Les derniers mois de l’année signent traditionnellement pléthore de récompenses estampillées « meilleure » et « architecture » dans le titre. Bien peu nombreux sont ceux capables de citer tous les prix de la profession. Alors, à quoi bon ?
Sans viser l’exhaustivité, quelques-uns de ces prix méritent d’être ici rappelés : Les grands prix d’architecture du Moniteur (ex-Equerre d’argent), les Albums des jeunes architectes et paysagistes, le Grand Prix national d’architecture du ministère de la Culture, le grand prix d’architecture des Beaux-Arts de l’Institut de France, les prix D’Architectures de la revue D’A, les prix des meilleurs mémoires d’étudiants de la Maison de l’Architecture en IDF, les prix des CAUE, le Trophée Béton, le prix de la construction bois, le Trophée Eiffel, Le prix de l’Académie d’architecture, le prix Terra Fibra sans oublier les prix internationaux comme le Pritzker, Le prix de l’UE pour l’architecture contemporaine Mies Van der Rohe ou encore le Premium Imperial. Ouf !
Entre les prix de prestige qui soulignent une œuvre, les prix d’institutions, les prix de la presse, les prix des constructeurs et des fabricants, la multiplication des prix n’est pas le signe d’une architecture riche, variée et contextuelle.
Une première question s’impose : que récompensent tous ces jurys exactement ? Les architectes ? Sûrement, puisque ce sont des noms qui sont mis en tête de gondole. L’architecture ? Rien n’est moins sûr tant les belles images des bâtiments construits mais non visités sont vites oubliées d’une année sur l’autre.
Désormais le « prix » est une marque, une affiliation à des amitiés, un matériau. Il n’est plus gage ni d’une révélation ni de reconnaissance professionnelle, ou si peu. Car pour jouir d’une telle renommée, il faudrait que toutes les agences puissent avoir accès de façon égale aux prix. Ce qui est possible en théorie mais bien moins en pratique. Déjà parce que ce sont aux agences de candidater en envoyant un dossier avec de belles images (commander à des photographes spécialisés de plus en plus renommés) accompagné, souvent, d’un chèque allant de quelques dizaines à quelques centaines d’euros.
Notons à ce propos que ce sont les prix d’apparence plus prestigieuse qui sont devenus payants quand ceux organisés par les fabricants ou les institutions publiques restent le plus libre accès. Payer est-il gage d’avoir la chance de figurer dans un palmarès d’envergure et de qualité ? Rien n’est moins sûr. Avant que le prix du Moniteur de l’Equerre d’Argent devienne payant, le palmarès n’était-il pas plus national ; les journalistes et jury visitant chaque bâtiment ? L’architecture se vit et se visite, quel crédit alors accorder à des récompenses qui soulignent des matérialités non expérimentées ou des dessins non éprouvés ?
Candidater a donc un coût et toutes les agences ne peuvent pas monopoliser un collaborateur, un reportage photographique, un chèque, une campagne de presse. L’accès au palmarès des prix d’architecture devient donc réservé à une élite, ou plutôt à deux élites. Celle capable de jouer, sans certitude de gagner, et celle capable de gagner et pour qui l’investissement est presque sûr d’être rentabilisé. En effet, comme pour tous les prix, pour avoir une chance de gagner, il faut que les jurys aient vu le projet dans les revues ou en avoir entendu parler dans les conférences.
Si chacun se connaît c’est mieux. Comme dans tous les domaines, il y a les habitués des prix et des jurys. Est-ce à dire que ceux qui, par choix ou manque de liquidités passent sous les radars de l’ordre établi, ne sont jamais dignes d’une distinction ?
Pour ces prix d’architecture, peut-être serait-il plus pertinent de parler des palmarès en termes de « concours », ce qui rendrait une nuance et une grandeur aux quelques prix décernés à des agences pour leur travail.
Surprise, 2021 aura été l’année d’une Equerre d’Argent dont les lauréats, annoncés le 22 novembre, portent une architecture plus jeune et monopolisant moins ostensiblement la place publique. Un retour au plus près de l’essence de la récompense initiale, dont le prix et la publicité associée assuraient une nouvelle notoriété au talent d’agences peu connues, et non pas l’inverse comme ce fut le cas ces quelques dernières années. Le palmarès 2021, c’est aussi une architecture un peu plus ancrée dans le réel, avec des logements issus de la commande privée mais savamment dessinés et exécutés ou encore un Prix spécial de la première œuvre en relation directe avec l’évolution des besoins de la ville.*
Finalement, la très grande majorité des prix se fait à la demande. Quand toutes une profession ne participe pas, un prix est-il légitime pour tous ? De quoi est-il par ailleurs question ? Que reconnait, souligne, glorifie un titre ? A l’heure où l’architecte a de moins en moins de place dans la prise de décision et quand la norme et la mode valent réflexion, que regardent les jurys ?
L’éclairage sur la matérialité, le dessin ou l’urbanité du bâtiment sont-ils la priorité des postulants récipiendaires ? Pour une agence, l’important n’est-il pas d’abord d’être ne serait-ce que nommé et de le communiquer ? Il y a sans aucun doute un besoin de reconnaissance de la part des architectes qui ne sont plus considérés comme des créateurs mais des prestataires. Être retenu pour une médaille est surtout un élément de plus à la communication des agences. Pourtant, à l’heure des réseaux sociaux, quand les bâtiments ont déjà été surmédiatisés et célébrés sous toutes leurs coutures depuis le concours, se pose la question de la pertinence même de cet aspect positif d’un prix.
Quelle en est encore la valeur quand il s’agit de concours très spécialisés, à l’initiative des associations de fabricants de matériaux ? Quel débat quand l’arène est celle de l’entre-soi du béton, du bois, de l’acier et bientôt de la terre ? Bref, quand a été éliminé de la salle tout potentiel de discussion.
Sans nécessairement inféoder l’architecture à la construction, une matérialité réussie est aussi le fruit d’une belle collaboration entre un architecte et les compagnons. Ils sont peu nombreux les prix leur étant dédiés… Or la qualité d’une architecture est aussi due à sa mise en œuvre et à la relation qu’entretient l’architecte avec son ou ses entreprises.
Plutôt qu’un business, un prix d’architecture devrait contribuer au débat sur l’architecture et la politique de la ville, conduire à s’interroger sur l’évolution des pratiques, des formes, des techniques, mettre en exergue la diversité des pratiques, faire émerger de nouvelles agences, etc. Mais bon, c’est la théorie.
Comment conclure sans évoquer une autre surprise ? le Grand Prix d’Architecture de l’Académie des beaux-arts (Prix Charles Abella) 2021 a été décerné le 17 novembre à Henri Ciriani, maître ou gourou d’un autre temps, dont l’œuvre ne pourrait plus aujourd’hui être dans l’air du temps : trop complexe, trop de béton, trop de présence en ville… Pourtant, l’unanimité heureuse de ces disciples face à la nouvelle confinerait presque à l’épitaphe. Mieux que bien des prix, l’honorable reconnaissance de l’œuvre, de l’architecte et de l’enseignement par ses pairs.
Alice Delaleu
* Palmarès 2021 de l’Equerre d’Argent
Prix de l’Equerre d’argent 2021 : Equipements de services publics à Neuvecelle (Haute-Savoie)
Maîtrise d’ouvrage : commune de Neuvecelle
Architecte : Atelier PNG Architecture ; Julien Boidot et Emilien Robin, architectes associés
Prix dans la catégorie « habitat » : 14 logements locatifs à Paris (XIIe)
Maîtrise d’ouvrage : Gecina
Architecte : Mars Architectes
Prix dans la catégorie « lieux d’activités » : Poste d’aiguillage à Nantes (Loire-Atlantique)
Maîtrise d’ouvrage : SNCF Réseau
Architecte : Titan
Prix dans la catégorie « culture, jeunesse et sport » : Bourse de Commerce – Musée de la Collection Pinault à Paris (IIe)
Maîtrise d’ouvrage : Pinault Collection
Architecte : NeM / Niney et Marca Architectes ; Tadao Ando Architect & Associates (TAAA), architecte associé ; Agence Pierre-Antoine Gatier (PAG), ACMH
Prix dans la catégorie « espaces publics et paysagers » : Jardin, esplanade et parking à la friche de la Belle de Mai à Marseille (Bouches-du-Rhône)
Maîtrise d’ouvrage : SCIC Friche de la Belle de Mai
Maîtrise d’œuvre : Kristell Filotico Architecte ; Atelier Roberta, paysagiste associé
Prix de la Première œuvre : Ateliers d’artiste et logement à Sergy (Ain)
Maîtrise d’ouvrage : SCI Bermuda associés
Architecte : Atelier ACTM
Mention spéciale du jury au prix de la première œuvre : Espace urbain de distribution et commerce à Paris (XIXe)
Maîtrise d’ouvrage : Sogaris
Architecte : Syvil
Jury : Christian de Portzamparc (2Portzamparc), Stephen Barrett, (Rogers-Stirk-Harbour + Partners), Lina Ghotmeh (Lina Ghotmeh Architecture), Olivier Haye (Sogelym-Dixence), Pierre-René Lemas, Préfet, Léa Mosconi, Présidente de la Maison de l’architecture en Ile-de-France, Félix Mulle (Atelier de l’Ourcq), Umberto Napolitano (LAN), Franck Poirier (Base – Paysage et urbanisme), Marie Schweitzer (l’Atelier d’architecture Marie Schweitzer), Fabien Renou (Le Moniteur) et Gilles Davoine (AMC)