
Dans la veine de la réhabilitation de la place de la République à Paris réalisée par Bertrand Delanoë son prédécesseur, Anne Hidalgo, maire de Paris, a lancé début mars 2016 l’appel à candidatures pour le réaménagement de sept places parisiennes, non des moindres : Nation, Bastille, Madeleine, Panthéon, Italie, Gambetta et place des fêtes. Le budget consacré à la seule place de la République était de 24 M€, celui alloué à la totalité de ce nouveau projet : 30 M€, soit environ 4 M€ par place. Comment est-ce possible ?
Nous comprenons bien que la ville doit faire face à des restrictions budgétaires mais par quel miracle peut-on d’un projet similaire à l’autre diviser par cinq le coût des travaux ? Surtout considérant que les seules places de la Madeleine, de la Bastille et du Panthéon sont chacune de dimensions presque équivalentes à celles de la place de la République.
Le JDD* nous apprend le 5 mars 2016 que l’idée de ces projets est de «reconquérir» des surfaces dévolues aux voitures – voies de circulation et places de stationnement – pour les «rendre» aux piétons et aux cyclistes. S’il ne s’agit que d’une simple reconfiguration de voirie et de tracer de nouveaux marquages au sol avec un peu de végétalisation ici où là et quelques «zones de rencontre» (vitesse limitée à 20 km/h) ailleurs, c’est sûr que cette reconquête sera peu onéreuse.
Ce d’autant plus que la programmation semble d’ores et déjà achevée ainsi qu’en témoignent les images colorées fournies à la presse : en jaune, agrandissement des espaces piétons ; en rouge, zones de rencontre ; en bleu les aires piétonnes autorisées aux seuls bus et taxis ; en mauve, les espaces à transformer (usages temporaires, artistiques, ludiques…) avec du mobilier urbain. C’est joli comme un cahier de coloriage.

Puisque les partis pris urbains sont déjà peu ou prou actés, il est permis de se demander pourquoi alors confier ces chantiers à des «collectifs regroupant architectes, urbanistes, paysagistes et médiateurs», lesquels sont censés faire de la «co-conception avec les habitants». La co-conception avec les habitants, en voilà une trouvaille qui ne mange pas de pain. Mais la question demeure : avec ce budget, que sont censés faire les hommes de l’art ? Dessiner le mobilier ? Que se passera-t-il si les candidats retenus proposent des solutions à l’opposé de celles prônées par la mairie ? Une place minérale par exemple. Ou si les habitants co-concepteurs veulent conserver leurs places de parking ?
Un article de 20 Minutes** nous en dit plus. La ville de Paris serait en train de se convertir au ‘tactical urbanism’, une notion encore floue mais dont le principe est d’apporter en sites urbains des changements temporaires à moindre coût. A ce titre, une expérience est en cours place de la Nation, menée par la société Cisco, spécialiste des big data et de l’exploitation des données, et la start-up Placemeter. Ainsi 19 caméras vont pendant un an recenser chaque mouvement des objets – voitures, piétons, deux-roues, etc. – afin d’en tirer des graphes, des courbes et des statistiques sur lesquels vont ensuite plancher les services de la ville.

Il ne s’agit pas de vidéosurveillance mais d’algorithmes. «L’intérêt de nos caméras est de pouvoir tester différents aménagements sur la place et d’étudier comment les Parisiens se l’approprient», a expliqué à 20 Minutes Martin Lagache, en charge du développement Europe de Placemeter. Et l’aménagement statistique que s’approprient les Parisiens sera le projet lauréat ? L’urbanisme confié aux machines et super-ordinateurs ? Efficace, peut-être ; moins onéreux que la matière grise, sans doute.
Les nouvelles technologies sont nécessaires à la réflexion sur l’espace urbain, encore ne faudrait-il pas se méprendre sur leur usage. «Le dessin de l’espace demeure primordial car c’est l’architecte qui va le qualifier par un calepinage, des matériaux, etc. et c’est aux architectes et urbanistes de mesurer les échelles», nous expliquait Elodit Nourrigat*** (NBJ). «La technologie doit demeurer au service de l’homme, pas le contraire», concluait-elle.

Anne Hidalgo, maire de Paris, a indiqué espérer en 2020 la livraison des sept places reconfigurées. Les appels à candidatures étant lancés, il sera intéressant de voir la marge de manœuvre des lauréats et de découvrir leurs propositions dans le cadre de ce ‘tactical urbanism’ à budget serré.
Christophe Leray
* Le futur visage de sept grandes places parisiennes, par Bertrand Gréco, Le JDD, 5 mars 2016
** A Nation, le Tactical urbanisme aide à repenser la place, par Fabrice Pouliquen, 20 Minutes, 13 mars 2016
***Voir notre article De l’intelligence appliquée aux espaces urbains