de masse. Pour l’hôpital, pas de loi spéciale et, plus généralement concernant les services publics, guère de générosité fiscale des dévots d’influence.
Autre loi spéciale, celle prévue pour Mayotte, débattue à l’Assemblée nationale ce lundi 20 janvier 2025 à l’heure d’écrire ces lignes. Malgré la catastrophe monumentale du cyclone qui a dévasté le 101ème département français, depuis 2003, et le plus pauvre, pas non plus d’élan de générosité des bonnes âmes richissimes françaises à coups de centaines de millions m’as-tu vu… À Mayotte, peut-être eut-il fallu pour les dévastés qu’ils soient chrétiens de souche, surtout fondamentalistes et sectaires, et l’argent aurait coulé à flots pour la reconstruction, toutes les flèches des églises y compris ! Mais nul Te Deum pour ces gamins qui, sans papiers et donc sans existence statistique ne peuvent pas mourir puisqu’ils sont allés directement sur les ailes de Chido rejoindre Dorothée au pays d’Oz.
Toutefois, le sujet est ailleurs. La loi d’exception utilisée pour Notre-Dame est peu ou prou la même que celle prévue pour Mayotte. Soit (on recommence) : s’affranchir de nombre de contraintes administratives, dont celles liées à l’urbanisme et au foncier, ainsi que celles « notamment en matière d’attribution des marchés publics », et l’habilitation pour le gouvernement à agir par ordonnances pour organiser les travaux, ce sans évaluation préalable de l’impact environnemental. Et puisqu’il s’agit cette fois d’argent public – de 4 à 5 milliards d’euros, soit environ cinq Notre-Dame ou cinq CHU de Nantes – il est permis de compter sur l’efficacité légendaire de l’État. « Mayotte Debout » en deux ans, selon les vœux de François Bayrou Premier ministre ? Heureusement que la nature n ’a pas peur du vide : chaleur et saison des pluies, humidité à 80 %, les bananiers sont déjà de retour…
Plus largement, le problème est que, les catastrophes se multipliant, le recours aux lois spéciales et « urgentes » va finir par faire tomber l’exception dans le droit commun. Comme pour les conceptions-réalisations par exemple, exceptions devenues pérennes et ayant transformé la commande architecturale dans le pays. C’est vrai quoi, à l’heure des méga feux, des méga inondations, des méga cyclones, qui tient vraiment à se préoccuper des normes environnementales, parmi d’autres, et autres règles, « notamment en matière d’attribution des marchés publics » ?
À ce compte-là, bientôt une loi spéciale pour chaque catastrophe non naturelle ? Une loi spéciale pour sauver l’agriculture intensive ? Pour soutenir l’industrie chimique ? Pour faire renaître le Concorde à l’identique ? Il y aura bientôt tellement de lois « spéciales » qui simplifient la vie et évitent de prendre des décisions politiques difficiles qu’il faudra les numéroter comme un contrat d’assurance ou les nommer comme les ouragans pour les reconnaître. Et vu que les catastrophes peuvent désormais apparaître n’importe où n’importe quand, pas un seul mètre carré du territoire n’est plus susceptible d’échapper à une loi spéciale et à un urbanisme spécial avec des appels d’offres spéciaux ! Et vive l’architecture !
De Shigeru Ban à MVRDV en passant pas plein d’autres hommes et femmes de l’art dans le monde entier, ce ne sont pourtant pas les propositions des architectes qui manquent pour tenter de mettre tout ce monde-là à l’abri des éléments. Pour autant, à chaque nouvelle catastrophe, quelle que soit la partie du monde concernée, les autorités semblent toujours parfaitement désemparées, du genre « qui aurait pu prévoir » comme se désolait Héphaïstos ex-Vulcain ex-Jupiter. Ce n’est donc pas mauvaise volonté des architectes mais les tentes colorées qui font le Paris pittoresque sont encore la solution la plus disponible, et encore. Se souvenir que l’une des toutes premières utilisations de containers en tant qu’habitat temporaire fut utilisée en Arménie suite au tremblement de terre de 1988. Habitat tellement temporaire que des enfants y ont grandi et y sont devenus adultes. Le temporaire qui dure, une option que la France n’a jamais négligée. En attendant, les bidonvilles de Mayotte sont déjà reconstruits, rebricolés plutôt. Rares sont en effet leurs habitants restés assis sous la pluie à attendre du ciel ou de la mère patrie une nouvelle adresse postale.
Une loi tellement spéciale donc que la pression est grande qu’elle ne remette bientôt en cause le droit du sol, un principe pourtant intangible depuis 1889 et notion apparue dans notre pays dès le XIVe siècle dans un édit royal. Pour les Français de souche, une telle tradition multiséculaire devrait inspirer le respect. Cette remise en cause du droit commun sous prétexte d’urgence apparaît donc en l’occurrence comme la porte ouverte à d’autres remises en cause qui vont bien au-delà de l’urbanisme et de la question de savoir comment reconstruire Mayotte.
L’immigration illégale à Mayotte, venue principalement des Comores, est un élément fondamental de l’équation concernant le futur de l’île, aux ressources limitées. Nonobstant les opérations coup de poing d’opérette et la déroute des moyens de contrôle de l’État, pulvérisés par le cyclone – plus de radar, plus de vedettes de gendarmerie coulées par le fond – ayant permis à autant de migrants de rejoindre ses côtes qu’il y a eu de disparus, il est sans doute une autre façon de faire face à cette « invasion », puisque un tiers de la population serait illégale.
Aux Comores, la population était en 2023 officiellement de 852 075 âmes (moins sans doute tous ceux qui ont profité du désarroi de la France pour traverser les 70 km séparant les deux pays). Il n’empêche, toute la population des Comores ne veut pas émigrer. Voyons, même si la moitié des Comoriens partait pour rejoindre Mayotte puis la Réunion puis la métropole en voyage organisé – soit environ 400 000 personnes – cela ne fait jamais que l’addition des populations des seuls XVe et XXe arrondissements de Paris. En somme, par rapport à la population française, qui compte 66 351 959 habitants (Insee 2025), accueillir « toute la misère » des Comores – et là on parle de la moitié de la population d’un pays… – ne représenterait pour la France métropolitaine qu’une augmentation de la population de… 0,6 %. À l’heure de la crise de la natalité et du vieillissement de la population, c’est cadeau pour la croissance et le financement des retraites ! L’Insee s’en apercevrait à peine.
D’ailleurs le pape lui-même, à Marseille en septembre 2023,** a dénoncé le « tragique rejet de la vie humaine, qui est aujourd’hui refusée à nombre de personnes qui émigrent ». Tous les fiers donateurs de Notre-Dame, à force de se tâter depuis ce discours, seraient-ils devenus sourds ?
Autrement dit, il y a moyen de transformer un problème pour Mayotte en atout pour la France. C’est exactement la raison pour laquelle il faut à Mayotte des équipements publics, des écoles et centres de formation, entre autres ; on ne naît pas artisans ou clerc ou conducteur de travaux mais on peut le devenir. Plus que tout, les Mahorais, d’hier ou de demain, ont besoin de développer des savoir-faire et une intelligence du lieu (genus loci) qui leur permettront de faire face aux calamités à venir, qui ne manqueront pas puisque l’île est quasiment posée sur un volcan !
Avec la certitude d’un avenir possible, ici ou là, des populations aujourd’hui livrées à elles-mêmes seraient certainement prêtes à accepter sur plusieurs années les contraintes d’une reconstruction sensée et organisée plutôt que l’avenir bouché d’une case en tôle, de la même façon que les habitants des beaux quartiers parisiens sont bien obligés d’accepter les nuisances de travaux dans leur rue car l’intérêt général finit par rejoindre leur intérêt propre. Puisqu’il y a supposément déjà entre 4 et 5 Md€ de prévus pour la reconstruction, les architectes et urbanistes auraient alors le temps d’imaginer un futur pour Mayotte qui ne serait plus celui d’un camp retranché retentissant des foucades de ministres en mal d’avenir et de cris exaspérés des habitants.
En tout état de cause, cette nouvelle loi « spéciale » est pour tous un avertissement car chacun peut imaginer où nous mène l’État d’exception quand il n’est plus exceptionnel mais devient de droit commun…
Christophe Leray
*Pour en savoir plus concernant l’origine de Vulcain ex-Jupiter, lire : Sonotone, livré par Amazon, à l’attention de l’Uber président
** Lire notre article Au Vélodrome, le père François droit au but