
Bien sûr, à l’aune de la crise actuelle de l’immobilier, les promoteurs promettent aux architectes que les projets ne se feront plus comme avant… sans pour autant expliquer ce qui pourrait changer !
Alors que la crise du secteur de l’immobilier bat son plein, la patronne de l’un des plus grand promoteurs national affiche un optimisme quant au redémarrage de l’activité en ce début de 2025… Optimisme pas particulièrement partagé chez ses confrères, pas plus que chez les plus de 500 personnes qu’elle a remercié pour « sauver l’emploi » ni par les agences d’architecture qui après avoir été essorées par ses services pendant des années se retrouvent, elles aussi, sur le carreau.
En effet, depuis des années, les promoteurs, les gros groupes nationaux en tête, ont fait la pluie et le beau temps sur l’ensemble de la chaîne de production du logement en France. Profitant des taux de crédit bas pour faire monter les prix de vente au m² à des niveaux parfois indécents, pleurant des larmes de sang devant les maîtrises d’œuvre et les pouvoir publics pour justifier de ne pas payer les uns et obtenir des terrains à bas prix et des diminutions de taxe de la part des autres.
Cela commence dès les premières minutes : « on a une super opération, on voudrait te la confier, tu pourrais faire une faisabilité, on n’a pas encore de budget pour payer mais dès que c’est validé en interne… » Or chacun sait qu’aujourd’hui les investisseurs n’investissent que lorsqu’il n’y a plus de risques. Aussi les faisabilités s’enchaînent, souvent à compte d’auteur, parfois sans aucune chance que l’opération aboutisse tant elle est faite juste pour que le chargé d’opération puisse justifier de son salaire auprès de sa hiérarchie.
Résultat, pendant que les collectivités s’appauvrissaient, et que les maîtres d’œuvre, architectes en tête, prenaient l’habitude de travailler à perte, les promoteurs se gavaient, affichant des résultats annuels pharaoniques, arborant des sièges sociaux clinquants dans les beaux quartiers.
Malgré cette apparente opulence, chaque réunion de développement d’un projet commençait sempiternellement par la même rengaine : « le bilan d’opération ne tourne pas ! » S’en suit alors le traditionnel marchandage, les honoraires de maîtrise d’œuvre sont trop chers et si l’architecte ne les baisse pas, l’opération ne se fera pas… Alors l’architecte, pour qui une opération ce n’est pas rien dans sa capacité à survivre, consent un effort.
Mais ces dernières années, fastes pour les promoteurs, pour les architectes et les maîtres d’œuvre en général, la valse de ristourne n’a jamais été aussi folle. Quand, sur un équipement standard la rémunération d’un architecte est de l’ordre de 6 % du coût de travaux, le promoteur en propose généreusement 2,8 %. Et le coût de travaux n’est pas celui des entreprises mais celui que le promoteur se fixe lui-même : « le coût d’objectif de cette opération est de 1 600 €/m² » ; du jamais vu depuis plus de 15 ans, mais ce n’est pas grave ! Bien sûr, l’assiette de rémunération se fait sur la surface habitable, celle à l’intérieur des logements, sans compter les espaces extérieurs, les parkings et les espaces verts… que l’architecte sera quand même chargé de dessiner, il ne faudrait quand même pas payer un paysagiste en plus ! Une fois le contrat ainsi négocié, les honoraires de l’architecte deviennent forfaitisés, non révisables ni actualisables… Donc même si le projet sort à 2 200 €/m², l’architecte ne peut prétendre à rien de plus !
« Tu ne suivras pas le chantier, on le fera en interne ». Depuis des années maintenant les promoteurs prétendent faire le suivi de chantier avec leur propre équipe, là encore pour éviter de payer le maître d’œuvre et ainsi économiser quelques picaillons. Quand un problème survient en cours de chantier, bizarrement le promoteur retrouve le numéro de téléphone de l’architecte, avec l’argument massue : « faut que tu viennes, c’est ton œuvre, tu ne voudrais pas que ce soit raté ! » Et, hop, encore une prestation de maîtrise d’œuvre à l’œil…
« Mais tu comprends, on fait à peine 2 % de marge sur une opération ! » Oui mais 2 % de marge sur un prix de vente à 7 ou 8 000 €/m²… Sur une opération de 50 logements, cela représente près d’un demi-million d’euros ! Quand l’architecte, s’il arrive à faire 10 000 € de bénéfice, c’est bien le bout du monde et c’est sans compter les heures de l’architecte en titre qui comme chacun sait travaille pour la gloire.
Quand la conjoncture se retourne, les promoteurs peuvent pleurer mais, compte tenu des bénéfices engrangés durant les 20 ou 30 dernières années, s’ils n’ont pas tout dilapidé en dividendes, ils peuvent survivre. Mais pour les maîtrises d’œuvre, qui ont travaillé à prix coûtant ou à perte durant toutes ces années, aucun trésor de guerre pour passer la période de vaches maigres, et c’est la faillite car dans les agences, point de centaines de collaborateurs à licencier pour « préserver la structure ».
Bien sûr à l’aune de cette crise, tous les promoteurs nous promettent que les projets ne seront plus réalisés comme avant… sans pour autant expliquer ce qui pourrait changer ! Il est fort à parier que l’attitude vis-à-vis des maîtres d’œuvre ne changera malheureusement pas, c’est une question d’inculture… ils continueront à les payer comme des techniciens de surface. Ils continueront à communiquer sur les beaux projets sans daigner citer l’architecte qui l’a conçu, au mépris des articles L.335-2 et -3 du code de la propriété intellectuelle.
À moins que cette crise ne serve d’électrochoc auprès des instances ordinales et syndicales des architectes pour que ceux-ci fixent des règles minimales pour garantir la survie et le respect du statut des architectes dans la chaîne de création de valeur de l’immobilier. On peut rêver…
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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