Aller à reculons vers l’avenir, c’est abandonner tout espoir de le piloter, toute ambition d’en maîtriser ses contours. Et se condamner aux énergies fossiles pour des années. Chronique de l’intensité.
Le beurre et l’argent du beurre. Un miracle de l’électricité, une fée qui permet à la fois de réduire l’effet de serre et d’augmenter la productivité. Un double dividende, marque du développement durable. L’intensité en marche !
Vous vous souvenez sans doute le vieil adage sur l’URSS qui se résumerait à « les soviets plus l’électricité ». Adage source de plaisanteries mais qui a le mérite de mettre en évidence les bienfaits de la « fée électricité ». Des bienfaits dont nous ne mesurons pas encore l’étendue, si l’on en croit les nombreux discours selon lesquels nous produisons trop d’électricité, plus que ce dont nous avons besoin, et cela durablement. Pas besoin de produire plus, la demande ne suit pas, disent certains.
Un attentisme opportun pour justifier de ne rien faire avant que les nouvelles centrales nucléaires ne soient opérationnelles. Une petite musique entretenue notamment par les adversaires des énergies nouvelles renouvelables (ENR) puisque notre électricité est déjà décarbonée pour l’essentiel. La Commission de régulation de l’énergie (CE) a dû lancer une campagne de mise au point pour lutter contre la désinformation destinée à bloquer tous les projets d’énergie renouvelables. Nous ne sommes pas comme en Pologne où les renouvelables concurrencent le charbon pour la production d’électricité, au point de le dépasser cette année pour la première fois.
Il est vrai que la consommation d’électricité progresse moins vite que prévu, et qu’après la chute en 2022 de la production nucléaire pour des raisons de mise à niveau et de sécurité, la France est redevenue exportatrice. Est-ce durable (dans tous les sens du mot) ? Peut-on attendre 15 ans pour relancer l’électrification de notre économie ?
L’électrification de nombreux usages se traduit dans les faits par une forte augmentation des rendements énergétiques et, par suite, de la performance d’ensemble. Il n’y a pas mieux que l’électricité pour faire tourner des moteurs. Pour la chaleur, le rendement d’un four électrique industriel récent est de l’ordre de 85 à 90 %, à comparer avec celui d’un four au gaz, 75 % dans le meilleur des cas. De même les pompes à chaleur, après une période délicate, apportent désormais une solution décarbonée au chauffage.
L’électrification marque le pas du fait des investissements initiaux qu’elle demande mais elle s’avère économique à l’usage en termes de consommation et de maintenance. Les retards que nous observons entraîne une perte de compétitivité à la fois sur le plan économique et sur le plan écologique, si l’électricité est décarbonée.
L’avenir énergétique sera électrique pour de nombreux usages, en compagnie de la chaleur décarbonée, issue de la géothermie et du solaire thermique par exemple. Au lieu de freiner l’augmentation de notre capacité de production d’électricité, il vaudrait mieux accélérer l’évolution vers l’électrification, inéluctable et profitable. Les atermoiements sur le véhicule électrique, notamment, et l’incertitude qui en résulte, au moins sur son calendrier, sont un frein sérieux à l’électrification du parc et à l’équipement technique d’accompagnement.
Le « nouveau nucléaire », souvent évoqué, serait une solution à la croissance de l’offre d’électricité mais il n’apportera sa contribution que dans une quinzaine d’années, à un prix double de celui des ENR. Retarder l’électrification de 15 ans pour en bénéficier serait un non-sens technologique et économique.
Que faire pendant cette période cruciale, celle de la transition vers l’électrique ? Il reste deux leviers complémentaires : les économies d’énergie, notamment par l’adoption de techniques sobres en plus d’une action sur les comportements, et les énergies renouvelables.
Le secteur du bâtiment est particulièrement concerné, 43 % de la consommation d’énergie, 23 % des émissions de gaz à effet de serre, et une forte inertie dans le renouvellement du parc. Une convergence terrifiante se profile, moins d’argent pour la rénovation, moins d’exigence de qualité sur les constructions neuves et frein au énergies renouvelables.
Celles-ci, comme toutes les autres, ne sont pas parfaites et il faut les installer avec discernement. Pour autant, le rejet systématique que nous observons est une impasse. Le refus par principe ne permet pas en outre de mettre de l’intelligence dans les nouveaux projets, de mieux les concevoir, et le cas échéant de les éloigner des côtes pour les éoliennes.
Aller à reculons vers l’avenir, c’est abandonner tout espoir de le piloter, toute ambition d’en maîtriser ses contours. Et se condamner aux énergies fossiles pour des années.
Dominique Bidou
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