
Collège de Vétraz-Monthoux @RODA Architectes
Jean-Paul Roda (Roda Architectes) a fondé sa dernière agence il y a dix ans, le 13 décembre 2013. Il applique à des projets gagnés en marchés publics des principes constructifs glanés au gré d’une première vie à concevoir, en dehors de tout effet de mode et d’injonction incantatoire, des maisons en bois. Rencontre.
Jean-Paul Roda est de ces architectes qui pensent encore que l’art de construire est issu d’une action groupée entre un maître d’ouvrage, l’architecte, les ingénieurs, les entreprises et les fournisseurs. Assurance qu’il tient de son enfance. Fils de maçon, ce dont il est fier, il a commencé par arpenter les chantiers avant d’entrer à l’école d’architecture de Grenoble.
Diplômé en 1986, à une époque où les injonctions ne concernaient pas une filière alors mal organisée, l’architecte s’intéresse aux systèmes industrialisés de la construction d’habitat en bois. « A l’époque, les maisons étaient construites avec des modules industrialisés, des panneaux de 1,20 m x 2,5 m de haut, ce qui m’avait surpris. La matière bois était alors encore très mal connue des constructeurs », explique-t-il.
Pour mieux comprendre ce qui éveille son intérêt, le jeune professionnel travaille chez un charpentier pendant un an. « Je voulais connaître de l’intérieur ce qu’on pouvait faire avec du bois. J’ai découvert un monde incroyable. A l’époque, il n’y avait que peu de charpentiers qui commençaient à faire des ossatures bois parce que ce n’était pas viable financièrement », ajoute-t-il.
C’est ainsi que Jean-Paul Roda a monté en 1996 R2K, sa première agence, à Grenoble (Isère), avec Véronique Klimine* pour développer une commande publique qui fait la part belle au bois.
C’est à cette époque qu’il découvre ce qu’il considère comme la vaste famille des charpentiers, des scieurs, des ingénieurs bois, quelques architectes aussi. Alors que la maison bois était encore un sujet confidentiel, les recherches menées sur le matériau bois commençaient à être mises en œuvre sur des ouvrages d’art ou encore des gymnases.

CJ4 (38 logements), ZAC Cambridge, Grenoble @Bruno Ramain
De cette époque, Jean-Paul Roda, homme de conviction, conserve un ADN qu’il met en œuvre au sein de son agence, créée en 2013 à Grenoble et installée depuis 2017 à Lyon et qui œuvre principalement sur des ouvrages en commande publique de toute typologie. « J’aime que celui qui trace sache aussi construire afin d’éviter l’inutile, la matière en trop. Je demande aux gens qui travaillent avec moi d’avoir le sens de la construction dès les premiers dessins. L’architecture est la combinaison de l’art et de la technique », dit-il.
Dans l’immeuble fastueux de la Rue de la République, à quelques encâblures du quartier de la Part-Dieu à Lyon, ils sont une dizaine à œuvrer à l’atelier. Bien que chacun puisse avoir des préférences pour le concours, les études ou le chantier, les architectes de l’agence sont polyvalents et sont amenés à suivre leur chantier. « Chacun a la capacité de tout faire. A dix, ça marche bien, mais ce ne serait peut-être pas le cas à vingt. Il y aurait sans doute un pôle chantier / un pôle études », reconnaît l’homme de l’art qui n’est pas pressé d’augmenter ses effectifs, constitués de fidèles. « Ils aiment les projets que nous faisons. J’essaie de partager avec eux mon plaisir d’aller loin dans l’acte de construire », dit-il, heureux de préciser que la moitié des architectes et l’assistante de l’agence l’accompagnent depuis plus de six ans.

Groupe scolaire Simone Veil, Givors @Sandrine Rivière
Du chantier de maison individuelle, l’architecte a acquis la conviction qu’il faut faire avec les ‘oeuvriers’, au sens renaissant, ceux qui font l’ouvrage. « Les ouvriers ne sont pas le bas de l’échelle, ils ont plein de choses à dire. Aujourd’hui, le compagnonnage souffre d’une crise des savoir-faire car ces métiers, pourtant riches, n’ont pas été assez valorisés », regrette le maître d’œuvre.
Il est rare que les compagnons s’autorisent à discuter avec l’architecte, notamment sur les chantiers plus importants d’équipements ou de logements, durant lesquels les relations sont plus cloisonnées. « Ces échanges étaient plus fréquents lorsque je concevais des maisons. Souvent, je faisais les croquis sur place. Nous nous connaissions parce que nous étions moins nombreux sur les chantiers. Et puis, sur une maison, on peut se permettre de ne pas tout dessiner et de régler les détails sur place », se souvient-il.
Ce goût de l’échange, Jean-Paul Roda le met encore à l’œuvre pour servir la réalisation de ses projets, dès les premiers coups de crayon. « La réalisation, c’est ce qui reste, c’est le résultat. Dans le dialogue, il nous faut écouter. Il nous arrive souvent de penser avoir été dans le simple, et après discussion, notre ingénieur bois nous propose une alternative », dit-il en se remémorant le tennis couvert et le club house de Grenoble livrés en 2015 dont la charpente bois cintrée n’aurait pas pu être conçue sans le concours des ingénieurs bois.

Pôle petite enfance Helen Keller, Villeurbanne @Sandrine Rivière
En fonction des projets, l’expertise de l’architecte permet de pousser le dialogue plus loin, jusqu’aux fournisseurs. La matérialité intervient très tôt dans le projet, ce qui permet à l’agence de pouvoir faire la démarche d’aller voir les scieurs en amont et de connaître les disponibilités des grumes ou de créer un bardage en fonte d’aluminium avec un fondeur plus habitué à concevoir des pieds de tables que des toitures, un modèle adapté au pôle petite enfance Helen Keller à Villeurbanne (Rhône).
Le projet est adapté en fonction de ce qui préexiste et les entreprises gèrent également mieux l’économie du projet. Pour l’extension de la cantine scolaire de Saint-Martin-en-Hauts (Rhône), du chêne et du châtaignier ont été mis en œuvre grâce aux scieries spécialisées en bois feuillus consultées en amont, ce qui a permis d’obtenir des prix de sortie des bois feuillus assez proches de ceux des résineux ou des pins Douglas. « Les charpentiers et les entreprises apprécient, ils sont à fond dans la démarche ! », se félicite-t-il.
Depuis le temps qu’il consacre ses projets aux matériaux biosourcés, Jean-Paul Roda a développé une connaissance de la filière locale et de ses faiblesses. A commencer par la traçabilité du matériau. En tant qu’administrateur de ‘Bois des Alpes’, il intervient notamment auprès des scieurs afin de mettre en œuvre une traçabilité parfois bien difficile à déterminer.
Léa Muller
*Lire notre article Un collège tout en bois pour les élèves de Varces (38) signé Roda-Klimine-Kopff