Dans contexte, il y a conte. C’est le raccourci que semble avoir utilisé l’architecte tchèque Jan Šepka pour inscrire une petite maison individuelle bien déjantée de 80 m² au cœur d’un village non loin de Prague. Encore faut-il se méfier des légendes et autres histoires d’horreur. A l’Est, du nouveau ?
Quand j’étais petit, j’aimais écouter ma babouchka me raconter des histoires. Surtout l’été, sous le porche de notre petite datcha en bois, située à une heure de voiture de Saint-Pétersbourg. En juillet, le soleil ne s’y couchait pas avant minuit (au moins !) et la douce atmosphère fraîche et humide poussait de nombreux petits garçons comme moi à écouter les histoires que racontaient les grand-mères sur le pas de la porte, avant de rentrer boire du thé avec de la tourte aux myrtilles.
Assis sous le porche, j’écoutais Babouchka. Double culture franco-russe oblige, mes bottines en caoutchouc bien soviétiques comme il faut contrastaient fortement avec mon maillot du Paris Saint-Germain. Ma grand-mère avait évidemment son tricot de laine et son foulard aux motifs slaves sur la tête. Ça sentait les grillades et Brian Adams meuglait au loin du coffre d’une Lada.
Il y avait une histoire à laquelle les enfants n’échappaient pas : celle de la maison de «Baba Yaga». Baba Yaga est une sorte de sorcière parfaitement cinglée qui se déplace dans un tonneau de bois complètement déglingué en s’aidant de son balai. Elle kidnappe des petits enfants et les emmène chez elle pour les faire rôtir. Street-crédible ! J’adorais le concept !
C’est à travers ce conte loufoque que, pour la première fois de ma vie, je fus intrigué par un concept architectural. En fait, le personnage de Baba-Yaga ne m’intéressait pas tant que la maison dans laquelle elle habitait. En plus d’être méchante et sournoise, la Baba-Yaga avait une maison très étrange. C’était une sorte de bâtisse traditionnelle de forme carrée, faîte en rondins de bois très solides et posée … sur des pattes de poule. Ainsi, la maison pouvait marcher, courir, tourner les talons. Elle était «à moitié vivante» et obéissait aux ordres de Baba-Yaga.
Par quel subterfuge cette maisonnette aux pieds de poule pouvait-elle bouger ainsi ? Cette question attisait beaucoup ma curiosité et ma grand-mère, bien que n’y connaissant absolument rien en architecture, avait, comme de nombreuses grand-mères, beaucoup d’imagination. A chaque fois, elle inventait moult précisions pour expliquer comment et pourquoi la maison aux pattes de poule pouvait se déplacer et s’adapter au terrain sur lequel elle se trouvait. Parfois, c’était par un système de poulie, parfois grâce à un mécanisme d’horloge géant qui rouillait souvent et qu’il fallait huiler copieusement pour ne pas que la maison grince. Une maison avec des jambes, je trouvais ça génial.
Récemment, en furetant dans la rubrique architecture du quotidien praguois iDnes, je tombai sur une maison qui m’a aussitôt rappelée Baba-Yaga (et ma grand-mère). Elle se trouve dans la commune de Kyje, à 80 km au nord-est de Prague. C’est une maison en forme de cloche qui se dresse dans une pente, entourée d’arbres tout juste arrivés à maturité et dotée d’un socle en béton armé qui fait penser à une grosse jambe. Tel un œil en plein milieu d’un visage, la grande baie vitrée, orientée vers le nord, rend la construction plus vivante encore. La maison semble être comme «sur le départ», pouvant bouger, parler, surveiller les environs.
J’apprends alors que le concept a été imaginé par l’architecte tchèque Jan Šepka. Ce dernier a réalisé cette maison de 80m² de surface habitable à une vitesse éclair, en seulement deux mois. Les poutres ont été entièrement conçues à l’aide d’une fraiseuse 3D par ordinateur et la maison a été livrée … en kit.
Il s’agit d’une maison familiale de style «rétrofuturiste», selon son auteur, qui semble s’être parfaitement intégrée sur un terrain en pente, en plein milieu des arbres que l’architecte a absolument voulu intégrer au décor.
Jan Šepka parle de «concept de la Maison-Verger». «Bien sûr, le jardin dans lequel s’intègre la maison est essentiel. Mais l’orientation et la pente du terrain jouent également un rôle important et intéressant», explique-t-il.
De son salon, l’habitant a vue sur la vallée, tandis que les chambres sont orientées vers l’est et le sud. Grâce à la grande lucarne supérieure, le salon est très lumineux. Deux chambres, deux salles de bains ainsi qu’un petit bureau situé juste sous la grande lucarne viennent compléter le tout.
L’intérieur est sobre et minimaliste. Dans le salon, point central de la maison, les armoires sont encastrées dans les murs, offrant beaucoup d’espace. Les salles de bains, la cuisine et le bureau sont équipés uniquement de meubles basiques. Aux murs, des lampes LED permettent d’accentuer la lumière sans prendre de place.
Sur le côté sud, la forme circulaire de la construction se scinde en deux carrés où se trouvent les chambres et la cuisine. La maison est en bois, notamment en contreplaqué de bouleau, mais les fondations sont en béton armé. L’épais socle fait inévitablement penser à un pied sur lequel tient la bâtisse. La structure se marie parfaitement à la pente.
La forme irrégulière du bâtiment est divisée en plusieurs surfaces triangulaires planes, qui assurent la rigidité statique des structures en bois. A l’intérieur, les murs et le plafond sont en bois et isolés de l’extérieur avec du polyuréthane, protégeant intégralement la maison de l’humidité.
Cette maison, tel un champignon géant, fait partie intégrante du décor naturel. Si je m’étais trouvé en face, je me serais délecté à l’imaginer bouger, à m’imaginer la manipuler, comme si, à mon signal, elle se tournerait vers moi, comme celle de Baba-Yaga.
M’imaginant piloter cette maison qui m’a fait, le temps d’un café-clope, retomber en enfance, je me rends soudain compte que l’architecte n’a que faire de mes divagations : «Cette maison n’a rien à voir avec l’architecture. Je n’ai pas plus été inspiré par un arbre que par un champignon ou une éponge. Grâce à cette ‘jambe en béton’ et la passerelle en acier, la maison tient parfaitement sur la pente et cela nous a permis d’économiser 500 000 couronnes (19 000 euros)», explique à ma grande déception Jan Šepka.
Dans contexte économique, il y a peu de place pour les fables.
Kyrill Kotikov