La coopération public/privé demeure une façon de faire la ville. Mais, en 20 ans, entre partenariats-public-privé (PPP) de sinistre mémoire et autre conceptions-réalisations toujours à l’affiche, l’espoir d’une coopération efficace et profitable à tous les partis a pris du plomb dans l’aile. Il y a cependant peut-être une alternative.
A l’automne 2020,* l’architecte Francis Soler faisait visiter rue Campagne Première à Paris (XIVe) une opération de 129 logements (dont une trentaine de sociaux) livrée quelques mois auparavant. Lors de la visite, il était accompagné de Christian Cléret, lequel à l’époque du ‘concours’ en 2010, et jusqu’en 2016, était directeur général de Poste Immo et à ce titre également maître d’ouvrage. En 2020, Christian Cléret est depuis quatre ans président du conseil de surveillance de NOVAXIA, mais sa présence à la visite n’est pas seulement de courtoisie tant son implication fut l’instrument de la réalisation d’un projet au montage original.
« Aujourd’hui, un tel projet ne pourrait pas voir le jour », avait expliqué l’architecte lors de sa présentation. En tout cas, sans Christian Cléret, il n’aurait peut-être jamais vu le jour, ou pas comme cela, et l’Etat y aurait perdu au change.
A Poste Immo depuis 2007 après un passage à l’immobilier du ministère de la Justice, Christian Cléret avait pour mission, entre autres, de valoriser le patrimoine immobilier de la poste, un peu comme le faisait déjà Remi Feredj à la RATP. Excepté qu’à Poste Immo la pratique, d’ailleurs largement partagée par nombre d’entreprises publiques et privées, était alors de vendre ses immeubles au plus offrant, le promoteur faisant ensuite ce qu’il veut sur le terrain.
Or, dans ce cas de figure, c’est le vendeur qui, au travers de moult conditions suspensives, doit cependant supporter le risque du permis de construire. Un processus qui a contrarié le directeur général de Poste Immo. « Ma réflexion a été, puisque Poste Immo doit soutenir une partie du risque, pourquoi ne pas également capter une partie de la valeur créée ? », indique Christian Cléret.
Nonobstant la difficulté de convaincre La Poste, c’est-à-dire l’Etat, de prendre le risque d’investir des fonds propres publics en promotion – cette difficulté n’est pas à sous-estimer – l’idée de co-promotion a trouvé une expression formelle au travers du projet Campagne Première.
Ce n’était cependant pas tout à fait une première expérience : la reconversion en co-développement avec BNP Paribas Real Estate d’un centre de tri en un ensemble immobilier de 45 300 m² SP de bureaux, livré en novembre 2014 par Jean-Paul Viguier à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), avait permis à Poste Immo « de dégager une belle marge financière ».
« Notre ambition est de concevoir des immeubles durables qui prennent en compte l’évolution des modes de travail et de vie, les exigences environnementales, le confort des utilisateurs et la qualité architecturale », précisait alors Bruno Pinard, directeur général de l’activité Promotion Immobilier d’Entreprise de BNP Paribas Real Estate, heureux sans doute d’enrichir l’Etat autrement que par des impôts.
« Ce projet a permis ensuite de convaincre l’Etat actionnaire de la Poste et j’ai pu développer ce type d’opérations. A partir d’un foncier qui allait se libérer, nous avons pu nous lancer avec un promoteur dans des conditions à 50/50, partage des risques et des bénéfices », poursuit Christian Cléret.
« Pour Campagne première, dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt, nous avons reçu des offres diverses, de logements et/ou de bureaux. C’était à chaque fois un projet réfléchi, chiffré », souligne-t-il. Selon lui, ce dispositif compte de grandes vertus : « il permet au cédant d’être responsable du futur et de l’empreinte qu’il laisse sur le territoire, il permet de participer à la création de valeur d’un projet éclairé réalisé avec la collectivité, il permet de donner forme au futur. Il n’y a donc que des avantages politiques, urbains, financiers ».
« Une entreprise publique qui quitte un site a une responsabilité patrimoniale et n’a pas le droit de se désintéresser du futur », estime encore Christian Cléret. « Le projet est ainsi issu d’un dialogue à trois : Poste Immo, le promoteur, les collectivités locales. Le cédant sait ce que la collectivité veut ou pas et peut peser sur l’architecture », dit-il. La réussite de Campagne première en témoigne.
Inconvénient : la méthode oblige le cédant à risquer un peu d’argent, même si le risque – en plein centre de Paris à Montparnasse – ne semblait pas trop important en l’occurrence. « Surtout cela oblige celui qui se lance à disposer des compétences nécessaires pour discuter d’égal à égal avec un promoteur », dit-il. C’est l’une des raisons ayant amené à la création d’Arkadea, filiale de co-promotion Poste Immo et Icade ayant pour vocation de valoriser les fonciers libérés par la poste et « de devenir une vraie société de promotion ».
Ainsi, au fil des ans, partie de la cession sèche, Poste Immo est passée à la co-promotion au coup par coup avant de devenir un véritable promoteur. Avec les résultats financiers afférents ? « Il faut des équipes éclairées et responsables pour mener ces projets », prévient cependant Christian Cléret. Ce pourquoi, selon lui, si le modèle peut inspirer de grandes entreprises publiques ou privées, le dispositif ne peut pas devenir une règle.
Toujours est-il qu’Arkadea poursuit son chemin, même après le départ de Christian Cléret, remplacé en 2016 à Poste Immo par… Remi Feredj. En effet ce promoteur d’un type nouveau a signé en avril 2020 deux promesses d’achat, à Marseille et à Amiens.
À Marseille, il s’agit d’une promesse synallagmatique (une convention par laquelle les parties s’obligent réciproquement l’une envers l’autre) pour l’achat d’un immeuble de bureaux situé rue Henri Barbusse, l’agence Sud Architectes étant retenue pour en réhabiliter les 8 900m². À Amiens, Arkadea a signé une promesse pour l’acquisition d’un terrain de 2 250m² au sein de la ZAC Gare la Vallée, un vaste projet de restructuration du tissu urbain d’Amiens. ARKADEA, en partenariat avec l’agence Oyapock Architectes, y réalisera 54 logements dont cinq intermédiaires.
Au-delà des entreprises publiques – et même avec elles ce n’est pas gagné – les collectivités locales peuvent-elles s’emparer d’un tel dispositif et conserver ainsi une partie du contrôle sur le devenir de leur foncier tout en abondant les caisses de la commune sur le moyen et long terme ? Les concours Réinventer posent quelques contraintes – fonctionnelles le plus souvent, du logement, des bureaux, du commerce – mais une fois le terrain vendu, le rapport de force inversé, c’est l’intérêt de l’acquéreur qui va nécessairement primer.
Ce pourquoi sans doute les deux-tiers des projets Réinventer ne sortent pas de terre, les promoteurs qui ont fait monter les enchères pour acquérir le terrain expliquant très vite que « les bilans ne tournent pas »… Avec un partenaire plutôt qu’un obligé, en business, les bilans ont plus de chance de tourner dans l’intérêt de tous.
La voie de la qualité architecturale, si étroite soit-elle, existe donc d’une collaboration public/privé constructive et enrichissante pour l’Etat. Ce dernier en possède-t-il cependant les compétences ?
Christophe Leray
*Lire notre article « Ni paille, ni chanvre, ni bois et pourtant elle envoie Campagne Première »