
Alors que la profession d’architecte continue de se paupériser, la France n’a jamais eu autant besoin d’architectes. Il serait temps cependant que les écoles changent de discours en ne dirigeant pas, comme seule voie de débouché pour les étudiants, l’ensemble de leurs effectifs vers la maîtrise d’œuvre.
Depuis la création des écoles d’architecture, celles-ci sont une voie royale vers la maîtrise d’œuvre, seul débouché trouvant grâce aux yeux du corps enseignant, et ce n’est pas le projet de rapprochement des écoles d’architecture avec les écoles d’arts qui risque d’inverser la tendance.
Il serait peut-être temps de reconnaître que le métier d’architecte, s’il comporte une part de créativité n’en est pas moins un métier de maîtrise technique, de maîtrise réglementaire, de maîtrise prospective et de conduite de projet propre à déboucher sur plein d’autres métiers que celui de maître d’œuvre.
Les métiers de la maîtrise d’ouvrage en France gagneraient à être investis plus largement par des personnes ayant une formation en architecture, cela permettrait de lutter contre la perte de culture constructive et technique que nous rencontrons chez un certain nombre de donneurs d’ordre. Elle permettrait peut-être aussi de réaliser des économies en limitant le recours systématique aux AMO dont la recrudescence est directement liée à l’appauvrissement en culture constructive de la maîtrise d’ouvrage.
Si pour un étudiant le passage en maîtrise d’ouvrage n’était pas vécu comme une frustration mais comme un réel choix, avec des modules spécialisés durant le cursus, avec une vraie préparation aux métiers de la maîtrise d’ouvrage, dans bien des cas cela permettrait d’avoir un échange plus constructif autour du projet.
Il serait peut-être temps aussi que les écoles forment aux métiers de la promotion immobilière. Aujourd’hui, il est de notoriété publique que le logement, notamment le logement de promoteur, est en réalité un pur produit financier, la faute qui ? À l’absence totale d’architectes dans les équipes des promoteurs, générant une inculture chez ces maîtres d’ouvrage et l’évident mépris qu’ils ont pour les maîtres d’œuvre. Là encore, ne pourrait-on imaginer que les écoles d’architecture puissent proposer des cursus avec des modules permettant de former des personnes vers les métiers de la promotion immobilière ? Là aussi la qualité des nouveaux quartiers s’en trouverait largement améliorée. Si les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage partagent une culture commune, chacun pouvant bien sûr défendre les enjeux propres à sa position dans le projet, l’aboutissement à un consensus en serait grandement facilité.
Si jusqu’à la réforme LMD du début des années 2000, il pouvait être compliqué d’envisager des cursus différents au sein des écoles d’architecture, maintenant qu’elles sont rentrées pleinement dans le système universitaire, il serait assez facile d’imaginer un cursus commun de licence, qui durant ces trois années formerait à l’histoire de l’architecture, aux techniques constructives et à la conduite du projet. Ces trois années apportant les fondations nécessaires pour s’engager par la suite dans un master qui lui serait spécialisé en maîtrise d’œuvre, maîtrise d’ouvrage ou métier de la promotion immobilière.
De la même manière, pourquoi ne pas imaginer que ce cursus de licence soit un minimum à obtenir pour certaines professions, sans avoir besoin pour autant d’aller chercher un master ? Il serait possible par exemple d’envisager que les agents immobiliers aient ainsi une formation initiale en architecture. En effet, cela permettrait de lutter contre l’inflation chronique dont fait preuve le marché de l’immobilier qui, pour le coup, est encore pire que celui de la promotion en ce qu’il se pratique entre amateurs avec comme intermédiaires des personnes qui n’ont d’autre connaissance que le prix du m² moyen local avec un intérêt à pousser toujours un peu plus à l’inflation dans la mesure où leurs honoraires sont au pourcentage du prix de vente.
Cela conduit à vendre un pavillon des années ‘80 sans qualité mais « refait à neuf » au même tarif qu’une maison d’architecte ou un pavillon du début du siècle dernier. Aujourd’hui dans ces transactions, aucune des parties prenantes n’est capable de définir si des travaux ont été réalisés dans les règles de l’art ou n’importe comment. Le résultat étant pour l’acquéreur une prise de risque maximum en ce que le vendeur est dédouané de toute responsabilité en étant « non-sachant » tandis que l’agent immobilier n’a aucune responsabilité non plus. Et ce ne sont pas les diagnostics qui peuvent aider à améliorer les choses.
Tout cela conduit évidemment à une perte de qualité du patrimoine bâti. Notons au passage que l’architecte avec ses six années d’études et ses responsabilités décennales sera rémunéré de 5 à 6 % du coût de construction quand l’agent immobilier sans compétence dans ce qu’il vend prendra lui 6 à 8 % du prix de vente !
De même devrait-on aussi imposer aux syndics de copropriété de justifier d’une formation initiale en architecture. Ce serait d’autant plus légitime que jusqu’à l’immédiat après-guerre les syndics étaient tenus par les architectes eux-mêmes et force est de constater que le patrimoine immobilier était mieux entretenu qu’aujourd’hui. Là encore, sans formation et aucune connaissance dans le domaine de la construction, le syndic a plus d’intérêts immédiats à baisser les charges de ses copropriétaires, ce qui fait toujours plaisir, plutôt que de devoir expliquer qu’il faut maintenir un certain niveau de charge pour anticiper et planifier les travaux d’entretien d’un immeuble, chose que de toute façon ils sont incapables d’anticiper puis de réaliser.
La formation d’architecte peut avoir de belles perspectives d’avenir si, au-delà des moyens, il est acquis au sortir du cursus que la maîtrise d’œuvre n’est pas le seul débouché. Il s’agirait ensuite pour les architectes de s’infiltrer dans l’ensemble des corps de métier qui gravite autour de la construction et de l’entretien du patrimoine bâti… C’est aussi une question de développement durable.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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