
Un aménagement, voire un restaurant, aussi spectaculaire ou réussi soit-il, fait-il partie de l’œuvre architecturale qui l’héberge ? C’est la question que pose l’architecte David Trottin maintenant que le projet de rénovation globale du centre Georges Pompidou à Paris est acté.
Au début des années 2000, l’agence Marin + Trottin Périphériques Architectes a livré au troisième étage du Centre Georges Pompidou le réaménagement de la Documentation et du Cabinet d’art graphique. « Transparent, opaque, brillant ou réfléchissant, le verre met en valeur le bâtiment de Richard Rogers et Renzo Piano et amène de la lumière jusqu’au centre de l’étage », souligne David Trottin, pas peu fier, à juste titre sans doute, de cet espace « où les gens apparaissent et disparaissent au gré des transparences et des réflexions, laissant imaginer leur activité sans jamais la révéler complètement ».
Lui-même convient que les espaces ont été bien entretenus : « Les sols par exemple ont été changés mais avec la même couleur. Il n’y a rien de cassé, tout est nickel. Il s’agit d’un aménagement sophistiqué, précis, il n’a pas bougé », dit-il. Pour autant, cet aménagement, réalisé il y a vingt ans à peine, ayant coûté 4 M€ à la collectivité et aujourd’hui encore parfaitement fonctionnel, est voué à disparaître avec le projet 2025-2030 de Beaubourg.
La rénovation à 400 M€, tout compris, du Centre Pompidou ayant sans doute ses impératifs de réemploi et de matériaux bio et géosourcés, l’air du temps n’est-il pas aujourd’hui de faire avec le déjà-là plutôt que la tabula rasa à la Tarass Boulba ? « Un cas d’école », assure David Trottin. « Il convient aujourd’hui de faire avec les atouts et faiblesses de l’existant. Nous sommes dans un musée, le musée et les œuvres ne peuvent pas être séparés », dit-il. Une autre façon d’expliquer qu’il craint de voir son travail délicat finir à la benne. Ce d’autant plus que, selon lui, le budget d’aujourd’hui ne permettra pas aux nouveaux bureaux, destinés à prendre place juste à côté, de proposer d’aussi bonnes prestations que celles déjà existantes.
Il n’est d’ailleurs pas le seul concerné par le vent nouveau puisque Le Georges, le restaurant réalisé en 2000 au sixième étage par Dominique Jalob et Brendan Mcfarlane – alors jeunes et méconnus architectes – est lui aussi amené à disparaître dans le projet vainqueur du concours signé de l’agence Moreau Kusunoki (Nicolas Moreau, Hiroko Kusunoki).
Apparemment, le musée et les œuvres peuvent être séparés !
« L’attachement pour l’édifice iconique conçu par Renzo Piano et Richard Rogers est immense : il est donc primordial d’en conserver l’ADN », explique Laurent Le Bon, président du Centre Pompidou. « En respectant l’architecture actuelle du bâtiment, sans construction ni extension supplémentaire, le Centre Pompidou fait un choix écoresponsable. Le projet se fonde sur la transformation d’une partie des espaces en nouveaux lieux de propositions culturelles et de convivialité », dit-il.
Nicolas Moreau l’architecte renvoie à 1979, aux origines de l’œuvre architecturale, en rappelant le manifeste de Renzo Piano et Richard Rogers qui en substance souhaitaient tous deux tous les 25 ans un renouvellement complet au sein de l’ouvrage afin qu’il puisse toujours correspondre à son temps, que chaque aménagement ne fige pas le bâtiment, qu’il demeure contemporain.
Moreau Kusunoki architectes, dont le projet a reçu l’imprimatur de Renzo Piano lui-même (cité par le Centre Pompidou), aspire à « une architecture en phase avec son temps, qui respecte les valeurs généreuses et les concepts novateurs et ambitieux de la vision d’origine : l’utopie sociale d’un centre culturel en parfaite continuité avec la ville, « un lieu ouvert, pour les gens, destiné aux rencontres et au contact », un organisme hybride en constante évolution, interrogeant sans cesse, par leur coexistence, le rôle et les codes des musées, des bibliothèques, des arts de la scène et des arts visuels ainsi que les attentes des différents publics qui fréquentent, composent et animent le Centre Pompidou ».
Boris Hamzeian,*** l’historien de Beaubourg à pied d’œuvre, concourt à cette analyse. « Je comprends l’interrogation inquiète [de Marin + Trottin architectes]. Pour autant, selon moi, quiconque intervient à l’intérieur de ce manifeste en perpétuelle transformation, permise par le plan libre, en accepte le précepte et agit en connaissance de cause. C’est d’une simplicité effrayante : 7 000 m² dédiés à l’évolution constante. Les aménagements originaux de Piano et Rogers, qui étaient pourtant d’une autre échelle, ont totalement disparu. L’interrogation est correcte, l’inquiétude en l’occurrence mal placée. En tout état de cause mon travail est de collecter un témoignage de l’état actuel, l’archéologie du projet témoignera donc de leur présence ». Voilà Marin + Trottin Périphériques architectes rassurés. De fait, depuis sa construction, le bâtiment a gagné en culture patrimoniale.
En tout état de cause, nul ne peut en vouloir à l’agence lauréate du grand ménage et de la réattribution des espaces puisqu’elle a répondu au programme demandé, comme l’ont fait toutes les autres agences en compétition.
Alors épiphénomène ou pas ? David Trottin n’est pas mauvais coucheur – il sait que la mémoire de son projet sera cristallisée dans l’histoire de Beaubourg, ce qui n’est pas rien, les photos de Luc Boegly en témoignent – et il n’entend pas mettre de bâton dans les roues du projet de Laurent Le Bon. Toutefois, il n’aurait pas été malheureux d’une conversation en amont à ce sujet entre maître d’ouvrage et hommes et femmes de l’art plutôt que de découvrir dans la presse un projet faisant table rase du sien sans autre forme d’attention. Maladresse ? « Ma remarque ne signifie pas que l’on ne peut rien faire mais on doit au moins pouvoir en parler. Même dans le cadre de Beaubourg, il est possible de ne pas perdre le discours entre les époques, de faire avec l’existant, ce qui correspond au discours d’aujourd’hui », souligne encore David Trottin.
De fait la question demeure : où sont le début et la fin de l’œuvre, surtout en matière d’aménagement ? Autrement dit, d’un point de vue légal disons, un aménagement est-il une œuvre ? D’ailleurs, que reste-t-il à Beaubourg de l’aménagement de l’architecte italienne Gae Aulenti ? Pour autant, qu’en serait-il si, plutôt qu’au sein d’un musée, il s’agissait d’un aménagement urbain ? La question de la tabula rasa tous les 25 ans qui permet de justifier un nouveau projet ne correspond-elle pas à une vision dépassée du tout jetable et de la société de consommation toute puissante ? Or, les temps changent et pour ce qu’elle vaut, la question est utile.

Dans un autre contexte, je me souviens d’une superbe et intrigante photo du photographe Guillaume Jouet.** Elle montrait la salle de réunion du siège du Crédit Agricole de Saint Lô (Manche), bâtiment livré en 1977 par l’architecte Yves Cochepain. Pour cause de délocalisation, le bâtiment se retrouvait vide de ses occupants autant que de sa raison d’être. Dans cette salle de réunion figée dans son époque un instant avant de disparaître, tout l’art et l’âme de l’architecte semblaient vains. Qu’est-il advenu de la table ? Des fauteuils ? Une invitation à l’humilité ?
Plus proche de nous, cette image me fait penser à la salle Claude Vasconi dessinée par Dominique Perrault dans Métal 57, sa spectaculaire restructuration livrée en 2022 pour BNP Immobilier à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) de l’immeuble iconique de Claude Vasconi (1940-2009). Le temps passant, si BNP Immobilier, maître d’ouvrage privé, souhaite restructurer l’immeuble pour en faire une nouvelle source de profit et ce faisant vaporise la salle Claude Vasconi, est-ce scandaleux ?
La qualité de l’œuvre est-elle liée au fait que l’argent qui l’a permise soit public ou privé ?
Je crains qu’il n’y ait pas de bonnes réponses à ces questions mais autant de cas par cas selon l’humeur du temps et des uns et des autres. Sans doute est-il alors dans la logique de la riche histoire de Beaubourg que l’aménagement de Marin + Trottin rejoigne les archives, dûment documentées, de cette machine qui se rêve en musée.
Christophe Leray
*Lire notre article À la bonne franquette avec la BNP et Dominique Perrault
** Lire la chronique-photos Mélancolie tertiaire, avec Guillaume Jouet
*** Mis à jour 26/03. Il y avait une erreur dans le nom de Boris HAMZEIAN. Qu’il veuille bien nous en excusez.