Récit d’un échange. Nous conversons au quotidien avec des promoteurs privés. Il ne s’agit de se plaindre, en coulisses, du système auquel nous appartenons. Il nous importe cependant de prendre la distance nécessaire par rapport aux intentions du maître d’ouvrage afin d’être créatifs autant que réactifs. Qu’en pense ce dernier de nos efforts ?
Très bonne nouvelle : nous venons de recevoir une commande afin de prendre en charge la maîtrise d’œuvre de logements collectifs. Une nouvelle aventure bienvenue même si l’exercice consistant à combiner intimité et interactions sociales au sein d’une architecture de qualité est complexe.
En tous cas, nous sommes excités comme des enfants devant l’énigme à résoudre. Les logements constituent la matière de nos villes et nous voulons relever cet important défi.
Nous sortons d’une réunion de présentation de l’esquisse au promoteur-maître d’ouvrage. Confrontés à leur incompréhension et surtout à leurs ‘non recommandations’, qui sont identiques à celles d’autres promoteurs avec lesquels nous avons travaillé, nous sommes déçus et frustrés.
En fait, le même scénario se répète inlassablement. Alors, voici le récit d’un échange tel celui que nous avons au quotidien avec les commanditaires de logements collectifs privés en France.
Poste ‘hall’ : ‘hall traversant’, ‘hall belle hauteur sous plafond’ et ‘hall d’une surface généreuse’
L’architecte
Nous avons voulu soigner ce hall qui constitue l’espace de représentation de l’immeuble ainsi que l’espace de rencontre entre les résidents.
Le promoteur
Non. C’est une surface qui ne peut être vendue à personne. Il faut donc la réduire au strict minimum afin de gagner en surface habitable à vendre.
Poste ‘circulations’ : coursive extérieure vs couloirs de la mort
L’architecte
La coursive est un système de circulation stigmatisé car elle est souvent localisée au nord du bâtiment, où elle longe une façade opaque à l’exception de quelques jours de souffrance. Elle devient alors une séquence monotone et constamment dans l’ombre. Cependant, contrairement à un couloir intérieur plongé dans l’obscurité, une coursive extérieure permet de se rendre chez soi via un cheminement en plein air. Nous avons donc travaillé sur son orientation et créé des failles dans le bâtiment en suivant le dessin de la coursive afin qu’elle soit toujours baignée de lumière.
Par ailleurs, nous avons introduit, entre la coursive et les logements, un espace tampon qui peut devenir un jardin suspendu ou une passerelle privative afin que les logements puissent être ouverts sur la coursive tout en conservant leur intimité. Ainsi, loin d’être réduite à une fonction de circulation, cette coursive deviendra un agréable lieu partagé par tous les résidents.
Le promoteur
Non. Vous nous servez là un discours d’architecte et les gens ‘normaux’ ne veulent pas de coursives. Il faut une circulation fermée et courte, avec un maximum de logements desservis par palier.
Poste ‘conception’ : simplex, duplex et triplex
L’architecte
Au lieu de concevoir des appartements sur un seul niveau, nous avons travaillé sur différents types de duplex, voire de triplex, afin de créer une véritable variété typologique. En fait, nous avons imaginé un immeuble de logements collectifs composé de maisons.
Le promoteur
Non. Le prix d’un logement dépend de sa surface habitable. Les duplex ou triplex génèrent des vides qui ne se vendent pas. Surtout, ils réduisent le nombre de surfaces habitables à vendre.
Poste ‘ouvertures’ : surface vitrée plus importante que le minimum réglementaire
L’architecte
Nous tenions à des ouvertures généreuses afin que les logements profitent de l’ensoleillement et d’une vue plus dégagée.
Le promoteur
Non. Une surface vitrée est plus coûteuse que la même surface pleine. Et puis le prix de vente d’un appartement est calculé selon sa surface habitable or un logement doté d’une surface vitrée généreuse ne se vend pas plus cher.
Poste ‘matériau’ : l’enduit
L’architecte
L’enduit taloché est plus coûteux que l’enduit gratté. Cependant, il se salit peu et nécessite moins d’intervention. La plus-value de l’enduit taloché sera largement rentabilisée dans le temps.
Le promoteur
Non. De toute façon, le coût d’entretien est à la charge des résidents. Notre objectif est de baisser le coût de construction avec un maximum de surfaces habitables à vendre pour rentabiliser l’opération.
Nota bene : l’appauvrissement des projets de logements ne concerne pas seulement les logements privés. De plus en plus de logements sociaux sont construits par des promoteurs privés pour être vendus par la suite aux bailleurs sociaux. Les villes confient également à des sociétés privées des quartiers résidentiels entiers – programmation, construction, aménagement y compris. Comment pouvons-nous alors garantir la qualité et l’innovation architecturales en matière de logements collectifs ?
Nous ne voulons pas nous contenter de ‘bouger’ des balcons plus à droite ou plus à gauche pour maquiller une médiocrité typologique et spatiale. Nous ne voulons pas produire de l’architecture populiste ‘prête à l’emploi’ ; un peu de briques par ci, un peu de bois par là, le tout emballé dans une toiture en zinc.
Armons-nous de ténacité et de volonté. Afin de préserver notre réactivité autant que notre créativité.
Hyojin Byun
Le blog de Hyojin Byun
Cette chronique est parue en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 17 avril 2013