
La triste aventure de M. & Mme Monmoulin touche à sa fin. Ils ont dépensé leurs économies et se retrouvent endettés pour une maison inhabitable. Enfin, ils ont leur journée au tribunal et assistent, plein d’espoir, à l’audience. Maisons Hypnos « Pour dormir sur vos deux oreilles » Vs M. & Mme. Monmoulin : le procès.
Maître Hannibal Tartarin, de la Selarl LAW International & Partners, le conseil de Maisons-Hypnos Construction, société domiciliée à George Town, Iles Caïman, venait de finir son exposé quand Maître Catherine Chevalier-Blanc, l’avocate de M. & Mme Monmoulin se leva lentement.
Elle s’adresse au président mais en parlant suffisamment fort pour que la foule des avocats et plaignants, assis sagement dans la salle d’audience en attente de leur tour, en fut édifiée.
« Monsieur le Président.
Nous sommes à l’heure du bilan d’une histoire catastrophique pour mes clients, M. & Mme Monmoulin, qui ont tout perdu après avoir signé un Contrat de Construction de Maison Individuelle (CCMI) avec la société Maisons-Hypnos, dont vous aurez noté l’absence de son gérant, et représentée aujourd’hui seulement par mon confrère. Alors que leur rêve a été piétiné !!!!
Catherine Chevalier-Blanc entend le murmure de la salle et se sent confortée dans sa stratégie.
Cette tragédie sera-t-elle un mal pour un bien si elle permet à la population de prendre conscience à quel point c’est une grave erreur de signer, sans y avoir réfléchi le moins du monde, un tel contrat de construction de maison individuelle pourtant RECOMMANDE par les PLUS HAUTES instances ?
Au froissement de robes, l’avocate sent qu’elle a piqué l’intérêt de ses confrères et consoeurs, évidemment présents pour d’autres affaires, et qui occupent la partie droite de la salle. Après tous, eux aussi se font construire des maisons individuelles.
Que s’est-il passé ?
M. et Mme Monmoulin ont demandé à un Constructeur de Maisons Individuelles (CMI) de réaliser leur maison, suivant des plans (succincts), une description (très) sommaire des travaux et un prix global convenu. Par prudence, ils ont signé un CCMI, une assurance-tous risques pensaient-ils puisqu’ils suivaient SCRUPULEUSEMENT – scrupuleusement croyez bien – les recommandations des pouvoirs publics.
La réalité est que les conditions de contrats CCMI sont ahurissantes. Ainsi :
– le CMI dispose de l’argent des clients comme il l’entend, du moment que le résultat ressemblera aux plans (qui sont sans précision technique) et à la (petite) notice ;
– le CMI fait réaliser les travaux par qui il veut, au prix qu’il veut, en se moquant bien de la loi sur la sous-traitance ;
– il détermine seul les caractéristiques techniques des ouvrages, tels que la composition des bétons, les épaisseurs de matériaux, les sections des bois de charpente, etc. ;
Qui plus est, le CCMI écarte les clients – tels M. & Mme Monmoulin ici présents – de tout moyen de vérification technique des travaux : il ne leur sera communiqué ni les plans techniques, ni les devis d’artisans, ni les comptes rendus des réunions de chantier – auxquelles a fortiori ils ne pouvaient pas assister.
Certes, existait une pseudo « garantie de livraison à prix et délais convenus » mais qu’est-ce qu’une garantie de délais qui ne garantit ni le délai, seulement l’existence de pénalités de retard qui sont toujours très faibles pour des délais très, très, très longs (par rapport aux autres contrats de construction, pour peu que l’on s’adresse à de vrais professionnels), ni le prix convenu puisqu’il sera presque toujours assorti d’une franchise de 5% du montant du contrat ?
Maître Catherine Chevalier-Blanc entend un murmure d’assentiment, venu cette fois de la partie gauche de la salle, celle des plaignants et de tous ceux qui se sentent injustement floués. C’est le moment de sortir l’un de ses atouts, se dit-elle
Monsieur le Président, le bon sens le plus élémentaire demande d’anticiper et prévenir un accident, non de multiplier les assurances a posteriori. Que penserait-on, Monsieur le Président, d’une personne qui monterait dans un taxi aux pneus lisses et dont le chauffeur n’aurait pas son permis de conduire, et qui dirait : « Bof, ça n’a pas d’importance si l’on se casse la figure puisque je suis assurée » ? On la trouverait stupide, n’est-ce pas ? On est bien d’accord..
Le murmure, dans toute la salle, lui indiqua qu’elle avait fait mouche. C’était le moment de pousser son avantage.
En résumé, le CMI fait ce qu’il veut ou presque, comme il veut, sans contrôle ni aucun compte à rendre, son client ayant renoncé à son rôle de « maître d’ouvrage », s’en remettant aveuglément à lui, pieds et poings liés…
Mais il y a plus grave, Monsieur le Président.
Il est évident que l’intérêt financier du CMI est d’acheter le moins cher possible les travaux qu’il va revendre à son client captif, une fois le contrat CCMI signé. Le Constructeur a donc intérêt à choisir les matériaux les moins chers possible, c’est-à-dire ceux d’une qualité intérieure. Il a aussi intérêt à ce que les quantités de ces matériaux soient les plus basses possible, à la limite des règles de l’art. Et il a surtout intérêt à s’adresser aux sous-traitants les moins chers parmi les moins chers possible, qui sont rarement les meilleurs, si vous me permettez cet euphémisme… Autrement dit, plus la qualité de la maison sera mauvaise, plus le CMI GAGNERA DE L’ARGENT !!! Ne trouvez-vous pas, Monsieur le Président, qu’il y a quelque chose qui cloche, si je puis dire, pour un contrat réputé être protecteur ?
Si le président, tout à son œuvre solennelle, se contente de hocher la tête, maître Chevalier-Blanc, qui a pris directement la salle à témoins, se sent encouragée dans son réquisitoire.
Et CE N’EST PAS FINI ! En effet, par définition, le client est un néophyte, c’est la première et sans doute dernière maison qu’il ne fera jamais construire. Il découvre ce qu’est une construction au fur et à mesure de l’avancement de l’opération, il n’a personne pour le guider dans la sauvegarde de ses intérêts, et surtout pas le CMI qui a, lui, des intérêts opposés aux siens. Ce qui signifie que le client ne peut rien anticiper. Quant à lui, le CMI, en tant que professionnel rompu aux méandres d’une construction et aux astuces d’un CCMI, pourra à loisir plumer son client s’il le veut – client qui risque de ne pas s’en rendre compte, ou un peu tard. C’est exactement ce qui est arrivé à mes clients pour qui il est désormais trop tard de jurer qu’on ne les y prendra plus.
Mais vous estimez sans doute que des précisions sont nécessaires.
La salle acquiesça presque bruyamment par anticipation.
Par exemple, les choix de la plupart des matériaux et revêtements (carrelage, faïences, enduit, sanitaires, menuiseries intérieures, etc.) ont été repoussés après la signature du contrat. Le client étant captif, il devra dès lors obligatoirement accepter les devis en plus-value du CMI, s’il ne veut pas renoncer à avoir une maison qui lui plaise. Et ce sera la même chose pour toute demande de changement, même un simple déplacement de cloison sur les plans sera payant !
Sentant l’assistance attentive, Maître Chevalier-Blanc pousse son avantage.
Enfin, n’oublions pas qu’il n’y a aucun contrôle de la compétence professionnelle d’un CMI. Quiconque peut, du jour au lendemain, se prétendre constructeur et conclure des contrats de centaines de milliers d’euros qui représentent tout l’investissement, souvent d’une vie, de gens simples, honnêtes et droits comme le sont M. & Mme Monmoulin, inquiets de l’aventure et qui vont se jeter dans la gueule du loup sur les conseils des Pouvoirs Publics…
Alphonse Monmoulin et sa femme Yvette, sentent tous les regards se tourner vers eux et Yvette hoche du menton comme pour dire « Vous vous rendez compte ? ». En vérité la salle est un peu étonnée d’une telle affaire et l’avocate sort son atout maître.
Et il paraît qu’il s’agit d’un contrat sécurisé ! Sécurisé pour le constructeur, oui, car tout y est conçu par lui et pour son propre intérêt. En revanche, pour mes clients parmi les milliers, voire les millions de gens ainsi floués, c’est un Contrat Catastrophique d’une Maximale Insécurité ! Il est déséquilibré. Celui qui fait une bonne affaire, c’est le CMI, avec ses marges brutes de l’ordre de 30% du coût des travaux, et parfois bien plus, sur le dos de ses clients qui sont à sa merci.
En fait, le contrat de construction d’une maison individuelle copie bêtement les contrats de vente de produits industriels. Sauf que ces derniers sont conçus et mis au point après plusieurs prototypes, ils sont fabriqués mécaniquement en grande série, testés, vérifiés avant leur vente. Et, s’il devait y avoir quand même une malfaçon, ces produits seraient alors facilement échangés. Ainsi le client ne risque rien, il n’a donc pas vraiment besoin d’un guide.
Mais la fabrication d’un bâtiment n’est pas celle d’un produit industriel ! Le client est obligé de faire l’acte d’achat avant la fabrication du bâtiment, qui sera un prototype unique, largement fait à la main, par des ouvriers différents à chaque fois. Il n’est pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre le risque important que cela implique à tous les niveaux et à chaque étape, et ainsi, la nécessité d’un guide indépendant des vendeurs de travaux. Or le CCMI nie, efface, toute possibilité de guide, de contrôle, de protection du client. Pourtant, une liste de professionnels titulaires d’un diplôme et contrôlés pendant leur vie professionnelle, existe bien. Cette liste s’appelle le Tableau de l’Ordre des architectes. Ils ont été inventés pour ça.
En conclusion, Monsieur le Président, je demande deux choses :
1° La démolition pure et simple de la maison construite avec ses malfaçons irrattrapables, ainsi que le préconise l’expert judiciaire dans son rapport, puis la reconstruction de la maison que mes clients espéraient et qu’ils sont en droit d’obtenir, assorties du dédommagement à la hauteur de l’immense préjudice subi par l’incompétence (euphémisme là aussi) du CMI. Il faut réécrire cette malheureuse histoire pour qu’elle se déroule comme elle aurait dû, avec un contrat qui tienne compte et respecte les principes d’une opération de construction.
2° Une condamnation claire du Contrat de Construction de Maison Individuelle lui-même, véritable traquenard conçu, semble-t-il, pour permettre de plumer les braves gens qui souhaitent voir se réaliser leur rêve de maison individuelle, assorti du dédommagement à la hauteur des innombrables préjudices subis par les conseils insensés des Pouvoirs Publics et de leurs relais. Il faut en finir avec cette absurdité de CCMI, il a fait assez de mal comme ça !
« Bien », dit le président. Le jugement sera rendu le 1er avril prochain.
Jean-François Espagno
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