M. & Mme. Monmoulin ne sont pas peu fiers de passer à la télé. Leur détresse a ému un correspondant de la gazette locale et un journaliste d’une chaîne d’infos en continu de la grande ville est venu réaliser l’interview qui se déroule devant les décombres de leur maison de guingois et inachevée. C’est leur tour, ils sont en direct !
Le présentateur – Et l’on retrouve notre reporter à Sainte-Gemmes, dans les territoires, avec Monsieur et Madame Monmoulin qui avaient un projet de maison individuelle qui a mal tourné. C’est bien ça ?
Le reporter, devant une barricade de chantier toute cabossée – Oui merci Laurence. Voilà, nous nous trouvons devant le terrain de Monsieur et Madame Monmoulin qui, comme vous pouvez le constater derrière moi, après avoir signé un contrat de construction d’une maison individuelle, connu sous l’acronyme CCMI, se retrouvent sans rien, sans maison, sans argent, sans savoir que faire. (Se tournant vers ses interlocuteurs) Monsieur et Madame Monmoulin, comment en êtes-vous arrivés là ?
M. & Mme. Monmoulin (mais en fait c’est lui qui parle, intimidé quand même) – Eh bien, il nous en a fallu du temps et beaucoup de réflexion pour finir par comprendre ce qui nous arrivait !
Le reporter – Justement, reprenons par le début. Vous vouliez faire construire votre maison ?
M. & Mme. Monmoulin (il parle, elle opine) – Oui c’est ça, c’était notre rêve et nous voulions que tout se passe bien, sans imprévu, sans histoire. Vous pensez bien, on ne se fait pas construire une maison tous les jours. Alors on nous a recommandé de signer un CCMI. Sur Internet, on avait lu partout que c’était LE contrat « le plus protecteur », celui qu’il fallait choisir, bla-bla-bla… Même l’ADIL* et même le ministre des Finances * nous disaient la même chose. Comment ne pas les croire ?
Le reporter – Vous n’aviez aucune raison de vous méfier ?
M. & Mme. Monmoulin (Elle fait non de la tête tandis qu’il répond) – Bien sûr que non, pensez-donc. On avait bien entendu par-ci par-là quelques personnes qui disaient que ce n’était pas si simple, de quand même faire attention mais elles étaient peu nombreuses par rapport au consensus général sur le CCMI. Quelle erreur, quelle naïveté de notre part ! (Elle opine) Et surtout, quel manque de réflexion. Les consommateurs que nous étions se croyaient protégés. On avait tellement envie de croire que tout se passerait bien… Si l’on avait un peu réfléchi avant, on n’aurait sûrement pas fait cette bêtise de signer un CCMI.
Le reporter – En quoi était-ce une bêtise ? Les documents officiels n’indiquent-ils pas que le CCMI offre beaucoup plus de garanties que les autres contrats de ce type ?
M. & Mme. Monmoulin (Il se rengorge un peu face à la caméra et elle hoche de la tête d’un air entendu) – Imaginez que vous soyez un constructeur de maison individuelle. La concurrence a été rude quand vous finissez par signer le contrat de vente d’une maison avec un client. Mais cette maison, ce n’est pas vous qui allez la fabriquer. Vous allez vous-même l’acheter à des sous-traitants pour la revendre au client ou vous allez rechercher des sous-traitants parmi les moins chers. Je ne dis pas que vous allez écarter les bons artisans, bien entendu – ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit – mais vous regarderez d’abord le prix, pour pouvoir gagner de l’argent. Il ne faut pas que la maison vous coûte plus cher que le prix auquel vous l’avez vendue, tout de même ! Il se trouve cependant que les artisans les moins chers des moins chers ne sont pas souvent les meilleurs… Par exemple, entre des devis de maçons qui ne sont pas de la même qualité, s’il y a une différence de prix de 6 000€, allez-vous choisir le plus cher et perdre ainsi 6 000€ ? Difficile de résister à la tentation, non ? Surtout que le client n’en saura rien, les 6 000€ restent dans votre poche et c’est tout.
Le reporter – C’est logique, ce qui explique les protections incluses dans le CCMI, non ?
M. & Mme. Monmoulin (elle chasse un gamin qui vient faire des grimaces à la caméra tandis qu’il ne perd pas le fil) – C’est exactement pourquoi, en tant que constructeur, dans le contrat, vous avez rédigé une toute petite « notice descriptive ». Allez-vous mentionner tous les détails de la construction ? Tous les matériaux ? Toutes les quantités, par exemple les aciers du béton armé ? Non, vous n’allez pas vous emprisonner vous-même en décrivant tout en détail, puisque votre client n’y connaît rien, il ne cherchera pas à savoir tout ça, il vous fera confiance. (Alphonse Monmoulin s’échauffe et regardant droit dans la caméra désormais tandis que son épouse acquiesce avec véhémence) C’est comme pour le délai de construction. Pour faire une maison comme la nôtre, s’il n’y avait aucune interruption de chantier, il ne fallait pas plus de quatre mois pour la construire. Bien sûr, on comprend bien qu’il faut laisser un peu de marge aux artisans, qu’ils ne peuvent pas tous être exactement là le jour prévu. On peut rajouter un, et même deux mois, c’est normal, disons six ou sept mois en tout. Mais notre contrat mentionne 12 mois ! C’est scandaleux, mais on ne s’en est rendu compte qu’en voyant notre chantier déserté aussi souvent. Là aussi, on ne savait pas, on faisait confiance au constructeur.
Le reporter – Il ne faudrait pas ? Il faudrait donc dans le domaine de la construction de maison individuelle être méfiant a priori ?
M. & Mme. Monmoulin (elle soupire) – Non mais la confiance, c’est une sottise quand les intérêts de l’autre sont opposés aux vôtres. C’est là tout le problème.
Le reporter – Mais en l’occurrence, les intérêts du constructeur de maison individuelle et de son client ne sont-ils pas les mêmes ? Vous voulez une maison, il propose de la construire, vous vous mettez d’accord sur un prix et basta…
M. & Mme. Monmoulin (il a une pointe d’exaspération face à la question tandis qu’elle lève les yeux au ciel) – Je vous explique. Imaginez (encore) que je doive meubler ma maison, en achetant tous les meubles. Si je vous disais : « j’ai demandé à quelqu’un, trouvé sur internet, d’acheter tous les meubles de ma maison, il achètera ce qu’il veut, dans les magasins qu’il veut, et pour ça je lui ai confié 15 000€. Il a carte blanche, il n’a pas besoin de me montrer les factures ». Vous me répondrez : « mais c’est très dangereux, ça ! Est-ce que vous avez au moins décrit les meubles en détail ? », et je vous expliquerai que oui, puisqu’on a écrit « 1 table, 8 chaises, 3 lits, 2 armoires, 1 canapé et 2 fauteuils ». Vous penserez alors que je suis stupide, un naïf qui va se faire plumer – et vous auriez raison. C’est exactement ce qui nous est arrivé pour la maison avec ce CCMI tant vanté. Et encore, les meubles, ils sont déjà faits quand on les achète, alors que les travaux, ils n’existent même pas quand on signe le contrat.
Le reporter (étonné) – En effet, comment faire confiance dans ces conditions…
M. & Mme. Monmoulin (il parle désormais comme un vieux briscard) – Pour faire confiance à ceux qui font les travaux, il faut deux conditions indispensables : que tout soit décrit en détail, plan et texte, il faut avoir en mains tous les devis réels des sous-traitants* et, surtout, il faut être guidé jusqu’à la livraison par un professionnel qui connaît bien la construction, qui vérifiera que tout est conforme. Et évidemment qui ne nous vendra pas les travaux, sinon il serait lui aussi soumis à la tentation de l’argent. Bref, quelqu’un en qui on peut réellement faire confiance.
Le reporter – Et ça existe ?
M. & Mme. Monmoulin (fier de son nouveau savoir malgré sa détresse, et s’il est fier, elle est fière) – Un « architecte », ça s’appelle.
Le reporter (dubitatif) – Pourquoi un architecte. Pourquoi pas quelqu’un d’autre ?
M. & Mme. Monmoulin (triomphant) – Parce que les architectes sont indépendants des artisans, qu’ils ne nous vendent pas les travaux, et qu’ils ont prêté serment de respecter des règles morales mentionnées dans leur Code de Déontologie*. Et si malgré tout ça, l’architecte était défaillant – la confiance n’implique pas l’aveuglement – on pourrait saisir l’Ordre des architectes. C’est une assurance totale, sans faille et sans limite. On a compris ça – même si c’est trop tard pour nous.
Le reporter – Une véritable « assurance-confiance », en quelque sorte ?
M. & Mme. Monmoulin – On n’aurait pas mieux dit. La seule assurance sans limite dans le monde de la construction.
Le reporter – Mais de toute façon, avec un CCMI, vous aviez une garantie de livraison à prix et délais convenus ?
M. & Mme. Monmoulin (il se rembrunit tandis qu’elle fronce les sourcils) – Ah oui, parlons-en de cette garantie ! D’abord, on ne vous avait pas dit (ni le constructeur ni le ministre ni personne…) que cette garantie avait une franchise de 5% du montant du contrat à notre charge ! On nous a dit qu’on ne risquait rien, que le prix global forfaitaire est garanti de toute façon, et vlan ! on doit payer + 5%, ce qui fait quand même dans notre cas 5% de 185 000€ = 9 250 € !!! Presque 10 000€. Il faudrait une assurance, une garantie, contre les 5% à payer au garant… Ensuite, personne ne nous a expliqué que tous les avenants qu’on a payés au constructeur n’étaient pas obligatoires : étude de sol non prévue, fondations plus profondes que prévues (on a réalisé après coup que nous ne savions même pas quelle était la profondeur prévue ! On s’est bien fait avoir, sur ce coup-là), déplacement d’une cloison sur les plans (même pas encore construite !), etc. On ne savait pas, nous ! On n’avait personne pour nous conseiller.
Le reporter – C’est bien pourquoi il y a un garant, non ?
M. & Mme. Monmoulin (de plus en plus impatient tandis qu’elle se tortille en serrant contre elle son sac à main) – Certes mais « on ne nous avait pas dit non plus » qu’on risquait d’attendre des mois, voire des années, que le constructeur de maisons individuelles dépose son bilan et soit enfin déclaré en liquidation de biens, pour que le garant intervienne. En fait, toutes les malfaçons, les non-conformités, etc. moins importantes et qui n’empêchent pas de vivre dans la maison, pour tout ça, le garant n’interviendra pas. Il faut saisir l’assurance, mais sans personne pour nous conseiller, c’est difficile (il y a des délais, etc.). Même notre avocat ne sait pas si les malfaçons sont graves ou pas, ce n’est pas de sa compétence. Finalement, le garant nous a fait signer un renoncement à sa garantie de livraison, pour éviter de payer en plus 9 250€ (qu’on n’avait pas) et pour ne pas attendre le jugement de liquidation. Quelle bêtise ! Mais on n’était pas conseillé, on n’avait pas d’architecte.
Le reporter – J’ai fait des recherches, il semble en effet que les victimes, comme vous de ce contrat, se comptent en dizaine, voire centaines de consommateurs…
M. & Mme. Monmoulin (un peu pompeux tandis qu’elle opine d’un air entendu)– Justement, nous avons compris que quand on fait construire, il ne faut pas être un consommateur, qu’il ne s’agit pas d’acheter un produit déjà tout fait et vérifié, comme une voiture ou une machine à laver. Quand on fait construire, on est un « maître d’ouvrage », ça veut dire qu’on a un rôle à jouer, qu’il y a dans tous les cas des choses à savoir et des choses à faire. Cela, quand on ne le sait pas, on s’en rend compte toujours trop tard. Or on ne fait construire sa maison qu’une fois dans la vie, nous avons payé pour l’apprendre. Faire construire est une aventure, quelle que soit la façon dont on s’y prend. Et pour que ce soit une belle aventure, il ne faut pas prendre de risques, il faut garder les yeux ouverts et réfléchir.
Le reporter – Ou en est la situation aujourd’hui ?
M. & Mme. Monmoulin (les deux soupirent en même temps) – Le dossier est entre les mains de la justice, qui prend son temps. Entretemps, notre ‘maison’ doit être démolie et éventuellement reconstruite un jour. Cette maison qui n’existe pas nous a pourtant déjà coûté beaucoup d’argent et ce n’est pas fini. Signer un CCMI est une folie, c’est un contrat contre-nature car on s’en remet aveuglément à qui a intérêt à nous vendre le plus cher possible ce qui lui revient le moins cher possible. Comment avons-nous pu être aussi benêts, aussi naïfs, je dirais même aussi stupide ?
Le reporter (tandis que la caméra fait un close up et un traveling sur la maison de guingois des Monmoulin) – Voilà chers auditeurs la triste histoire de la famille Monmoulin. Puisqu’il faut conclure, apparemment, si vous voulez faire construire votre maison, faites appel à un architecte et surtout, surtout, ne signez pas de CCMI. A vous Boulogne !
Jean-François Espagno
Retrouvez tous les épisodes des Lettres de Monmoulin
*ADIL : https://www.anil.org/fileadmin/ANIL/Etudes/2008/ccmi_contrat_protecteur.pdf
*Ministre des Finances : https://www.anil.org/fileadmin/ANIL/Etudes/2008/ccmi_contrat_protecteur.pdf
*Déontologie des architectes : https://www.architectes.org/code-de-deontologie-des-architectes
*La loi sur la sous-traitance (Loi du 31.12.75) s’applique au contrat de construction de maison individuelle et permet au sous-traitant, en cas d’impayés, d’exercer une action directe contre le maître de l’ouvrage.