Conçu par l’agence Badia-Berger (Marie-Hélène Badia et Didier Berger) et inauguré en février 2013, Visages du Monde est un lieu unique, sans jeu de mots. L’enjeu final du programme, audacieux et dense, était sans conteste la volonté d’impliquer les habitants dans la démarche du projet. L’architecture, décloisonnée, ouverte et généreuse, est ici toute entière dédiée à cette aspiration.
«enfaite jadore votre medhiateque elle est genial je viens preque tout les jour apes le cours»
Posté sur le site de la médiathèque le 2 janvier 2014
Visite
Un jour de semaine au printemps, après la sortie des classes des collèges tout proches, les gamins sont irrémédiablement aspirés vers Visages du Monde, aidés en cela par la (faible) déclivité de la place du Nautilus à Cergy (Val d’Oise). Puis on les retrouve à tous les étages du «Pôle culturel dédié aux arts numériques», devenu Visages du Monde puisque le lieu se révèle impossible à qualifier car ouvert à tous les possibles.
En porte-à-faux sur le quartier nouveau – Les Hauts-de-Cergy – d’une ville nouvelle, un belvédère : une salle de danse. Un enfant, puis deux puis trois dansent le hip-hop, à la vue de tous quand ils s’approchent de la façade vitrée, invitant à en savoir plus quand ils disparaissent. La danse, art numérique ? La ville compte plus de 2.000 licenciés en danse contemporaine. Visages du Monde propose, à ce sujet, une programmation alléchante. Bâtiment contemporain ?
Dès l’entrée, au nord, un grand hall double-hauteur, vitré de pied en cap, se révèle tout aussi engageant. En son centre, une première installation artistique éphémère sur le thème de la danse – un totem vidéo ludique -, accueille les visiteurs. L’impression est étonnante car, dès lors, les destinations au sein de ce bâtiment sont si multiples que deux hôtesses sont disposées à recevoir et renseigner. Non que les circulations soient compliquées – au contraire, au regard de ce qui était demandé aux architectes, elles se révèleront d’une remarquable efficacité. Mais il faut, la première fois, quelques minutes pour comprendre que tous les éléments, pourtant disparates, de ce programme dense sont ouverts et accessibles, qu’aucun déplacement n’est contraint. L’équilibre subtil des double-hauteurs, des demi-niveaux, d’un entresol et le symbolisme des ‘barrières’ autorisent partout de voir et d’être vu, ou non. Un bâtiment public sans sens interdit.
«C’est un bâtiment exigeant», explique Hervé Mondon, directeur de Visages du Monde. Pour Jean-Paul Jeandon, maire de Cergy et maître d’ouvrage, et Dominique Lefebvre, député du Val d’Oise et président de la Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, l’enjeu était rien moins que «rendre la création artistique accessible à tous, mélanger les publics» et «accueillir la diversité des habitants de Cergy pour s’ouvrir à la diversité du monde».
«La culture irradie le bâtiment», confirme aujourd’hui Hervé Mondon.
«j’adore le visage du monde il y a des jeux des livre des ordinateurs … et c’est bien si on a rien a faire»
Posté sur le site de la médiathèque le 29 mars 2014
Arts numériques, spectacle vivant, spectateurs et acteurs
La définition floue des Arts Numériques a permis d’imaginer un programme irradié suffisamment rare en France pour que son audace soit saluée. Une gageure en effet que souhaiter réunir sous un seul toit, sans cloisonnement et en 3 575 m² SHON, (prenez votre respiration) : une médiathèque, un café (Le Pixel – en concession), une salle de danse, une salle de spectacle, et encore une mairie annexe, une maison de quartier, des salles associatives, une résidence d’artiste et sa régie connectée à l’écran géant extérieur, une salle multimédia – oh, et aussi une radio locale – et encore une cuisine professionnelle et des bureaux sans oublier un espace dédié pour qu’étudiants et collégiens qui ne peuvent travailler chez eux disposent d’un endroit qui le leur permette. Oh, et encore le logement autonome du gardien. Ouf !
Une seule adresse : Visages du Monde
Didier Berger et Marie-Hélène Badia ont relevé ce défi tant du point de vue de l’architecture que de la vision politique. En témoignent la foule immense venue assister à l’inauguration un 7 févier 2013 ou encore le nombre de visiteurs – de 600 à 1 200 – parcourant le lieu un jour ordinaire. Dit autrement, les architectes sont parvenus à transformer le projet du maître d’ouvrage en «projet du bâtiment», c’est-à-dire que non seulement le bâtiment permet au projet de se réaliser mais il oblige ceux qui le pratiquent à y participer.
Un bâtiment à options multiples
«C’est une autre conception des choses, que les gens travaillent ensemble sur des projets communs», poursuit Hervé Mondon. Même les employés de la mairie annexe ? «Même les employés de la mairie annexe».
De fait, quiconque découvre Visages du Monde entre dans un lieu plus large que la somme de ses composants. Refaire une carte grise ou un papier d’identité ? En attendant, de faire un tour au café où à la médiathèque ou regarder un instant la dizaine de gosses qui s’éclatent sur un jeu vidéo. Aller au spectacle ou à une expo mais découvrir que le spectacle est partout dans le bâtiment avant même de découvrir le spectacle ou l’expo. Découvrir que si la danse – toutes les danses – fait son cinéma, elle ne le fait pas dans une salle close mais partout, dans le hall, dans les escaliers, dans la médiathèque, dans la mairie annexe, sur le parvis…
Vertige de la liberté d’inventer, de créer. Vertige aussi de l’idée grande que ce font ces architectes de l’être humain.
Car ils n’ont eu d’autre souci que de traduire l’ambition politique dans leur architecture, laquelle s’exprime moins dans un ou des gestes que dans un fonctionnement. La logique de l’ouvrage est que les gens se croisent, se rencontrent, se découvrent, s’entendent. Pour la trentaine de personnes qui y travaille, une coursive, dans une faille plein sud du bâtiment, permet d’échanger, fumer une cigarette, boire un café au soleil. Le Pixel est un lieu de rendez-vous.
Il est d’ailleurs dans la logique de ces maîtres d’oeuvre que leurs réalisations soient, dans l’espace urbain prescrit, permissives et non coercitives. Ce n’est donc pas leur faire injure d’estimer qu’ici, c’est l’usage qui a fait l’architecture au moins autant que les architectes eux-mêmes.
Encore fallait-il à ces derniers, en toute conscience, être capables de réduire les effets d’annonce afin justement de ne pas figer le programme en autant de républiques autonomes. Encore leur fallait-il également permettre que la salle de spectacle – de 300 places avec gradins jusqu’à 700 sans gradins – ne devienne pas l’identité du lieu ; ses usages en sont donc multiples, avec nombres d’entrées et de sortie et la possibilité de l’ouvrir en grand sur le hall avec en plus, cerise sur le gâteau, une coursive en balcon. « La salle permet de faire tout ce que l’on veut », assure Hervé Mondon. A Cergy-le-Haut, on ne va donc pas au théâtre ou au concert, on va à Visages du Monde.
Une urbanité nouvelle
Cergy, ville nouvelle, la ville au trois gares, courait le risque de la cité dortoir. Et ce ne sont pas les immeubles de logements des Hauts-de-Cergy – les premiers datant des années 80, les derniers en construction – bordant la place du Nautilus selon deux axes trop bien ordonnés qui démentiront l’assertion.
Le centre commercial est habituellement une réponse paresseuse en terme de centralité, souvent odieuse en terme d’urbanisme. Le centre culturel – une médiathèque le plus souvent – est une réponse trop courte. Ici, il n’y avait rien mais la commande publique émanait d’une vision claire du partage de l’espace par des communautés urbaines multiples, d’une volonté de lutter contre la séparation et la segmentarisation des fonctions, et c’est le sens de cette commande qui a permis à Badia-Berger de concevoir la forme, ouverte, généreuse, exigeante, permettant de loger un tel programme dans une seule boîte, le tout dans le cadre d’un budget – 8 millions seulement – parfaitement maîtrisé.
Un 104 de banlieue ? Pas même. On ne récupère pas sa carte grise et il n’y a personne pour l’aide aux devoirs au CENTQUATRE. A Cergy oui et les horaires du bâtiment sont les horaires de tous les services. Ouvert le dimanche, sauf la mairie annexe.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication dans l’ouvrage Visages du Monde, Hauts-de-Cergy. Collection l’Esprit du Lieu (Archibooks 2014)