Après les jeux olympiques de Paris, moment estival d’euphorie collective, la vie normale reprend son cours, et Anne Hidalgo, maire de Paris, de surfer sur la vague positive pour faire passer ses idées. Ainsi en plus des anneaux olympiques en colifichet sur la tour Eiffel, le pont d’Iéna sera désormais interdit aux voitures… Le pont se trouvant ainsi déclassé en simple passerelle en sera-t-il rebaptisé ? Allez savoir !
Cette future passerelle d’Iéna n’est pas la première passerelle de Paris, la plus proche pour les piétons pour franchir la Seine étant la passerelle Debilly, juste à côté du… pont d’Iéna !
Au-delà de toute posture idéologique sur la pertinence ou non de transformer le pont d’Iéna en passerelle, d’évidence une telle décision fait preuve d’une réelle inculture urbaine et ressemble surtout une décision d’enfant gâtée !
En effet, un pont est un ouvrage extrêmement complexe et coûteux, nombre de villes dans le monde et en France pèsent et soupèsent la décision de construire un pont tant l’aventure aujourd’hui encore est périlleuse et extrêmement onéreuse… Pendant ce temps-là, Paris en compte tellement qu’un simple revers de main peut décider d’en fermer un.
La différence entre un pont et une passerelle est que cette dernière ne sert qu’au flux piéton et cycliste, dès lors, dans sa constitution même la passerelle est différente. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer les dimensions : sur la largeur du pont d’Iéna – 35 m – il y a de quoi faire tenir plus de quatre passerelles Debilly, quatre passerelles des arts, trois passerelles Simone de Beauvoir ou encore 2,5 passerelles Solferino, la plus large de toutes car voulue comme une place publique sur la Seine.
Converti en unité de mesure parisienne actuelle, cela représente 23,3 pistes cyclables de large ! ou encore 58 issues de secours, de quoi évacuer l’ensemble de la tour Eiffel en un temps record !
Au-delà de ces dimensions qui ne sont pas à l’échelle du piéton, ce qui est notablement différent entre une passerelle et un pont est le rapport au site. Toutes les passerelles qui la franchissent offrent une vue sur la Seine, des garde-corps le plus transparent possible permettant en situation assise de voir le fleuve et d’embrasser le paysage à l’opposé du parapet en pierre d’un pont qui protège de la chute les différents véhicules l’empruntant et qui limite tout intérêt à s’asseoir ou stationner à cet endroit, la vue étant limitée à un rapport au ciel.
Enfin, transformer un pont prévu pour la circulation en passerelle piétonne pose une réelle question écologique : pourquoi mettre en œuvre toute cette matière juste pour faire transiter quelques piétons ? En effet, avant même que toute la filière de la construction se voit imposer de soupeser le moindre gramme de carbone utilisé, les ingénieurs notamment des ouvrages d’art ont toujours veillé à optimiser la matière mise en œuvre en fonction de l’obstacle à franchir et de ce que l’ouvrage devait supporter comme charge. Au même titre qu’il n’est pas pertinent écologiquement de se promener seul dans un gros véhicule, il n’est pas pertinent de sous utiliser un ouvrage d’art, d’autant qu’il devra quand même, comme tout pont, recevoir un coûteux entretien.
Peut-être la mairie aura-t-elle cependant la bonne idée d’offrir la passerelle Debilly devenue inutile à côté de la passerelle d’Iéna à une commune n’ayant pas les moyens de s’en construire une ? Ou, dans un souci de redimensionnement de l’ouvrage à une échelle plus piétonnière, d’offrir la matière ainsi gagnée pour construire un ouvrage d’art ailleurs dans un pays en manque de moyens, dans un esprit de réemploi, d’économie circulaire et vertueuse qui lui tient tant à cœur…
Au-delà du cas particulier et anecdotique de ce pauvre pont, n’ayant d’autre enjeu qu’un strict petit combat de coqs politiques, c’est en réalité la déliquescence de la pensée de la mobilité à l’échelle du territoire qui interroge. Ce pont devenu passerelle engendrera à l’échelle des deux quartiers qu’il relit des dysfonctionnements étendus au périmètre des deux ponts amont et aval qui reprendront sa charge mais, pour le reste, c’est un micro phénomène parisiano-parisien.
Élargissons le débat au périphérique, qui lui aussi cristallise quelques tensions. La posture politique de la maire embastillée est d’en abaisser la vitesse à 50 km/h quand la vitesse moyenne en journée est de 36 km/h tandis que 80 % de ses usagers ne votent pas à Paris ; ici, l’enjeu électoral strictement local s’impose sans aucune prise en compte de l’intérêt général.
Pour ce faire il faudrait d’abord que l’État retrouve son pouvoir régalien d’aménagement du territoire qu’il a abandonné en transférant progressivement – encore 17 000 km en 2024 – l’essentiel du réseau national aux départements, où chaque potentat local fait ce qu’il veut.*
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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