Antoine Ceunebroucke est architecte. Il est aussi désormais, et de plus en plus, auteur de petits films d’animation qui apportent un vent de fraîcheur à la production compassée des vidéos d’architecture. Son plaidoyer pour que la fantaisie et la poésie redeviennent une source d’inspiration pour les hommes de l’art est prometteur. Rencontre.
L’architecture de la ville au quotidien, même si les hommes de l’art s’en défendent, manque cruellement de poésie. Certes il est difficile d’être poète avec un immeuble de logement social ou de promoteur et la perspective de la terrasse avec ses plantes vertes, sa lumière d’ambiance, les fauteuils design et la vue sur la ville fera office d’inspiration. Certes, on peut entendre Frank Gehry parler de ses bâtiments à voiles, à Chicago et à Paris, mais bon, le concept de l’édifice qui semble flotter, comme la pub le laissait entendre, avec le grand vent qui gonfle les voiles, est plutôt éculé, au moins depuis Moby Dick.
Certes le monde de la construction n’est pas un monde de poètes, il est même souvent carrément brutal. Mais, à la vérité, les architectes savent souvent ajouter des touches de poésie dans leurs bâtiments, et puisqu’ils sont contraints de toutes parts, cette sensibilité va s’exprimer dans des délaissés, un parking, voire une entrée de parking, ou sous forme de clins d’œil parfois minuscules, un détail ici, une intention là.
Même les vidéos que proposent les agences sont souvent parfaitement conventionnelles : la vue 3D, la visite virtuelle, la musique grandiloquente, parfois l’interview guindée de l’architecte. D’où l’intérêt du Festival de la vidéo d’architecture* dont le premier opus s’est tenu le 28 juin dernier à Paris. Selon David Trottin, Philippe Croisier et Thomas Corbasson qui en sont à l’initiative, «ce nouveau média où la diffusion d’images animées devient la norme, démultiplie les possibilités d’expliquer, transmettre, partager avec toujours plus de nuance, de précision mais aussi de sens critique». Pourquoi pas. Les premiers lauréats ne font pas encore démonstration d’une folle créativité mais c’est une première édition et, comme nous l’écrivions à l’instant, l’architecture, dans sa composante construite, n’est guère sujette à interprétation.
Pourtant, parmi ces lauréats, Livebox, un petit film d’Antoine Ceunebroucke détonnait justement par son éclat poétique. Il s’agit ici d’une animation en pâte à modeler réalisée selon la technique ‘stop motion’ pour une place de marché, à Bordeaux. C’est court, 1:18mn à peine, mais d’une formidable efficacité.
Antoine Ceunebroucke, diplômé de l’école de Versailles depuis 2012, indique en souriant qu’il n’a «peut-être pas le profil de ce que recherchent les agences». Plus que l’aspect technique, c’est l’aspect créatif du métier qui a suscité sa vocation : alors qu’il étudiait les arts appliqués à Angoulême, il découvre les maquettes des étudiants de l’ENSA Bordeaux lors d’une journée portes ouvertes. Il sera architecte.
«Ce sont les premières phases de création qui m’intéressent, la réalisation, le suivi de chantier, je sais déjà que ce n’est pas ma tasse de thé», dit-il. S’il vit aujourd’hui de quelques projets de rénovation, ses courtes vidéos sont en train de faire converger ses passions et transformer sa vie.
«J’avais vu des extraits et le ‘making of’ du film de Michel Gondry Conversation animée avec Noam Chomsky (2013) et la technique, très simple, m’avait tapé dans l’œil». Une table lumineuse, des feuilles de papier, des superpositions et une photo par dessin. Sa première vidéo, il la réalise pour lui-même sur le diplôme qu’il vient d’obtenir et dont le sujet était La dédensification de Paris. «Je voulais faire une vidéo car je trouvais l’architecture un peu trop statique», explique-t-il.
De ce sujet imaginaire – des tours de paysage superposées dans la Goutte d’Or – est né Hyperballad I : plus de mille dessins, photo par photo, avec Bjork pour l’inspiration. «C’était moins fastidieux que de construire un bâtiment, en deux semaines j’avais le résultat», souligne, amusé, Antoine Ceunebroucke. Ce projet a mené à Hyperballad II, une vision «plus réalisable» du même projet.
Surtout, au fil du temps et de sa curiosité, sa maîtrise des différentes techniques s’améliore : du clip animé à la vidéo en ‘stop motion’ puis en ‘motion picture’ pour son dernier film Les délivreurs.
Partout la ville en mouvement, ses habitants, ses usages, ses architectures mouvantes. Le jury du premier festival architecture et vidéo retient deux de ses films. «Je vois bien que c’est un truc qui me plaît», dit-il. Il participe aujourd’hui à un concours pour un festival organisé par Nikkon. Il ne sait pas encore comment vivre de son talent et il espère que ces petits formats qu’il affectionne seront remarqués et se dit que sans doute des opportunités apparaîtront pour participer à des clips ou des publicités.
Sauf que la passion de l’architecture est intacte. «J’aimerais bien travailler pour des agences d’archi, apporter un peu de fantaisie à leurs vidéos et de cette façon rester en lien avec le projet d’architecture», dit-il. De par sa formation, il comprend les projets de ses confrères et se fait fort d’y apporter des représentations originales.
De fait, aujourd’hui la vidéo et l’architecture se rejoignent, c’est le même processus de conception, dessiner un bâtiment, imaginer un programme, …
L’occasion de mettre un peu de poésie dans un monde de brutes ?
Christophe Leray
Découvrir les vidéos d’Antoine Ceunebroucke
*Voir nos articles Une idée et un pitch en deux minutes vidéo et Festival de la vidéo d’architecture : les lauréats et la sélection subjective de Léa