
L’Atelier genevois Archiplein a livré en 2023 à Genève (Suisse), pour le compte de la Fondation Nicolas Boguere, la réalisation de dix logements sociaux et d’un atelier de réinsertion pour des personnes atteintes de troubles psychiques. Surface : 1 100 m². Coût des travaux : 5,5 M€ HT. Communiqué.
Implantation
Le projet prend place dans le centre historique de Genève, sur l’une des dernières parcelles constructibles en bord du Rhône. Cette parcelle, propriété du canton de Genève, a été cédée à la Fondation Nicolas Bogueret, dans l’objectif de réaliser des logements sociaux dans ce lieu d’exception, au cœur du quartier des finances et des banques. Ce choix programmatique qui découle d’un engagement politique fort a fait l’objet de controverses.
Le quartier de la jonction dans lequel s’implante le projet est un quartier industriel émergent à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. À ce titre, la rue de la Coulouvrenière est jalonnée de bâtiments industriels typique de cette époque et aujourd’hui réaffectés. La parcelle qui accueille le projet est d’ailleurs mitoyenne d’une ancienne chocolaterie protégée, qui a été transformée en centre de formation professionnelle.
Le projet se situe dans le secteur naturel protégé des bords du Rhône et en mitoyenneté directe d’un ouvrage inscrit. Ainsi, les gabarits en R+3 et l’emprise en plan du projet sont donc verrouillés sans possibilité dérogatoire et soumis au contrôle attentif des autorités en charge de la conservation du patrimoine.


Intégration
Les fortes contraintes du site guident les principes de composition architecturaux en cherchant à créer un dialogue renouvelé avec ce milieu. Ainsi l’écriture architecturale industrielle par sa rationalité et son efficacité est réinterrogée. Le choix s’est alors porté sur l’expression d’une grille structurelle qui définit des remplissages vitrés de grandes dimensions. Ce premier degré de lecture offre une image au lointain qui résonne avec l’esprit du quartier.
Pour autant, cette trame structurelle n’en reste pas moins un élément dialoguant finement avec le contexte proche. Elle se détache de la notion purement répétitive et rationnelle de la trame en s’adaptant au contexte proche. Le rapport à la rue, le rapport à l’eau et la frontalité sur l’espace public ouvert sont des occasions d’ingérer des allèges protectrices, des assises et des variations de trame. En somme une vibration de la composition de la façade qui ancre le bâtiment dans la spécificité de son rapport au site.


Principes constructifs
Construire en matériaux naturels est l’occasion de questionner le mode de production actuel du bâtiment à l’aune des problématiques environnementales et climatiques. Cette recherche d’alternatives possibles vise à répondre à l’urgence de la refonte des modèles tout en revendiquant une filiation avec les savoir-faire constructifs séculaires. « Loin d’une posture nostalgique ou archaïsante, nous souhaitons aujourd’hui inscrire nos réalisations dans la continuité de ces expériences tout en gardant une approche réflexive à leur égard. C’est par l’association savante des apports valables de l’histoire et les performances des techniques actuelles que nous contribuerons au développement d’une architecture en pierre massive qui exprime l’esprit du temps », indique l’agence.
Fort de ce principe, le projet développe un langage architectural simple et rationnel qui combine la pierre et le bois. L’intégralité de la structure verticale est ainsi composée de pierre massive. Le mur de refend, noyau intérieur et les planchers bois donnent ainsi à voir la beauté et la brutalité de la matière depuis les abords comme au cœur de l’ouvrage. Ainsi, le principe de plan consiste en une façade en pierre massive porteuse qui forme la couronne extérieure de l’ouvrage et en un noyau intérieur porteur également en pierre massive. Il en résulte un plan libre et ouvert qui sera habité de cloisons légères et réversibles définissant l’espace de l’habiter, pour un temps seulement.
Deux pierres calcaires différentes sont donc choisies pour leur caractéristique technique suivant le principe de la bonne pierre au bon endroit. Ainsi, en extérieur, la pierre de Sireuil est retenue pour sa dureté et l’expression chahutée de ses lits de sédimentation tandis qu’en intérieur une résistance à la compression importante est nécessaire et a mené vers l’emploi de la pierre dure de Chauvigny.

Résolution
Au-delà de la question de l’usage de la maçonnerie de pierre, ce qu’il faut souligner ici est la stricte combinaison de la pierre et du bois qui participe à la résolution des questions structurelles et sismiques sans recours à des chaînages ou inclusion de béton armé. Par chance, l’histoire des restaurations sur monuments historiques offre un panel remarquable de contre-exemples à ne pas suivre et milite pour une approche respectueuse de la nature même de la matière et du bon usage de cette dernière.
Ainsi, l’étude du plan de calepin, des angles de coupes, des principes d’harpage joue un rôle déterminant dans la résolution des questions de stabilisation de l’ouvrage, dans le plus pur esprit classique. En parallèle, une approche d’ingénierie ambitieuse s’attaque à la résolution des questions sismiques normatives en considérant la pierre dans sa faculté première, sa résistance à la compression. De là, l’idée de contraindre le noyau par des tirants autonomes trouve son sens. Une forte pression sur les murs en U est exercée en tête, le rendant tellement rigide que cet ensemble formé de blocs simplement hourdés à la chaux est aujourd’hui en mesure de reprendre tous les efforts sismiques par simple compression. Seul élément en béton armé présent dans l’ouvrage, la cage d’escalier est totalement dissociée de la structure, tel un meuble glissé dans l’ouvrage.

Habiter le fleuve
D’apparence très rigoureuse, cette composition structurelle permet dans les faits de libérer les aménagements intérieurs des appartements de toute structure porteuse. L’immeuble rassemble essentiellement de petits appartements qu’il faut savoir distribuer efficacement. Dès lors, une coursive est implantée sur rue. Cet espace, à la fois distribution et balcon, offre ainsi des possibilités de partage, de coliving et d’appropriations potentielles en secteur dense.
Chaque appartement, même petit, dispose d’un espace extérieur donnant au sud et de larges baies vitrées qui s’ouvrent sur le Rhône et qui prolongent l’espace intérieur dans le grand paysage garantissant néanmoins sa privacité.
En ce sens, la typologie développée sous forme de baïonnette permet l’articulation de deux espaces de vie en diagonale qui en augmente la profondeur tout en créant un seuil intermédiaire mettant à distance de la vie collective.