Fin octobre 2007, Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider étaient lauréats du Prix de la première œuvre pour la Cité Artisanale de Valbonne. Le premier mérite en revient sans doute au maître d’ouvrage, qui a pris des risques. Mais ces jeunes architectes ont su, à partir d’un concept éminemment urbain, démontrer que ces risques étaient parfaitement calculés.
« L’histoire commence avant nous et il est très important, dans le déroulement de cette Cité, de mettre en exergue la volonté politique, qui date de quinze ans, du maire qui souhaitait que ce lieu possède une véritable unité architecturale et exprime une vraie volonté qualitative« , expliquent Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider. Les architectes aiment à répéter qu’il n’y a pas de bonne architecture sans bon maître d’ouvrage et, pour le coup, l’hommage des premiers au second vaut qu’on s’y arrête une minute.
Les élus souhaitaient une zone (ce n’était pas encore une cité) artisanale afin de permettre aux artisans valbonnais de disposer de locaux modernes adaptés à leurs besoins sur une commune dont le Parc International de Sophia Antipolis, qui ne leur est pas ouvert, couvre 50% du territoire. Marc Daunis, le maire, aurait pu opter pour un simple lotissement et se retrouver, sans autre souci, avec une série de hangars hétéroclites plus ou moins bien réussis et un ‘mitage’ artisanal. Plus risqué, il a choisi une opération de bâtiments construits, puis cédés ou loués aux artisans. En clair, il s’agissait donc d’une commande publique mais destinée à la vente, la mairie jouant un rôle de promoteur tout en s’engageant à ne pas réaliser de bénéfice. A cette fin, la commune a acheté un terrain de 17.742 m² près d’un quartier résidentiel et lancé un concours mettant l’accent sur un « développement harmonieux des activités des artisans, dans le respect du quartier et de ses habitants, avec une maîtrise de l’aspect qualitatif de cette opération et un souci de ‘qualité environnementale‘ ». Cinq équipes sont retenues.
Lors de la consultation des équipes de maîtrise d’œuvre, le programme n’est qu’une première synthèse des besoins exprimés par les artisans pressentis comme futurs acquéreurs et des règles d’urbanisme fixée par la mairie lors de l’établissement de son Plan d’occupation des sols. La capacité du site est de 4500 m² SHON, ce qui implique 130 places de stationnement, la hauteur autorisée est de 6 m à l’égout du toit et les alignements aux voies sont de 30 m par rapport à l’axe de la route départementale et 10 m par rapport à l’axe des voies communales. A ce stade, les activités des artisans sont inconnues pour les concurrents, leurs demandes variant de 40 à 800 m². « La première difficulté fut d’imaginer un système modulaire et souple capable d’évoluer pour s’adapter à la demande définitive ; la seconde fut de définir l’artisanat puisque un pâtissier est un artisan au même titre qu’un carrossier. Nous savions juste qu’il y aurait des zones de productions« , explique Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider.
« Nous avons pris à la lettre ces notions de cité, exprimée dans le concours, et de production. Il nous est apparu d’une part que les marges du terrain – soit l’épaisseur entre les voies de circulation et les limites constructibles, un espace boisé de qualité – risquaient d’être envahies et polluées par des déchets de production que le projet se devait donc de maîtriser. D’autre part, nous avons interprété la notion de CITE artisanale, en opposition à celle de ZONE qu’elle soit artisanale ou industrielle, de façon littérale : ville généralement ceinte de murs et doté d’une certaine autonomie« , disent-ils. Il en résulte un projet global organisé sur la base d’un carré dynamique édifié aux limites constructives où « tout se passe à l’intérieur, y compris les réseaux » ; l’enceinte des bâtiments protège la périphérie – les espaces boisés restent à l’état naturel et accessibles par tous – et vice-versa, et un espace partagé par les usagers en cœur d’îlot susceptible d’occasionner une synergie entre les différents métiers est imaginé. Cette approche emporte l’adhésion du jury.
« Nous avons développé une trame de 7mx14m pour obtenir une surface d’environ 100m². Ce module est divisible pour atteindre une surface minimale de 50m². L’assemblage permet d’obtenir des ateliers de 300m² qui deviennent à leur tour un module de base de 14mx21m pour répondre aux ateliers de grandes dimensions jusqu’à 900m². Le module de base est couvert par une toiture mono pente dont le point bas est à 6m de haut pour atteindre 8m en point haut. La plus grande façade est composée en partie basse d’une porte coulissante de 12m² et en partie haute d’un panneau translucide de 21m², d’une fenêtre servant de ventilation (ou de désenfumage pour les locaux de plus de 300m²) et d’une grille de 2,5m² permettant d’accueillir les organes de ventilation mécaniques ou de climatisation à l’intérieur des locaux. L’assemblage en quinconce des volumes permet de rendre les ateliers traversants« , détaillent les architectes.
A l’issue du concours, Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider mettent en place une grille pour de mini workshops avec les artisans afin de connaître leurs activités et leurs besoins. Ces rencontres en présence du maître d’ouvrage ont permis d’affiner le projet et de valider un grand nombre de principes notamment en matière d’énergie (Gaz ou pas ? par exemple), de livraison (camions ou pas ? de quelle taille ? Quel angle de giration nécessaire ? Quelle structure pour la voie en cœur d’îlot ? Etc.) et de regroupement d’activité en fonction des nuisances (bruit, déchets, etc.). « Cette mise en cohérence était d’autant plus nécessaire que la totalité des aménagements des ateliers restent à la charge des artisans« , disent-ils.
Si plusieurs artisans n’avaient pas de notions précises de leurs besoins – un pâtissier oriental s’est souvenu plus tard qu’il avait besoin de chambre froide – d’autres au contraire avaient des besoins spécifiques, comme ce garagiste carrossier à qui il fallait une fosse et un parking spécifique pour ses épaves désossées. Une mise au point assez délicate en ce sens que, face à ces demandes particulières et pointues, le risque était de se retrouver au final avec 23 (le nombre d’artisans pré inscrits) projets alors même qu’il fallait aux architectes prendre des décisions prospectives, les options retenues devant répondre aux besoins actuels et futurs, quelle que soit l’activité de l’artisan. « Chacun a joué son rôle, notamment le maître d’ouvrage qui a servi de filtre et ne nous a fait remonter que les demandes légitimes« , disent-ils.
Une prudence qui s’est révélée payante, au sens propre, puisque au final, la moitié de ces artisans se sont finalement désistés. « Il y a eu un moment de flou mais notre système, qui fonctionne pareillement pour tout le monde, fait qu’aujourd’hui tout est vendu« , se félicitent les architectes. Après être parvenus à anticiper sur un programme livré non fini – ils n’ont livré que le clos couvert réellement, l’aménagement intérieur revenant aux artisans eux-mêmes – ils ont par ailleurs, là encore en parfaite collaboration avec la maîtrise d’ouvrage, largement anticipé l’avenir de la Cité :
– D’une part Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider se sont attachés à valoriser pour les acquéreurs la notion d’investissement sachant que ceux qui achètent ces espaces pensent aussi à leur retraite et doivent pouvoir les revendre, d’où l’adaptation inhérente à chaque espace (ou presque) ;
– d’autre part, ils ont été très attentifs à ce que cette cité artisanale le demeure en bannissant explicitement toute entreprise commerciale. Pour deux raisons, la première étant que les règles régissant des ateliers ne sont pas les mêmes que celles d’ERP, la seconde étant que le commerce aurait fait flamber les prix et poussé, à termes, les artisans hors de la Cité ;
– Enfin, ils ont collaboré à la rédaction du cahier des charges de la copropriété (emplacements, dimensions, signalétique, droit d’intervention sur les façades, etc.) afin de conserver dans le temps au projet sa cohérence globale. Ainsi ils ont été prévenus quand le pâtissier a voulu installer sa chambre froide et qu’il a eu besoin d’extracteur d’air monumentaux. « Autant que ces aménagements se fassent avec nous, quitte à faire quelques concessions », disent-ils.
« Le hic« , pour les citer, est que les artisans se sont appropriés les lieux sans forcément s’appliquer à cet effort de prospective. En témoigne notamment les mezzanines construites depuis leur installation. Les architectes avaient anticipé le besoin, prévoyant que 25% de la surface pouvait être ainsi valorisée. Mais les propriétaires sont allés largement au-delà, jusqu’à 75% de la surface. Cela pose des problèmes de lumière mais, surtout, des problèmes de densité. « Nous sommes dans un espace fini prévu pour 100 voitures ; s’il y en a 110 parce que plus de monde que prévu travaille ici, les 10 voitures supplémentaires poseront des problèmes« , expliquent-ils. Heureusement, ils avaient anticipé le marquage au sol personnalisé des places de parking…
Christophe Leray
*Le budget : la fourchette de prix annoncée par le Maire de Valbonne aux artisans se situait entre 1.100 et 1.300 € /m² y compris foncier et honoraires (maîtrise d’œuvre, maîtrise d’ouvrage déléguée, bureaux de contrôle, notaire….). La mairie s’est engagée à ce titre à laisser ouvert l’ensemble du montage financier et de ne faire aucun bénéfice sur le foncier. L’enveloppe financière dévolue aux travaux en fin de chantier s’élève à 3.582.423 € HT soit 796 €/m², les ventes sont ainsi réalisées sur la base de 1.200€ /m².
Fiche technique
Maître d’ouvrage : Ville de Valbonne (06), mandataire : SOVALAC
Livraison : juillet 2007
Durée du chantier : 10 MOIS
Surface : 4.500 M² H.O.N.
Montant des travaux* : 3.582 K€ HT
Mission : Complète loi MOP + EXE
Equipe de maîtrise d’oeuvre : COMTE & VOLLENWEIDER Architectes
NAVARRO Paysagiste
ARTEMIS économie de la construction
SETOR Bureau d’études béton
STEUERWALD bureau d’études structure bois
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 12 novembre 2007