Le nouveau centre-ville d’Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) est le symbole de l’épuisement en France de la culture architecturale. De la culture tout court ?
Chroniques a récemment publié le projet intitulé Hegoaldea (image ci-dessus), inauguré fin juin 2019, à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques). Conçu par les architectes Alain Hoarau et Juan Eizmendi, ce projet de 324 appartements et plus de 2 600 m² de commerces et d’activités signe, selon le communiqué de presse des investisseurs, «le renouveau du centre-ville d’Hendaye et revisite les codes de l’architecture néo-basque».
Architecture néo-basque ? Dont les codes seraient, déjà, revisités ? Ce projet Hegoaldea serait donc du ‘néo-basque’ revisité ? Comment en 2019 un tel projet, qui évoque un village de vacances dessiné par Disney, peut-il aujourd’hui définir le centre-ville d’Hendaye ? Les édiles n’avaient pas pensé à Franck Gehry ? Et quel Basque avec un peu de fierté a envie de se voir revisité de la sorte ?
Partons du constat suivant : alors qu’il n’a jamais été autant question de contexte, l’architecture des villes de France est de plus en plus homogène sinon similaire. Qui peut dire dans quelle ville, voire quelle région, ces bâtiments – par exemple celui-ci ou celui-là ou ceux-là – seront construits ?
Partout, de Lille à Marseille et de Strasbourg à Nantes, les mêmes dessins, les mêmes retraits en toiture, les mêmes toitures, les mêmes matériaux, la même médiocrité. Or cette répétition ad nauseam est en passe de définir la culture architecturale française.
Explications. L’architecture vernaculaire basque par exemple, reconnaissable entre toutes, est née des contraintes et opportunités et richesses de la région lorsque, au fil du temps, les Basques ont su exploiter au mieux les matériaux locaux pour un confort maximum en fonction du climat et des besoins pour un coût aussi moindre que possible. Sauf à parler de la Villa Eugénie de Biarritz, il n’y avait pas 100 000 solutions et dès qu’une bonne idée apparaissait, elle était reprise par tous et les maisons ont fini par se ressembler, toutes différentes certes mais toutes pareilles. Cette ressemblance dans le dessin et le système constructif indique la particularité d’une région par rapport aux autres. La méthode de construction, le style donc, fait (ou faisait plus exactement) partie de la culture basque.
Idem en Alsace, en Bretagne, en Occitanie, en Corse, etc. Les cultures sont nées de la multiplication des copies et de l’inscription des habitants dans une norme partagée et consentie car (supposée) efficace. C’est ainsi que naissent les conservatismes : pourquoi changer une méthode qui fonctionne ? D’aucuns peuvent s’amuser à élargir le champ. L’igloo, il fait (ou plus exactement faisait) partie ou non de la culture de l’Inuit ? Et quand les Romains ont tartiné leur empire d’arènes, d’amphithéâtres et d’arcs de triomphe, c’est bien leur culture qui est évoquée aujourd’hui.
À partir de 1945, la reconstruction de l’après-guerre – tous les Français alors unifiés dans une grande cause nationale – a remis en cause le modèle contextuel qui ne nécessitait pas forcément de grandes études mais une sensibilité certaine à la nature alentour. Les Français d’ailleurs n’y ont vu que du feu car, en guise de génie local, ce sont les mêmes barres en béton qui ont poussé de Vladivostok jusqu’à Brest, avec plus ou moins de bonheur selon les mœurs politiques locales. La culture de la cité en est née d’ailleurs! Pour l’exception française, dans le domaine architectural, il faudra donc repasser.
Cette standardisation de l’habitat, qui traduit elle-même une uniformisation de la pensée, a ouvert la voie à la mondialisation et à l’architecture internationale, laquelle dans tous les centres des grandes villes de la planète est le symbole arrogant de l’influence de la culture américaine. Ce sont bien les Américains qui ont inventé le gratte-ciel ?
Face à cette uniformité consternante, la population, pas celle férue d’architecture, celle qui n’a jamais entendu parler de Le Corbusier, s’est rebellée à sa façon. La Provence s’est nappée de maisons individuelles et de nouveaux quartiers entiers au style néo-provençal – un style de fait – lequel n’a bien sûr rien à voir avec les connaissances vernaculaires des anciens maîtres d’œuvre de Provence mais tout à voir avec l’image fantasmée d’un incertain retour aux sources.
«Les espaces rurbain/périurbains rendus génériques par la standardisation et la perte corollaire du vernaculaire, dès lors le centre historique apparaît comme un refuge sémantique pour ceux qui, de zones pavillonnaires en zones commerciales, d’entrées de ville immuablement indistinctes et jusqu’aux «cités» qui n’en sont pas, ne parviennent pas à embrasser le génie du lieu qui caractérisait auparavant l’unité de la ville», résume l’architecte Jean-Baptiste Friot dans l’introduction à son exposition Architecture exquise*.
Aujourd’hui, alors même qu’il ne fut jamais autant question d’attention au contexte, ce processus générique est de nouveau à l’œuvre. À l’échelle de tout le pays, tous ces bâtiments et toutes ces ZAC aux immenses vertus énergétiques imposent leur disgrâce à tous sans distinction de terroir, de sexe, de race et de religion. C’est quoi le contexte dont il est tant question ? Le contexte français ?
Du coup il est compréhensible que des territoires, comme on dit aujourd’hui, tentent d’organiser la résistance. Rares sont ceux avec une âme de zadiste, ce qui nous ramène à Hendaye. L’idée est sans doute louable d’espérer un centre-ville qui ne ressemble pas à celui d’une banlieue parisienne, d’une banlieue tout court en fait, mais alors que signifie ce pastiche ‘néo-basque’ version parc d’amusement pour neuneus et petits enfants ?
Si les promoteurs, les édiles, les architectes auteurs de l’ouvrage et sans doute les habitants se réjouissent du projet Hegoaldea d’Hendaye, l’ouvrage est pourtant en lui-même la preuve d’une imposture. Cela ressemble à l’architecture basque, ça a la couleur de l’architecture basque mais de quoi en vérité cette architecture est-elle le nom ?
C’est une évidence que l’on ne construit plus aujourd’hui dans le Pays Basque comme il y a 200 ans et le dessin de Hegoaldea n’a en conséquence absolument rien à voir avec les méthodes, les contraintes et les matériaux d’autrefois. En résumé, il ne s’agit que d’une image, d’une illusion vendue aux gogos de la foire.
Plus triste, cette image démontre que la culture basque, elle-même peu à peu engloutie par la globalisation, n’est plus capable de se régénérer et de se réinventer puisqu’il lui faut faire appel aux vieilles lunes pour avoir encore l’impression d’exister. Les cultures basque, ou alsacienne, ou bretonne ou provençale ne se suffisent donc plus à elles-mêmes qu’il faille leur accoler le préfixe néo, et revisité encore, pour qu’elles soient visibles dans l’architecture ?
Certes, il est difficile de réinterpréter une culture locale pour la projeter dans le futur, cela demande de l’audace et un effort intellectuel. Le risque d’erreur est grand. Alors les normes uniformisées deviennent de vertueux prétextes pour ne rien tenter et dissoudre le génie du lieu dans la mièvrerie et la guimauve. Il suffit alors de deux ou trois trucs de magiciens et tout le monde trouve cela formidablement contextuel. Si, pour citer l’architecte Alain Sarfati, «le sens de l’architecture est justement de montrer une différence, une diversité, une altérité, par des exemples nourris d’une culture mettant le local au cœur du global», c’est mal parti.
Faut-il qu’une civilisation soit terriblement affligée pour qu’elle ne produise plus que des ersatz de sa propre culture, comme les Inuits habitent désormais dans des bâtiments infâmes mais dansent encore sous la lune une fois de temps en temps pour se rappeler le bon vieux temps.
En France, la conception-réalisation, notamment, conduit inéluctablement à une uniformisation de l’architecture et, à regarder le résultat, cela en dit long sur l’épuisement de la culture française en général, de ses expressions régionales en particulier.
Christophe Leray
*Architecture exquise. A Toulouse. Jusqu’au 24 novembre 1019