«C’était un programme original pour l’agence, un super Aquaboulevard», s’amuse Jacques Ferrier au début de la visite qui, le 3 mai 2018, a emmené la presse découvrir son tout nouvel Aqualagon, construit au sein du Village Nature de Disney dans le Val-de-Marne. Bulle financière ? Bulle technique ? Bulle sociétale ? Embarquement pour Oz.
Commençons par le village
Alors que la question du logement et de la ville agite le landerneau architectural et politique, force est de constater que la société des loisirs, quand elle est liée à la société urbaine, génère de la ville Disney, de la ville fantasmée, dont Europa City se veut un autre exemplaire. Ainsi, le mégacomplexe de loisirs de Pierre & Vacances-Center Parcs et d’Euro Disney, inauguré il y a 18 mois à peine à Bailly-Romainvilliers en Seine-et-Marne, se nomme-t-il sobrement : ‘Villages Nature Paris’, un concept lisible dans toutes les langues.
Il s’agit ici plus exactement de la combinaison de deux concepts : les loisirs et l’hébergement, les deux sur de courtes périodes. Cette combinaison se retrouve dans la vocation des deux maîtres d’ouvrage puisque le projet est porté depuis 2003, à 50% chacun, par le groupe Pierre & Vacances-Center Parcs (Pvcp) et par Euro Disney.
En 2017 furent d’abord livré sur 120 hectares aménagés le Village Nature et les 900 logements conçus par Jean de Gastines. L’ouverture au public de l’Aqualagon au printemps 2018 boucle la mise en œuvre de la tranche 1 du projet. Lequel devrait compter à terme 1 730 logements (cottages et appartements) sur un site de 259 hectares qui pourra accueillir 900 000 visiteurs par an, ceux à la journée compris. L’Aqualagon fut dimensionné pour cette occupation.
Il s’agit donc aux portes de Paris d’un microcosme ‘urbain’ singulier, dont l’entrée est réservée et sécurisée. A l’intérieur du périmètre de sécurité, un rêve de ville, sans voiture, sans peur, sans aspérité, avec tout à proximité, des paysages, de la restauration typique. Une ville sans cendrier ou presque «pour ne pas encourager les fumeurs». Avec un peu d’imagination, vous êtes au Canada et nul ne serait vraiment étonné d’y croiser Dorothée.
De fait, l’univers ouaté du Village Nature n’est pas sans rappeler celui du Prisonnier* tant l’architecture y semble partout imaginaire. Ainsi, même l’émergence de l’ouvrage résolument contemporain de Jacques Ferrier, qui rapporte pourtant sur le site une échelle de réalité, finit elle-même par légitimer l’ensemble. Si c’est la ville Disney, c’est en tout cas aujourd’hui et à Paris qu’elle évolue et se développe.
Pour un architecte, ce type de projet est un dilemme. Accepter de concourir dans le cadre de ces espaces fermés, autistes à leur environnement, nouvelle version ludique des ‘gated communities’, ne va-t-il pas à l’encontre de ce à quoi l’architecture devrait tendre, l’ouverture urbaine plutôt que le repli ?
Les enjeux d’un tel projet sont autant un sujet financier qu’une recherche sur la nature en ville et la nature de la ville ainsi qu’une réflexion sur la société des loisirs. Que pensez en effet de ces séjours, tous de trois jours, parfaitement calibrés pour familles avec enfants ? Ces familles sont-elles prisonnières de la société de consommation (d’ailleurs de plus en plus divisée en enclaves thématiques, ici la piscine, là les orques…) ? Ou ne cherchent-elles, ne serait-ce que pour quelques jours, à se protéger d’un monde cruel, stressant et imprévisible ? Une forme de loisirs hors-sol comme peut l’être l’agriculture urbaine ? Ce sont sans doute les mêmes qui, le matin ou le lendemain, visitent le musée du Louvre ou la Fondation Vuitton.
D’ailleurs, une retraite de trois jours dans une fiction stylisée d’un monde idéal, forcément perdu, n’aurait-elle pas les mêmes vertus qu’une ascèse ? Après tout, aller se ressourcer pendant trois jours dans un monastère participe de la même philosophie, se couper du monde pour un court instant ! Sauf que dans le monastère, nul n’y emmène les enfants, pour raisons de sécurité sans doute.
L’aqualagon
Le nom fait tout de suite rêver (encore que l’on voit mal un lagon sans aqua…). Jacques Ferrier ne s’y est pas laissé prendre mais fut séduit par l’originalité du programme. «Le concours parlait d’un grand dôme, d’une sorte de machine, d’un équipement technique, de structures, ce pourrait être un travail d’ingénieur», se souvient l’architecte. Un travail d’ingénieur, ce le fut – Jean-Marc Weill (C&E Ingénierie, ingénieurs structures et enveloppes) était bien entendu de la visite, et pas peu fier – mais pas seulement.
«Nous ne voulions pas d’un dôme membrane mais que le dôme soit une architecture, un bâtiment en tant qu’élément de l’expérience, un univers en soi», souligne Jacques Ferrier.
«A l’image d’un origami, notre proposition s’apparente à un paysage qui se déplie, pour culminer à 27m environ», poursuit-il. Puisque le parti était d’accueillir les visiteurs sur le toit, jusqu’à 400 personnes, la géométrie de l’ouvrage suit la rampe d’accès au belvédère. «C’est un paysage construit, un ‘landmark’ d’un type nouveau qui n’est pas un élément posé mais une continuité du paysage lui-même», dit-il.
Construire au-dessus du vide. Disney avait imaginé une structure sans poteaux. Euh… «Les poteaux sont l’interface entre le sol et le toit», relève l’architecte. Ce sera finalement une structure issue d’un assemblage bois et acier conçue avec l’université de Vienne en Autriche, des aiguilles en béton soulageant ce grand chapiteau de bois. Le maître d’ouvrage ne le regrettera pas.
Non seulement ces aiguilles, plantées de façon apparemment aléatoires et jamais d’aplomb, donnent un dynamisme inattendu à l’espace intérieur (qui appartient à Disney, la mission d’aménagement de l’architecte s’arrêtant aux vestiaires) tout en lui rendant une échelle humaine et rassurante, mais ils permirent aux ingénieurs d’arrimer leurs toboggans et équipements et à la végétation de trouver des tuteurs généreux.
Le chapiteau, visible de partout jusqu’aux limites du village, devient en soi une attraction puisque la promenade jusqu’au belvédère est dédiée à la découverte d’espaces plantés qui participent à l’épuration des eaux du lac attenant (fermé lui à la baignade).
Sans ambiguïté, l’entrée dans l’équipement est située dans un rocher stylisé issu lui-même de l’imaginaire Disney. «Ce rocher m’a passionné, c’était une sorte de récréation», s’amuse Jacques Ferrier, qui cite le savoir-faire des architectes américains qui ont accompagné l’équipe de maîtrise d’œuvre.
L’équipement est entièrement chauffé et refroidi grâce à la géothermie. Un bâtiment à énergie zéro pour un climat tropical entièrement artificiel, paradoxe des prouesses de l’architecture et de l’ingénierie. De fait, ce n’est pas l’Aqualagon qui est une bulle, c’est tout le village. Ne reste plus qu’à installer un ‘resort’ au bord de la plage sous le dôme et l’illusion sera totale.
A noter en passant une remarque de l’exploitant du Village à propos des nombreux murs végétalisés du site, intérieurs et extérieurs, Village nature oblige. Constatant des états très divers – un mur exposé à l’ouest luxuriant, le même, juste à côté, exposé au sud ayant beaucoup de mal, «les murs végétalisés sont difficiles à développer et maintenir», dit-il. Tiens donc.
Exercice de style
Sans être dupe des enjeux du projet et au-delà de la fonction finale d’une structure unique, c’est la recherche autour d’un processus de création dans ce contexte particulier qui s’est avérée enrichissante pour Jacques Ferrier. Ce qui n’étonnera qu’à peine ceux qui le connaissent tant cet architecte semble avant tout guidé par la curiosité et la diversité de ses projets.
Cela dit, cette recherche s’inscrit sans doute dans un mouvement plus vaste que Disney lui-même tant la course aux dômes semble être lancée. Citons par exemple Tropicalia, près de Lille, une structure conçue par Coldefy & Associés, qui se veut «la plus grande serre tropicale au monde construite sous un seul dôme» et qui devrait ouvrir en 2021. Citons encore le dôme tropical du ZooParc de Beauval, imaginé et conçu par l’architecte Daniel Boitte, et dont le chantier a débuté en octobre 2017. D’un diamètre de plus de 100m, haut de 38 m, l’ouvrage de 13 855 m² sera inauguré en 2020 à l’occasion des 40 ans du ZooParc.
L’agence JFA, quant à elle, a été retenue pour participer à un concours de serres gigantesques en Chine. Dit autrement, l’Aqualagon n’est qu’une étape d’un processus global, ‘disneyisé’ peut-être.
Que peut bien signifier cette mise sous dôme de la société… Premières manifestations de sinistres présages ?
Toujours est-il que Jacques Ferrier livre en septembre 2018 les nouvelles Arènes de Lunel, dans l’Hérault. Au cœur de la ville, elles sont destinées aux courses camarguaises, qui se déroulent avec de vraies vaches et de vrais razoteurs et… en plein air.
Christophe Leray
* Pour les plus jeunes qui ne connaissent pas cette série, Le Prisonnier est l’histoire d’un agent secret londonien démissionnaire brutalement gazé dans son appartement alors qu’il faisait ses valises. Il se réveille au Village, un lieu à l’allure édénique, luxueux, mais dont il ne peut pas s’échapper.