Inaugurée le 6 mai 2022 à Dijon (Côte-d’Or) en présence de François Hollande – Emmanuel Macron, pourtant prévu ne pouvant « se libérer » -, la Cité de la Gastronomie et du vin est aussi l’œuvre de Nicolas Sarkozy qui ne mangeait que du pop-corn et buvait du Coca-Cola. Une idée festive ? Visite.
Depuis le 6 mai 2022, le public dijonnais, français et étranger peut découvrir la Cité de la Gastronomie et du vin, un projet qui vise à faire rayonner la gastronomie française mais aussi Dijon et la Bourgogne. Un aboutissement après des années de lutte pour accueillir le projet et contre les recours. Comment un tel projet a-t-il pu voir le jour et dans quel contexte alors que trois autres cités de la gastronomie aux programmes complémentaires sont plus ou moins en cours (à Lyon, Tours et Paris-Rungis) ?
La première pierre a été posée à Dijon le 4 juillet 2019, après plusieurs années d’hésitation. Le Président de la République élu, Emmanuel Macron, devait être reçu vendredi 6 mai par François Rebsamen, le maire de la ville et ardent défenseur du projet qui comprend des espaces d’exposition et de dégustation (cave), une école de cuisine et de pâtisserie, un hôtel, des cinémas, restaurants et boutiques ainsi qu’un programme de logement, implantés sur les 3,5 hectares de l’ancien Hôtel-Dieu, à proximité du centre historique de la ville. Las, c’est finalement François Hollande qui s’y est collé. Bonjour les retrouvailles entre les deux hommes !
Ce projet à 250 millions d’euros d’investissements publics et privés a débuté il y a près de dix ans après un appel à projets lancé par l’État en 2012. Eiffage en a assuré la maîtrise d’ouvrage tandis qu’Alain-Charles Perrot (architecte en chef des monuments historiques) et Anthony Bechu (rénovateur de l’Hôtel-Dieu à Marseille en 2013) se sont partagé la tâche de transformer l’ancienne enclave de l’hôpital général de Dijon en une cité de la gastronomie et du vin résolument contemporaine et ouverte sur la ville.
Contemporaine ? Assurément, à en juger par la rupture d’échelle du bâtiment le plus en vue, conçu comme un canon de lumière – ou une passerelle géante d’accès à un avion gros-porteur. Un geste architectural puissant qui a énervé les amateurs de vieilles pierres, d’autant qu’il est revêtu d’un bardage d’acier corten et semble posé sur des échasses.
Architecture oblique en hommage tardif à Claude Parent ? Pas vraiment car les deux niveaux de plancher accueillent les postes de cuisine et de pâtisserie de la prestigieuse Ecole Ferrandi dont les élèves doivent surtout avoir les pieds sur terre avant de rêver d’être sélectionné par Top Chef. C’est peut-être, d’ailleurs, l’intention d’Anthony Béchu, gastronome réputé, de vouloir, à travers son geste, projeter sur grand écran vers la ville l’idée d’une nécessaire transparence de la formation des cuisiniers.
Transparence ? Ce n’est pas précisément le terme adapté lorsqu’on se plonge dans l’examen du dossier à l’origine de cette réalisation.
C’est au cours de la 5ème session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, à Nairobi (Kenya) le 16 novembre 2010, que l’UNESCO a statué favorablement sur la demande formulée par la France en vue de l’inscription du « Repas gastronomique des Français » sur la liste représentative créée par la Convention de 2003. Le patrimoine immatériel, selon cette convention, comprend notamment les « pratiques sociales, rituels et événements festifs » et les « savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel », insistant sur la « transmission et le renouvellement ».
Rien ne visait donc explicitement les arts culinaires et encore moins la gastronomie puisque l’intention initiale de l’Unesco était de rééquilibrer au profit des pays du Sud la protection dont avaient largement bénéficié depuis une trentaine d’années les pays au riche patrimoine architectural ou paysager. Ceci n’avait pas échappé au petit groupe de chercheurs, réunis au sein de l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (I.E.H.C.A.) créé en 2002 à Tours, à son directeur Francis Chevrier, et à Jean-Robert Pitte, alors président de la Sorbonne, lesquels, néanmoins, dès l’automne 2006, annonçaient leur intention d’instruire la candidature du patrimoine culinaire français.
L’Unesco contre McDo
L’Unesco allait-il inscrire la gastronomie française au patrimoine immatériel de l’humanité ? C’eut été contraire à son éthique et son opposition à toute démarche commerciale. C’est ainsi que s’est imposé le choix du « Repas gastronomique des Français » en tant que pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments privilégiés – fêtes de famille, succès, retrouvailles – sous la forme d’un « repas festif au cours duquel les convives pratiquent l’art du bien manger et du bien boire ». C’est cette dimension culturelle qui a emporté l’adhésion des experts de l’Unesco, dans la mesure aussi où cette pratique est effectivement gravement menacée par l’évolution des comportements alimentaires sous l’influence des Anglo-Saxons.
L’élection présidentielle de 2007 changea la donne. Seuls les Etats pouvant faire acte de candidature, c’est l’Elysée qui a sollicité la demande d’inscription. D’aucuns se souviennent que le président Sarkozy avait apprécié après son élection, lors d’une fameuse soirée au Fouquet’s, une étrange pièce montée, composée de riz soufflé et de roses des sables – un amoncellement de flocons de maïs enrobés de chocolat que l’on apprend à faire aux enfants en maternelle pour la fête des mères, et qu’il préférait le Coca-Cola aux crus classés. Phénomène aggravant, il avait décidé que les repas officiels ne devaient pas excéder 45 minutes.
Il décida néanmoins d’annoncer la candidature de la France le 28 février 2008 lors d’une visite matinale au Salon de l’Agriculture. Ce qu’il fit, en ajoutant « d’ailleurs, nous avons la meilleure gastronomie du monde ! » Son arrogance souleva un tollé en Italie et faillit faire capoter la candidature mais, quelques minutes après cette déclaration, et s’adressant à un quidam qui refusait de lui serrer la main, Sarko s’écria, devant une caméra de télévision : « Casse-toi, pauv’ con ! » Succès planétaire qui, en quelque sorte, étouffa la polémique naissante. Une petite phrase aux effets finalement positifs.
L’un des critères essentiels fixés par la convention de 2003 pour l’inscription d’un élément immatériel au patrimoine culturel est la présentation d’un plan de gestion et de « mesures de sauvegarde » pour le faire vivre, le faire connaître, le transmettre et le promouvoir.
Ce plan de gestion est soumis à un contrôle régulier de l’Unesco, tout manquement aux engagements énoncés étant susceptible d’être sanctionné par une désinscription. Le Comité intergouvernemental s’est ému au printemps 2012 d’une utilisation commerciale de l’inscription au PCI (Patrimoine culturel immatériel), utilisée comme slogan dans la campagne « So French, so Good » lancée par le secrétariat d’Etat au commerce extérieur en faveur de l’exportation des produits de l’industrie agroalimentaire française.
Regrettant un aspect mercantile, étranger à son éthique, l’instance onusienne a fait remarquer à la France que l’inscription n’avait pas vocation à assurer la promotion de produits marchands.
En 2012, une ou plusieurs cités de la gastronomie ?
En 2012, six villes – Dijon, Beaune, Lyon, Tours, Versailles et Chevilly-Larue associée à Rungis – avaient posé leur candidature pour accueillir la future Cité de la Gastronomie. Ce projet, principale mesure de sauvegarde retenue par l’organisation internationale, était envisagé comme un lieu sans frontières entre culture savante et culture populaire, entre domaines et disciplines complémentaires, afin, précisent les responsables de la MFPCA, « de favoriser la reconquête culturelle de nos assiettes ». Il s’agirait d’un espace vivant destiné à célébrer, informer, partager et transmettre au plus grand nombre un certain art de vivre. L’État ayant refusé de choisir une seule Cité de la Gastronomie, sans doute pour ne pas imposer Paris, son choix s’est porté sur les quatre villes restant en lice.
Chaque ville avait choisi de valoriser ses atouts sur la base d’un programme ouvert. Beaune et Versailles se sont assez rapidement désistées. Dijon a établi sa proposition sur les terrains adossés au secteur sauvegardé du vieil hôpital du Saint-Esprit et de Notre-Dame-de-la-Charité, construits par les Ducs de Bourgogne. A Lyon, consacrée autrefois capitale de la gastronomie par Curnonsky dont la flamme a été entretenue par Paul Bocuse, la Cité de la gastronomie viendrait occuper une partie de l’Hôtel-Dieu, désaffecté depuis la fin 2010, et donnerait un contenu culturel au projet actuel d’hôtel de luxe et de galerie marchande. Une première tentative a été présentée en 2018, qui a dû fermer ses portes après quelques mois, la gouvernance étant assurée par une agence évènementielle espagnole !
Tours revendiquait légitimement d’avoir, dès 2006, soutenu la candidature française en offrant la perspective d’un terrain en centre-ville puis la Villa Rabelais.
Il revenait à Rungis, sur la commune de Chevilly-Larue, de peaufiner sa proposition. Outre le puissant MIN de Rungis, l’EPA ORSA qui associe l’Etat aux instances régionales, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Val-de-Marne, cette candidature était soutenue par Bertrand Delanoë (PS), maire de Paris, qui percevait la future Cité comme « un lieu d’action et de médiation culturelle et pédagogique ». Les études préalables n’ont pour l’instant pas abouti. Le projet est renvoyé après les jeux olympiques de 2024 au prétexte que la ligne de métro 14 ne sera pas encore en service. Tout reste à faire !
Syrus
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