
La rigueur budgétaire pourrait bien affecter un secteur qui devrait être un moteur de transformation. Est-ce la bonne solution ? Chronique de l’intensité.
Le logement est un poids lourd des politiques de développement durable. Gros impact économique, gros consommateur de ressources, tant pour la construction que pour la vie courante sur des dizaines d’années, et lieu de vie, et donc facteur essentiel de qualité de vie, de santé, et de dynamique sociale.
« Nous n’habitons pas la même planète que nos aïeux, la leur était immense, la nôtre est petite » disait Bertrand de Jouvenel. Il aurait pu ajouter bien d’autres différences : vieillissement de la population, urgence climatique, menace sur la biodiversité, nouveaux équilibres géopolitiques, révolution des nouvelles technologies, etc. Notre civilisation en est affectée profondément et est aujourd’hui confrontée à un grand désarroi, dont les symptômes sont notamment la peur du déclassement et l’anxiété face au futur.
Les jeunes sont particulièrement affectés, avec une perte de repères qui transforment des « faits divers » en « problèmes de société ». Le terme de « décivilisation » a été utilisé pour évoquer ce phénomène. La question du logement y occupe une place importante, qu’il convient de rappeler.
Une étude du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), publiée en 2010 mais toujours d’actualité, en donne une illustration frappante. À l’heure à la fois de la mondialisation, avec les brassages de populations qu’elle provoque, et du développement durable, avec l’effort d’innovation en tous genres qu’il exige, la confiance en soi est indispensable pour affronter les obstacles vers un futur « désirable ». Elle dépend de nombreux facteurs, et le CREDOC nous apprend l’importance du logement : « l’habitation ne répond pas seulement à la fonction de se loger, c’est un marqueur social qui étaye les représentations que l’on a de sa position sociale ».
On pense aux « quartiers », sensibles ou dégradés selon la manière dont on les nomme, et aux difficultés qu’ont leurs ressortissants pour assumer leur adresse lors d’un entretien d’embauche par exemple. Les « représentations » fonctionnent assurément dans les deux sens, dans la tête du candidat comme dans celle du recruteur. Le logement lui-même contribue aussi à la confiance en soi : « vivre dans un logement dégradé nuit à l’image que l’on a de soi-même ». Aux mauvaises conditions physiques, surpopulation, vétusté, manque d’entretien, confort et hygiène précaires, s’ajoute donc un volet psychologique sur fond d’humiliation. Une double peine, et surtout une double montagne à escalader pour « s’en sortir ».
Difficile, quand on ne bénéficie pas d’un logement décent, de prendre sa part de l’effort que les changements à engager exigent. Le fameux adage « quand le bâtiment tout va » trouve une nouvelle signification, si on opère le glissement du bâtiment au logement. Ce n’est pas qu’une affaire d’activité économique, c’est aussi un moteur de dynamique sociale ou même sociétale comme on dit aujourd’hui. C’est le moral des troupes, bien au-delà du bâtiment, qui est en jeu.
La France connaît une crise du logement, avec des retards dans la construction de logements neufs, et une faiblesse bien connue de politique de rénovation et de modernisation du parc existant. C’est un problème en soi, c’est aussi un frein pour les évolutions nécessaires de la société française, qui seraient bien plus faciles à conduire si chacun se trouvait « bien dans sa peau ». Le développement durable exige une mobilisation de tout le corps social, compte tenu des défis à relever au cours des prochaines années. Il lui faudrait donc une population bien logée, et on est loin du compte.
Bien pire, les prix se durcissent, toujours d’après le CREDOC. En 50 ans, le prix des loyers a été multiplié par 18, celui des charges par 26 et celui de l’immobilier par 55, pour un coefficient 10 sur les prix à la consommation. La rénovation, lancée sur des bases énergétiques mais qui doit concerner toutes les qualités du bâti, ne progresse pas au niveau espéré, loin de là. Ajoutons un défi supplémentaire, l’adaptation aux nouveaux modes de vie et aux nouveaux besoins, comme le télétravail, la décohabitation ou encore le vieillissement.
En ces temps d’incertitude économique et politique, où chacun cherche des repères solides, le logement a vu se dégrader sa fonction de protection sociale, et contribue ainsi à la « décivilisation ».
Comment réagir, comment trouver les moyens à la fois humains, financiers et techniques de proposer au plus vite des logements de qualité, bien situés, bons pour le moral de leurs occupants, économes en énergie et accessibles à toutes les bourses ?
Puisque l’amélioration des conditions de logement est un préalable à la mobilisation de tous les membres du corps social et qu’il y a peu de chances que nous y parvenions rapidement, retournons la proposition : faisons de l’amélioration du logement un levier pour le développement durable. Une autre déclinaison de l’adage « quand le bâtiment va, tout va ».
Dominique Bidou
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