Architecton, un film de Victor Kossakovsky, ne se veut pas seulement une réflexion poétique mais aussi un parti-pris tranché sur nos modèles de construction, en particulier le béton, notre gestion des matériaux et les enjeux du futur de l’architecture. L’avis de la rédaction : à voir.
Architecton du mot Grec, qui sans surprise signifie architecte, est à présent un film.
Victor Kossakovsky* est un cinéaste né à Léningrad en 1961. Une douzaine de documentaires à son actif plusieurs fois récompensés, dont Gunda – la vie intime d’un cochon… Il écrit, filme, monte et réalise.
C’est formidable mais c’est beaucoup. Ceci explique cela.
Architecton, qui n’est pas un film sur l’architecture ni sur un architecte, propose 98 minutes de filmage et de musique, dont de longs moments d’une beauté renversante, bouleversante, dramatisée par les sons funèbres des cuivres. Une ode et une prière pour la pierre, filmée dans tous ses états, en carrières, en ruines, en éboulements, concassée, réduite en poudre avant le passage dans les fours rotatifs, scène filmée comme une incinération.
Pour autant, le propos peine à trouver son vrai sujet. Sans cesse déroutant, le film commence par un prologue et s’achève par un épilogue, signe d’un récit-dramaturgie. Aucun des lieux filmés ne sera jamais identifié. L’ouverture s’attarde cinq longues minutes sur les destructions que l’on devine en Ukraine. Un travelling le long des immeubles effondrés, logements de la seconde moitié du vingtième siècle, structure béton. La mort de l’intimité, les rideaux, les salles de bains, les vies arrachées comme autant de cadavres dont l’humanité a disparu. Ne restent çà et là que quelques chiens errants.
Le voyage se poursuit sur le site antique de Baalbek, s’arrête longuement devant la Pierre de la Femme Enceinte, l’un des plus longs monolithes taillés par l’homme de 20 x 4 mètres, mille tonnes de pierre dont on ignore tout. C’est ici qu’entre en scène Michele de Lucchi, architecte mais surtout célèbre designer italien, issu des groupes Alchimia et Memphis – les premiers à réagir contre le fonctionnalisme strict.
De Lucchi caresse la pierre, longuement. Une intervention incongrue qui compromet la poétique du moment. Dommage. Spectateurs, nous le retrouverons, à intervalles réguliers. Il prélève des pierres dans une carrière pour tracer dans son jardin un « cercle magique »
De lieux en lieux, le voyage s’achève en Sicile à Gibellina. En 1984, le peintre et sculpteur Alberto Burri a recouvert le site du tremblement de terre d’une crête linceul de béton mais en installant des failles – traces de vie interrompues – respectant le cadastre et la vie antérieure. Une œuvre culte sur la mémoire.
Le béton donc… Retour au « cercle de vie » du jardin de De Lucchi dans lequel, à présent enveloppé dans un long manteau de pénitent, « il sera le dernier humain à rentrer ».
Le dialogue-épilogue des dix dernières minutes avec le réalisateur conduit une réflexion pénitente et virulente sur les atrocités du béton – un « matériau mort ».
Mort ?
Dans la vraie vie, qui n’est pas le cinéma, comment répondre à un propos si excessif ? Pierre-Antoine Gatier, Architecte en Chef des Monuments Historiques, à ma demande, s’en charge :
« Les objets monumentaux de béton sont déjà là. Ils existent grâce aux inventions structurelles exceptionnelles : le voile mince des brevets Monier, 1867 – la structure poteau-dalle des brevets Hennebique, 1895. Puis la Pré-Contrainte… Il y a là une grande histoire estimable, héritage lointain du faire vitruvien.
C’est l’histoire des chefs-d’œuvre reconnus, les Halles de Reims, 1929 ou le Couvent de la Tourette de Le Corbusier, 1957… des œuvres négligées ou fragiles (l’architecture post-moderne…), celles déjà perdues, comme toutes celles non regardées qui ne feraient pas encore patrimoine.
L’architecture nouvelle doit faire avec, composer avec intelligence et respect avec le déjà là, en pierre ou en béton armé, et favoriser la conservation et le remploi. Démarche durable de patrimoine. Avec des bétons réinventés, comme les bétons bas-carbone, poursuivant pour nous les rêves du XIXe siècle, inventons de nouveaux patrimoines… ».
Tina Bloch
*Victor Kossakovsky est né en 1961 à Saint-Pétersbourg, anciennement Leningrad. D’abord assistant-réalisateur et monteur au Studio de films documentaires de Saint-Pétersbourg, il entre à l’École de Moscou en 1986. Héritier de la tradition documentaire soviétique, il se fait remarquer à l’international avec le film BELOVY, sur le quotidien d’une famille rurale.
En salles le 27 novembre 2024.
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