Une ville nouvelle n’est par définition jamais nouvelle très longtemps. Pourtant les villes ne cessent jamais d’être nouvelles tant elles sont vouées à se renouveler. La preuve à Paris comme à Guéret.
L’archéologie est une source d’émerveillement. Soudain, au milieu d’un champ sont découvertes des traces d’habitations anciennes, pour s’apercevoir parfois qu’il y eut ici une ville entière qui a totalement disparu des mémoires. Cela paraît bien extraordinaire mais le monde en réalité regorge de villes qui naissent, prospèrent ou non, puis disparaissent. Il a par exemple fallu toute la technologie moderne pour que nous comprenions l’immensité du réseau urbain enseveli sous la jungle amazonienne. Partout, sur tous les continents, des ruines de villes dont on se souvient à peine du nom et qui font le bonheur des touristes.
Pourquoi des villes disparaissent-elles, pourquoi d’autres grandissent ? Les réponses sont sans doute multiples mais il est permis de considérer qu’en réalité, le processus, comme pour la création des étoiles, ne cesse jamais. Il faut cependant au moins une génération, et encore, pour que les changements soient perceptibles. Tenez Guéret par exemple, dans la Creuse, est sans doute appelée à un avenir florissant pour les deux prochains siècles, peut-être plus, peut-être moins, peut-être beaucoup moins, mais sa transformation, presque invisible, est déjà à l’œuvre et c’est un défi pour tous les architectes de la planète.
À partir de multiples plateformes de simulations et des vastes données de ClimaDiag Commune, un service de Météo-France d’une grande simplicité d’usage, sinon d’une totale acuité, un article du Monde* met en lumière une nouvelle forme d’exode urbain, celui des « survivalistes », pour faire court. Ceux-ci anticipent qu’à l’horizon 2050, les conditions climatiques auront changé de telle façon qu’il fera bien meilleur à Guéret, entre 350 et 685 m d’altitude dans la Creuse, température moyenne de 19.8° prévue à l’été 2050, plutôt qu’à Baillargues dans l’Hérault, entre 13 et 57 m d’altitude, avec une température moyenne de 25.3° prévue à la même époque ; ils agissent donc en conséquence : destination Guéret.
Dit autrement, la moyenne montagne encore peu peuplée commence à avoir la cote auprès des agents immobiliers et semble promettre au mitan du siècle un Samsuffit protégé des aléas. C’est donc sans doute, pour les visionnaires, le moment d’investir à Guéret, une ville d’environ 13 000 habitants aujourd’hui.
La logique est imparable : quitte à payer un crédit pour les prochains 25 ou 30 ans, autant ne pas se retrouver en 2050 assommé de chaleur et/ou les pieds dans l’eau maussade. D’autant plus qu’il suffit de monter en hauteur, par rapport à la mer qui monte aussi, pour retrouver de la fraîcheur. Ce que l’homme a compris depuis la nuit des temps, les riches et célèbres ayant conservé l’habitude immémoriale de quartiers d’hiver et quartiers d’été, une transhumance alors organisée en grande pompe.
En France, sauf pour les moutons, notre climat tempéré ne nécessitait pas de telles migrations pendulaires à grande échelle, jusqu’au développement des bains de mer. De Royan à Saint-Jean-de-Monts – deux villes où le niveau de la mer, selon les datas de Météo-France, pourrait en 2050 avoir augmenté de … 29 cm !!! – et partout sur le littoral jusqu’à La Grande Motte sont alors nées nombre de villes de villégiatures désormais classées à l’inventaire de notre patrimoine architectural. Tout ça pour dire que, aujourd’hui comme hier, pour observer la création d’une ville nouvelle, il suffit de se pencher.
De fait, pour toutes ces villes moyennes de moyenne montagne, comme Guéret, il faut pour les pouvoirs en place dès aujourd’hui prévoir le prochain flot de réfugiés climatiques, oh, pas arrivés de quelconques déserts brûlants, juste des gens prévoyants ayant décidé de quitter la côte désormais infestée de moustiques et d’alligators comme en Louisiane. Les premiers arrivés, le télétravail leur assurant une activité, seront évidemment les bienvenus. Et ils pourront avoir leur belle maison en terre avec le potager et l’éolienne et la cage à poules.
Sauf qu’ils seront bientôt de plus en plus nombreux à flairer la bonne affaire et à remonter la montagne, à cheval s’il le faut, jusqu’à Guéret et dans toutes les villes similaires. Puis viendront en plus grand nombre encore les climatogentrifiés. Il faudra alors des boulangers, des ouvriers du bâtiment, des enseignants, des éboueurs, tant de gens et bien d’autres encore qu’il faudra loger. Face à l’afflux, qu’il faut espérer régulier plutôt que désespéré, le risque est déjà là que dans ces communes peu préparées au bonheur, les réseaux soient tirés à la va-vite et avant de s’en apercevoir, Guéret, si ses élus n’y prennent garde, sera devenue la ville ZAC du futur dessinée par des vendeurs de tuyaux.
De fait, combien de ces villes aujourd’hui invisibles seront bientôt visibles ? Comment sauront-elles gérer ces nouvelles « colonies » de gens peu habitués à la culture locale ? Si ce n’est pas là un défi d’architecture !
Défi un peu vain au fond, puisqu’au fur et à mesure que la température va monter, l’humanité va poursuivre sa conquête des sommets – ah les vacances dans la résidence Mer de glace dont le nom est contextuel car en référence à un ancien glacier, dont il est question dans les vieux textes – sinon qu’il y aura de moins de moins de place pour tout le monde et qu’arrivée au sommet, où ira-t-elle l’humanité ? Un saut en parapente ?
De fait il convient de raison garder avant de transformer Guéret, Creuse, en jardin de Babylone français d’avant-garde. D’ailleurs, à Baillargues, dans l’Hérault aujourd’hui vilipendé, Météo-France prévoit encore en 2050 au moins 120 jours « estivaux » par an, c’est-à-dire à la température parfaitement confortable de 25° pendant la journée. Bref quatre mois de « on dirait le Sud » quand la vie était belle, qu’importe si la belle saison est désormais de début novembre à fin février ! À Paris, depuis vingt siècles, les gens auraient été bien contents avec 120 jours « estivaux » par an, même avec soixante. Bon, il n’y avait pas les moustiques tigres à l’époque, juste des moustiques moustiques et les punaises de lit, déjà.
Ce qui me ramène à la ville qui se transforme subrepticement, jusque dans ma rue où j’ai remarqué cet été qu’un riverain bricoleur avait installé dans la fenêtre de son studio un cadre de moustiquaire parfaitement adapté et qu’il lui semblait facile d’installer et enlever rapidement. En tout cas, tout l’été, et jusque tard dans la saison il a passé ses nuits, surtout les plus chaudes, avec ses fenêtres ouvertes et sans craindre les piqûres.
C’est le problème de la biodiversité. Si on fait entrer la nature en ville, on y fait aussi rentrer les bestioles, surtout désormais celles qui aiment la chaleur et qui découvrent un territoire – oh miracle ! – sans prédateur ! Et comme la biodiversité est déjà localement et contextuellement bien bousillée, la nature ayant horreur du vide, les bestioles à venir, en 2050 à Paris, il va bien falloir que quelqu’un s’en occupe.
Cela n’a l’air de rien mais il a fallu un bricoleur pour inventer une moustiquaire parisienne qui ne demande qu’à trouver son style. Comment industrialiser ces moustiquaires design pour les portes et les menuiseries, comme cela se fait depuis longtemps aux USA par exemple, quand dans ma rue, il n’y a pas deux bâtiments aux dimensions de fenêtres semblables ? Pourtant la moustiquaire finira bien par s’imposer et c’est l’architecture et le paysage de ma rue qui en seront comme à Guéret durablement transformés.
Dit autrement, les moustiques, les punaises de lit, les blattes, même combat pour les architectes. D’ailleurs, mieux encore que la moustiquaire, pour le confort de tous ces malheureux qui ne pourront pas déménager à la montagne, il reste encore aux hommes et femmes de l’art à imaginer des bâtiments insectivores.
Dotés par exemple de façades recyclables en papier tue-mouches ou végétalisées avec des plantes carnivores ?
Christophe Leray
* Lire (Le Monde,16/10) Changement climatique : les « survivalistes de l’immobilier » cherchent où habiter en 2050