En Russie, la municipalité de Saint-Pétersbourg envisage d’ici à 2019, pour les 75 ans de la libération de la ville, la construction d’un nouveau Musée du Blocus de Leningrad. Si la mairie désire ériger un monument plus moderne que les mémoriaux très staliniens ornant déjà la ville, la sobriété et la droiture soviétiques demeurent à l’ordre du jour et toute extravagance est proscrite. A l’Est, du nouveau ?
Contexte
D’aucuns connaissent la valeur que représente pour les Russes les mémoriaux de la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle près de 25 millions de Soviétiques ont perdu la vie. De nos jours encore, la sacralité de ces édifices est inscrite dans l’histoire et les esprits. Les Russes entretiennent depuis des décennies un devoir de mémoire de cette période néfaste et vouent un profond respect aux survivants de cette tragédie.
En janvier 2019, la ville de Saint-Pétersbourg, deuxième du pays, fêtera les 75 ans de la libération de Leningrad (son nom à l’époque) du siège nazi qui fut imposé à la ville de septembre 1941 à janvier 1944. Durant 872 jours de blocus, les Pétersbourgeois ont vécu dans des conditions effroyables, sans eau ni chauffage, sans électricité ni vivres. Près de 1,5 million de Pétersbourgeois sont morts de faim et de froid.
Aussi, l’héroïsme de l’armée soviétique qui finit par libérer la ville (au prix de pertes humaines colossales) continue à être entretenu de nos jours à travers de nombreux monuments et mémoriaux aux quatre coins de Saint-Pétersbourg. Le plus connu et magistral d’entre eux est le «Monument à la gloire des héros défenseurs de Leningrad», construit en 1975, sous Brejnev. Situé sur la place de la Victoire, il se présente sous la forme d’un immense espace quasiment vide où se tient en plein milieu, sur un piédestal de pierre, un obélisque de 48 mètres. «Style URSS» en somme.
Si les mémoriaux de guerre soviétiques intriguent autant par leur froideur que par leur solennelle droiture, la ville de Saint-Pétersbourg semble vouloir donner un «coup de jeune à la mémoire» et prévoit d’ériger pour les 75 ans de la libération un nouveau complexe, plus moderne, qui doit rompre sensiblement avec la froide architecture stalinienne. Mais pas trop non plus. Car pour un projet relatant l’histoire et la chronologie d’une période aussi noire, la sobriété doit primer et l’extravagance n’y a pas sa place. Le complexe se doit d’être à la fois humble et grandiose.
Un appel d’offres a été lancé courant 2017 pour ce coûteux projet de 2 milliards de roubles (29 millions d’euros) qui devra être livré d’ici janvier 2019. Pour l’architecte en chef de Saint-Pétersbourg Vladimir Grigoriev, il s’agit du projet architectural «le plus important depuis plusieurs décennies».
Sur les 29 agences d’architecture du monde entier ayant envoyé leur candidature, neuf ont été sélectionnées par la municipalité pour la dernière ligne droite. Des cabinets pétersbourgeois, mais aussi norvégiens ou allemands, qui ont su convaincre le jury avec leurs jeux d’espaces à l’extérieur comme à l’intérieur de l’édifice en invitant les visiteurs à découvrir jour après jour, la chronologie du siège de Leningrad à travers un parcours circulaire.
La journaliste Nadejda Federova du quotidien «Delovoï Peterburg» («Les affaires de Saint-Pétersbourg») a su résumer les ambitieux projets retenus par le jury et qui mettent en avant survie, reconstruction et recueillement.
Kyrill Kotikov
Spirales, forteresses et cubes dans des champs de choux : les projets du nouveau Musée du Siège de Leningrad (Nadejda Federova, «Delovoï Peterburg»)
Le manège du musée de la place des cavaliers accueille actuellement une exposition de projets architecturaux pour le nouveau Musée de la défense de Leningrad. Sur les 29 studios d’architecture issus de pays différents ayant présenté leurs candidatures, neuf ont été sélectionnés par le jury à l’issue de la première étape de la compétition. Le gagnant sera désigné d’ici la fin du mois de septembre. D’ici là, les visiteurs de l’exposition peuvent voter pour le projet de leur choix, ainsi que sur le site Internet du comité d’urbanisme et d’architecture. Le choix final reviendra au Jury qui aura le dernier mot après consultation des votes.
Le nouveau complexe sera construit sur le quai Smolnaïa, sur un terrain de 1,75 hectare, qui a été littéralement «coupé» du canal. D’une superficie totale de 25 000 m², il coûtera au budget de la ville environ deux milliards de roubles, selon les dires du vice-gouverneur de Saint-Pétersbourg Vladimir Kirillov à l’ouverture de l’exposition. Au début de l’année 2017, le montant des investissements était estimé inférieur à 1,4 milliard de roubles. Mais quelques mois plus tard, la superficie du complexe a été étendue de 10 000 m² supplémentaires. Malgré l’ampleur du projet, il devra être livré d’ici janvier 2019 au plus tard, pour le 75ème anniversaire de la levée du Blocus de Leningrad.
Le complexe devra être doté d’un espace qui accueillera une exposition permanente, ainsi que des expositions temporaires. Il comprendra un auditorium pour la tenue de conférences, ainsi que le fameux «Institut de la mémoire». «C’est le projet architectural le plus important depuis plusieurs décennies», a déclaré l’architecte en chef de Saint-Pétersbourg Vladimir Grigoriev à l’ouverture de l’exposition des projets.
Si parmi les concurrents retenus par le jury, certains bureaux ont mis l’accent sur les formes architecturales extérieures, d’autres ont choisi de se focaliser sur les jeux d’espace à l’intérieur du futur bâtiment. Par exemple, le projet du Bureau Zemtsov, Kondiain et Partners, se présente sous la forme d’une douce colline qui descend progressivement sur la Neva (le fleuve qui traverse Saint-Pétersbourg NDLR), englobant par un anneau l’espace du musée. Le bâtiment vient, lui, briser cet anneau.
Faîtes le tour et montez
Le bureau pétersbourgeois Studio 44 et le norvégien Snøhetta ont présenté des idées particulièrement intéressantes pour la réalisation du projet. Ainsi, le chef du Studio 44, Nikita Yaveïn, suggère par exemple d’ériger le musée en cercle en tenant compte de la chronologie de la période du blocus par une sorte de diorama historique. Plusieurs pavillons thématiques seraient alors construits mettant en scène la vie quotidienne des Pétersbourgeois durant le blocus, ainsi qu’un espace où les visiteurs pourront se recueillir dans la sérénité et réfléchir sur cette période néfaste de famine et de bombardements incessants.
Les architectes du bureau norvégien Snøhetta, voient également l’exposition comme un parcours à travers 872 jours de blocus. Intitulé «Vers la lumière», l’édifice proposé par Snøhetta comprend un parcours de bas en haut où la lumière est utilisée comme ligne directrice. «La lumière naturelle indirecte crée pour le visiteur la possibilité de naviguer entre les galeries et les espaces du musée. Ils n’ont qu’à suivre la lumière et monter d’étage en étage pour achever leur voyage sur une spacieuse terrasse sur le toit avec une vue imprenable sur le parc commémoratif et la Neva», expliquent les auteurs du projet.
Le bureau norvégien propose de diviser les fonctionnalités du complexe en plusieurs bâtiments différents, qui seront situés dans le parc commémoratif, où se tiendront des expositions en plein air. Devant l’entrée du bâtiment principal du musée, Snøhetta imagine un paysage champêtre : des champs de céréales et des plantations de choux, en référence à la nourriture vitale dont manquaient les Pétersbourgeois durant le siège nazi.
Cubes et spirales
L’Institut de design de Moscou Arena propose quant à lui de construire un ensemble de forme ronde. La forme circulaire a été choisie par l’architecte Mikhaïl Mamochine qui y voit une allusion à «la forteresse qu’est Saint-Pétersbourg». L’un des éléments de la zone commémorative proposée par l’architecte sera le «mur de la mémoire» où les noms de la totalité des victimes seront gravés. Étant donné que l’identification des morts durant le siège est toujours en cours, les niches ancrées dans les murs seront remplies progressivement.
Le bureau allemand Thomas Herzog Architekten a choisi la forme d’une pyramide inversée en bronze, tandis que le studio pétersbourgeois AMR d’Oleg Romanov a divisé le bâtiment en plusieurs grands cubes reliés entre eux.
Le bureau A-Len de Sergueï Orechkine a présenté le concept d’un bâtiment que le visiteur pourra arpenter du bas vers le haut par un escalier-amphithéâtre menant au toit du bâtiment. Ce dernier sera réservé à une exposition extérieure d’équipement militaire.
Le studio finlandais Lahdelma & Mahlamaki a présenté un projet en forme de spirale, symbolisant selon ses architectes «la continuité historique, la fermeté de l’esprit humain et, en même temps, la fragilité de la vie humaine». «L’Institut de la mémoire et les espaces d’exposition sont conçus pour travailler et réfléchir sur le passé et pour préserver la mémoire des héros de cette période», explique les architectes finlandais.
Tout en se souvenant du passé, le visiteur peut ainsi aller vers l’avenir, se déplacer de plus en plus loin le long de l’escalier en colimaçon. La forme dynamique, fière et monumentale de la spirale symbolise le chemin vers l’avenir, la capacité de l’humain à survivre aux cataclysmes et de retrouver la vie après les pires tragédies.
Nadejda Federova
Traduction : Kyrill Kotikov