De la carte de vœux chez les architectes comme indice révélateur des questionnements de la profession…
Quid du « futur » (premier symptôme à court terme d’une carte de vœux !) lorsque d’aucuns cherchent la meilleure adéquation entre projet, société et changements de paradigmes ?
Nous le savons tous, en France la digestion de la première modernité, advenue il y a environ un siècle, n’est toujours pas achevée. Contrairement à nos voisins industrialisés d’alors, suivis des Japonais après-guerre, pour lesquels un bâtiment reste la recherche du meilleur compromis entre fonctions complexes, puis surtout, émotion, coût et, plus récemment, développement durable, hormis quelques stars sur des projets expérimentaux, le salut demeure plutôt dans un profil bas à l’aune des élus ou promoteurs soucieux de ne pas perturber le conformisme traditionnel de leurs clientèles, tant électorales qu’acheteuses.
Bref, pour le dire vite, même si le pire reste peut-être aussi ailleurs (au double sens, hors architectes ici, et chez nos voisins, telles les banlieues italiennes, etc.), 90 % des constructions tant publiques que privées préfèrent « raser les murs ». Le succès actuel des émules prudents de Chipperfield le prouve. Sans la grandeur, ni même la veine théorique de la génération précédente, Grassi, Rossi, Ungers…
Cette frilosité vis-à-vis de recherches riches de sens pour l’avenir se retrouve donc quasiment intacte, figée, au sein des cartes de vœux de l’immense majorité des bureaux, alors que nous serions plutôt enclins à penser que cet exercice graphique, dégagé du compromis de toute commande qui se respecte, devrait inciter à rêver pour stimuler nos désirs les plus novateurs.
À l’inverse, les graphistes et certains maîtres imprimeurs (pour les rares ‘greetings’, postés, encore à déplier) recherchent plutôt le sensationnel pour interpeller sans risque. Puis, internet aidant, à la fois par sa facilité de diffusion et sa qualité de rendu (luminosité et animations possibles beaucoup plus aisément qu’avec des cartons imprimés), les films courts se sont multipliés.
Le vrai problème aujourd’hui est double.
D’une part, depuis Blade Runner (film fétiche en son temps, 1982 déjà, pour tous les épigones de Jean Nouvel : LA en 2019 !), une certaine dissolution de l’architecture dans « l’image animée en 2D » a gagné énormément de terrain. Nous n’invectivons pas ici les bienfaits du virtuel, notamment les petites animations de plus en plus souvent imposées lors des concours pour certains membres de jury peu au fait des analyses de plans, lesquelles sont reprises dans les vœux, notre premier sujet d’accroche… En revanche, ce « stop motion » finit par banaliser les vraies émotions spatiales au profit d’avant-projets qui tirent la couverture en amont vers des travellings plus qu’anecdotiques, simples zooms tout au mieux sur des détails monotones et répétitifs susceptibles d’être débités au kilomètre…
D’autre part, et c’est cela le plus important, où en est-on des recherches pour l’« émotion architecturale » bel et bien vécue, produite seulement par l’incroyable glissement plus ou moins réussi entre un premier croquis et une réalisation (cf. pour trois milliards d’euros la Grande Arche de la Défense, massacrée toutefois par l’ego de l’ingénieur en chef Paul Andreu avec un nuage trop lourd, qui de surcroît n’avait pas hésité à se réapproprier tout le projet « sur une idée de Sprekelsen » (sic)…
Entre les émotions refoulées et les surprises trop liées aux modes, face à l’intemporalité des musts bâtis les plus puissants (la Grande Arche à nouveau moins ses nuages), les glissements restent complexes à gérer, foin de gestes par trop gratuits ou purement dans l’air du temps (cf. l’engouement autour des cabanes bambou hypertrophiées chez tous les jeunes bureaux militants écolos totalement en guerre contre toutes les formes d’emplois du béton).
In fine, tout n’est pas à désespérer : l’œil perspicace de Céline Saraiva dans BeauxArts Magazine nous régale souvent. En novembre dernier, les Chinois (effet pixel du musée de Nanjing, le long ruban immergé de celui de Rizhao…) ; aujourd’hui l’ami Faustino dans son pays natal, entre deux autres façadiers, Kuma (11 logements origami – Paris XIXème) et Ardete en Inde.
Et rien ne nous interdit de rêver encore grâce à Zaha (posthume, à Bakou, en couverture de la sélection du siècle que vient de publier Domus 2025), Sanaa (Rolex Center), puis pour faire un saut arrière non périlleux (et éviter les querelles actuelles un peu vaines), Ronchamp, les Guggenheim (NY & Bilbao), Utzon (Opéra Sidney), Botta (Cathédrale Evry), Calatrava (toujours identique à lui-même mais quels envols), John Lautner (ce qu’il en reste hélas), Siza (Bonjour Tristesse, Berlin 1980), notre ciel bleu viennois parfois, Porzy souvent, et moins formalistes, les containers empilés issus de Max Bill, Philip Johnson 1, notre Centre Pompidou, l’ambigu Venturi, sans omettre… l’architecture sans architecte de Rudowsky et tous les dômes géodésiques californiens des mêmes sixties, parfois de vrais musts !
Moralité, les cartes de vœux d’architectes, autrefois grand dépliage ostentatoire, « pomo » (Violeau) de papier en surenchère, avec le changement de support, semblent aujourd’hui préférer du crédible passe-partout sans grandes ambitions. Restent, pour transcender cette absence de débat actuel sur l’architecture, la sempiternelle photo de groupe, les détails fruits de réflexions parfois passionnantes pour les initiés, quand ce n’est pas celle fournie toute prête par un bureau de com’ spécialisé loin de nos débats à venir. Rêvons à après-demain !
Afin d’éviter toute polémique hexagonale, mon deuxième pays m’a fourni un certain nombre d’exemples souvent d’une qualité graphique supérieure. Voici un florilège :
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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