En ville, l’architecte est dépouillé de ses compétences par tout un tas de gens bien intentionnés. A la campagne, c’est le contraire, où ses vastes compétences et connaissances sont requises, gratuitement, pour mener à bien nombre de projets. Paradoxe ? Quel serait pour l’architecte le gage d’une rémunération honnête ? Et si la solution passait par l’abandon des honoraires ?
Les agences, celles des grands projets publics ou privés, se voient désormais imposer dans leur pratique, au-delà des habituels bureaux d’études et économistes, une litanie d’écologues, paysagistes, juristes, managers BIM, végétalistes, etc., un trop-plein de compétences disparates qui tendent, en plus de budgets toujours plus rognés et d’exigences toujours plus élevées, à dépouiller les architectes de leur capacité d’initiative tout en transformant leurs honoraires en peau de chagrin.
Pour le coup, ces honoraires finissent par ne plus correspondre à rien de réellement quantifiables. Le prix ne vaut pas le croquis, ni les heures passées à gérer le projet, les externalités, les clients, le chantier. Un projet à un ou deux millions avec 10% d’honoraires, si celui-ci sort dix ans plus tard une fois les recours épuisés, le projet aura probablement été revu plusieurs fois, avec des nouvelles réglementations, des arrangements de la part du commanditaire, et tout cela sans relever les honoraires. Si les heures passées devaient être comptées, il est difficile de penser que les agences s’en sortiraient. Et puis, être intermédiaire n’est pas la panacée.
La déconcentration et la réalisation des missions sur un territoire, dans les creux, puisqu’il est question d’un renouveau architectural, pourrait-il sauver la profession économiquement ? Rien n’est moins sûr. Certes, les expertises multiples de l’architecte sont soudain reconnues par des maires qui n’ont plus personne vers qui se tourner. Cela pourrait être certes une source de démultiplication des missions mais sans la reconnaissance financière tant il est difficile pour l’architecte dans ces conditions de se faire payer ses conseils.
L’architecte Bernard Quiriot l’évoque dans son ouvrage Simplifions*. Revenant sur le métier, et sa conception, dépassant le simple projet pour revenir à la construction, l’ouvrage se penche sur le mal-être de l’architecte qui le voit retourner à ses origines. Le besoin de s’éloigner des technostructures qui oublient l’architecture, où l’élu est autant responsable que la réglementation, se traduit par le besoin de renouer avec une échelle locale qui selon lui permet de retisser du lien, de la proximité et de revenir à l’architecture comme acte de construction, une forme d’artisanat.
Loin de Paris, il a tenté de travailler à des projets sans concours, plus modestes, mais il évoque justement les difficultés à faire reconnaître les honoraires dans ces projets. Il a dû se résoudre à reprendre les concours, par besoin économique, mais avec une critique acerbe sur leurs conditions d’accès. Bernard Quiriot a fondé par ailleurs l’association Avenir Radieux, créée pour sensibiliser à l’architecture : le conseil aux particuliers, l’organisation d’un séminaire annuel d’architecture ouvert au public, négociation avec les ABF, conseil aux collectivités sur l’architecture et l’aménagement, action de sensibilisation auprès des jeunes publics, etc. Mais la forme, une association, interroge sur l’économie de l’architecte. Les honoraires du conseil deviennent une convention de mission à destination d’une association à but non lucratif (?). La gratuité, c’est le prix à payer pour faire reconnaître une expertise et des compétences ?
Pour un projet dans les petites centralités, comment pour l’architecte s’en sortir en effet ? En imaginant rendre vie à une halle de village, avec un budget de 600 000€, l’architecte, son agence avec sa convention d’honoraires bien négociée toucherait 60 000€ ; temps de réalisation moyen trois ans. Est-ce qu’avec 60 000€ l’agence a réellement les moyens de son œuvre ? A ce compte-là, il en faut une palanquée de halles de marché pour survivre de son talent ! Difficile de penser en effet qu’une équipe, même petite, puisse subsister longtemps dans ces conditions. Il faut alors pour l’architecte, s’il veut poursuivre son activité, qui reste limitée, se déployer dans d’autres métiers, enseigner en école d’architecture par exemple ou encore, comme pour les agriculteurs, avoir un(e) conjoint(e) qui travaille en ville.
Bref la question des honoraires des architectes est posée. Dix pour cent de la commande, souvent au mieux et mangés de tous côtés par les multiples intervenants sur le projet, est-ce le meilleur moyen de quantifier leur travail ? Et s’ils veulent œuvrer dans les territoires, leur faut-il prévoir une pluriactivité, architecte-bistrotier, architecte-garagiste par exemple ?
Les avocats, tout aussi protégés, facturent à l’heure plus un pourcentage en cas de dédommagement lors d’un procès. Les médecins facturent à la consultation sur la base d’une convention d’honoraires, et non pas un pourcentage du coût de la prescription. Mais rien pour justifier la rémunération des architectes sinon en pourcentage du coût d’un chantier ? Facturer à l’heure ne permettrait-il pas, en ville ou à la campagne, de reconnaître pleinement un savoir-faire ? Après tout, même l’artisan n’est pas payé au pourcentage du coût de la chaudière qu’il vient installer mais avec un taux horaire, lui aussi.
Julie Arnault
* Bernard Quirot, Simplifions, Cosa Mentale, Marseille, 2019