Lors de la livraison de Métal 57 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) au printemps 2022, un immeuble doté d’un ‘food hall’, BNP Paribas Real Estate maître d’ouvrage et Dominique Perrault maître d’œuvre promettaient un bâtiment ouvert sur la ville, un nouveau « démonstrateur » urbain ! En mars 2023, Chroniques est allé voir comment ça marche. Dégustation.
De plus en plus, l’immeuble de bureaux, neuf ou restructuré, se veut ouvert sur la ville, sur le quartier. Ces nouveaux édifices proposent cependant à leurs employés des cantines améliorées, confortables et avec accès internet.
Il fut un temps où l’installation d’un siège social, d’un immeuble de bureaux était une Bonanza pour les commerçants du quartier, et donc pour le quartier tout entier. Aujourd’hui, arrivés par les transports en commun au pied de l’immeuble ou directement du parking en sous-sol, une fois entrés, les salariés n’en sortent plus, en tout cas beaucoup moins. Pour des questions d’économie également, la cantine coûte moins cher que le restaurant, mais c’est aussi pour l’employeur une façon de garder les salariés bien au chaud tout près de leur bureau et, dans un sens, de les isoler encore plus de leur environnement.
À Boulogne-Billancourt, la BNP a tenté avec Dominique Perrault, dans le cadre de la restructuration et de l’extension de 57 Métal, l’iconique atelier Renault construit en 1984 par l’architecte Claude Vasconi, de répondre « aux enjeux urbains en s’ouvrant sur la ville ».
Dont acte.
Juin 2022, visite de presse, avant l’arrivée des occupants
« Métal 57, un lieu polymorphe de 37 000 m², est un démonstrateur de l’immeuble de bureau de demain adapté aux nouveaux usages de nos clients, de nos utilisateurs mais aussi des riverains », souligne Thierry Laroue-Pont, CEO de BNP Paribas Real Estate.
Quelques mots sur l’architecture de Métal 57, rare témoignage industriel préservé sur le Trapèze de Boulogne-Billancourt. De fait, Dominique Perrault a réhabilité environ 50 % du bâti d’origine tout en y adjoignant un immeuble neuf. L’ensemble conserve une partie de son identité, symbolisée par ses sheds, éléments iconiques de Métal 57, et de sa façade. « Pour permettre le maintien de cet origami de métal, les poteaux en béton ont été préservés et la structure métallique refaite à l’identique. Ainsi la façade conserve sa trame et son épure industrielle », explique l’architecte durant la visite.
Nous pourrions évoquer également les vitres électrochromes qui se teintent en fonction de l’ensoleillement, le zinc micro-perforé laissant passer la lumière naturelle tout en régulant la température, le mélange de bois et de brique dans les espaces intérieurs, des volumétries inspirées des codes industriels avec des plateaux lumineux sous des hauteurs libres exceptionnelles (3,60 m de dalle à dalle) et des façades vitrées toute en hauteur. Les espaces de travail sont quant à eux équipés de capteurs reliés à une gestion technique du bâtiment (GTB) communicante et dernière génération permettant de minimiser les consommations de l’immeuble. Il y a aussi une très belle salle de réunion ‘Claude Vasconi’.
« L’insertion d’un projet immobilier de cette envergure ne se limite plus à des aspects de contexte architectural et de patrimoine urbain. Cette notion s’est élargie à une offre de services dans un mélange de fonctions. Métal 57 en est l’illustration. Il s’agissait, ici, d’être en phase avec le quartier du Trapèze dont l’âme et la population ont profondément changé. Le site s’est ouvert sur la ville grâce à une programmation variée qui permet de repenser l’immeuble de bureau et, cela, en tenant compte des enjeux et des réalités nouvelles accentués par la pandémie », explique alors Dominique Perrault.
Un « laboratoire d’idées et d’expérimentations » indique le communiqué de presse. Lequel insiste encore sur le fait que, au-delà du projet de réhabilitation, Métal 57 s’inscrit également « dans la recomposition du paysage urbain boulonnais » : « des espaces destinés à devenir publics et nouveaux lieux de partage permettront un accès facilité aux transports en commun et notamment à la future station Ile Seguin – Pont de Sèvres du Grand Paris Express ».
La preuve que l’immeuble est ouvert sur la ville, il compte surtout un grand passage couvert, reliant la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres au cours de l’Île Seguin. « Cet espace serviciel de 5 000 m² dispose d’un ‘food hall’ avec lieux de restauration, d’une salle de sport, d’un auditorium vitré de 285 places modulable en lieu de réception, ou encore d’un business center », souligne fièrement le maître d’ouvrage.
Lors de la visite de presse, dans le bâtiment vide, ces bonnes intentions semblaient faire sens, surtout avec Dominique Perrault en guide de l’opération. Au bonheur des riverains donc.
Très bien.
Mars 2023, visite tout court pour aller vérifier toutes ces promesses
Un mot sur ce nouveau quartier, développé par Jean-Louis Subileau, un projet né il n’y a pas loin de trente ans. Il y a bien aujourd’hui, architecturalement parlant, ce mixte plus ou moins heureux de logements et de bureaux censé assurer un quartier vivant. Le fait est pourtant, à parcourir le Cours de l’Ile Seguin pour se rendre à Métal 57, que les passants sont rares. Il n’y a pas d’autres commerces que des brasseries et restaurants. Pas une marque, à peine un Franprix assez loin d’ailleurs. Il n’y a qu’autour de la mosquée, sur la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres, que le quartier connaît en ce vendredi une quelconque animation.
L’idée est cependant d’aller déjeuner – nous sommes deux – et expérimenter ce nouveau ‘food hall’ public dont j’ai entendu dire tant de bien lors de ma précédente visite avec l’architecte et le maître d’ouvrage. Ce d’autant que le ‘food court’ – notez le distinguo – n’est quand même pas un concept tout à fait neuf pour qui a déjà fréquenté le moindre aéroport. La notion même de ‘food court’, comme en Californie, ou ‘food hall’, comme à Boulogne-Billancourt, évoque d’ailleurs a priori plutôt une insistante odeur de graillon.
Mais là, il s’agit quand même de la BNP et de Dominique Perrault et lors de la première visite, leurs arguments avaient impressionné l’assemblée des journalistes en goguette. Bref.
En arrivant par le Cours de l’Ile Seguin, c’est avec émotion que je redécouvre ce bâtiment, une fois de plus.* Le travail de Dominique Perrault est nickel comme du Dominique Perrault, avec hommage sincère et tout. Pour autant, le bâtiment est barré d’une enseigne qui doit se voir depuis la planète Mars, en tout cas chez les hommes verts : BNP PARIBAS REAL ESTATE.
Le doute nous prend quant aux restaus sympas – le ‘food hall’ – près de chez vous.
Sur place, un bâtiment aux vitres teintées au rez-de-chaussée. Rien qui n’indique qu’il y a là quelque part un ‘food hall’. D’ailleurs l’entrée n’est pas sous l’enseigne martienne. Elle est à chercher plus loin, là où sont les cendriers extérieurs. Mais même en arrivant là, impossible encore de savoir ce qui se passe à l’intérieur. Pourtant, quand d’aucuns cherchent un restaurant, ils aiment à voir des gens déjà attablés, c’est justement ce qui souvent leur donne envie d’entrer et de manger ici plutôt que là. Pour un bâtiment supposément ouvert sur la ville, qu’est-ce que ce serait s’il ne l’était pas ?
D’ailleurs, à peine le tambour de l’entrée franchi, pour le visiteur affamé, l’impression d’être un intrus. Il n’y a en tout cas personne pour vous accueillir. « Une table pour deux ? » Ni accueil après le tambour, ni accueil devant aucun de la dizaine de restaurants, la commande via écran étant privilégiée comme à McDo.
Bon point : il n’y a pas d’odeur ! Pour le coup, Dominique Perrault a dû prévoir un système d’extraction tip top. De fait, quelle que soit la table dans l’un de ces lieux de restauration ni trop rapide ni trop lent, c’est la même non-odeur neutre qui prédomine : peu importe la cuisine, ça ne sent rien, même pas le propre. On est à la BNP quand même.
À part nous, il n’y a pas d’autres intrus.
Une question demeure : pourquoi la banque tenait-elle à se compliquer la vie avec une cantine pareille ? Parce qu’il est clair en quelques minutes à peine que ces « espaces ouverts au public et ouverts sur la ville » sont en réalité peu ou prou réservés aux employés et, pour l’ambiance, on peut en effet compter sur les banquiers. Vous vous imaginez aller en famille déjeuner dans un tel endroit ? « Dis-donc ma chérie, si nous allions avec les enfants découvrir le nouveau ‘food hall’ dont j’ai entendu parler ? » « Super mon chéri, allons-y avec les enfants, un ‘food hall’, ça sonne bien exotique ». Même si un Bouillon, un peu à l’écart, fait le pari de s’installer à Métal 57, quelle famille a envie d’aller manger à la banque, même si les menus sont moins onéreux que la moyenne des prix des brasseries du quartier ? Il n’y a même pas de musique. Et puis quoi, aller dîner à La Poste ou au sein du siège social d’une société d’assurances ?
En résumé, la BNP n’a aucune envie que les gens viennent se promener chez elle. Dit autrement, toute cette communication à la mode, toute cette bonne volonté bienveillante, l’ouverture sur la ville, tout ça, du blablabla dont le seul intérêt qui demeure est de deviner son degré de cynisme ! En effet, à tout prendre, si la banque voulait vraiment faire venir les gens, elle faisait un vrai ‘food court’ à l’américaine avec un McDo et les gamins et les familles de tout le quartier seraient là du matin au soir ! Qui sait, cela donnerait peut-être à quelques-uns l’envie de devenir banquier, ou architecte. Surtout dans ce cadre exceptionnel conçu par Dominique Perrault et dont l’élégance semble presque incongrue dans ce contexte. Un décor hélas que les convives blasés, toujours les mêmes, ne regardent même plus et que les riverains ne verront jamais.
Pour conclure, au-delà du blablabla, la fameuse ouverture vers la ville n’est ici comme ailleurs qu’une cantine améliorée qui interdit quasiment aux employés de sortir. Pas formellement bien sûr ; il y a ceux qui sortent pour fumer une cigarette. Après avoir parcouru la « rue intérieure » dans les deux sens, je n’ai vu aucun convive avec son manteau. Ceux-là ne sortiront que pour prendre leur métro ou leur voiture et dans dix ans n’auront toujours rien vu du quartier.
Voilà donc ces nouveaux bâtiments tellement « ouverts sur la ville » que nous sommes finalement allés déjeuner ailleurs.
Christophe Leray
* Lire notre article Le hussard et l’architecte