Puisque cet édito est publié le 8 novembre 2016, parlons donc de l’élection américaine et de son influence sur l’urbanisme. Tout commence à Chicago – d’où cette édition spéciale – puisque Barack Obama, le président sortant, y a construit sa carrière, dans le South Side, et que la présidente entrante (peut-être, je n’en sais rien à l’heure où j’écris ces lignes) y est née et y a grandi, dans le North Side. Deux présidents qui en sont issus qui se succèdent, voilà un acte fondateur pour Chicago.
Quand les architectes pensent à Chicago, ‘architectural city’, c’est à Downtown qu’ils pensent : les buildings (dont une Trump tower fichée là comme un doigt d’honneur), le lac, Lincoln Park, Millenium Park, les ports de plaisance, le métro aérien, l’extension de l’Art Institute de Renzo Piano ou l’auditorium de Frank Gehry. (Tiens, au fait, cet auditorium ne vous rappelle rien ?).
Puisqu’il est question d’élection, il faut admettre que la psyché américaine est peut-être plus compliquée, voire plus subtile, que l’opposition basique démocrate urbain vs pecnot républicain. C’est pourquoi, pour parler de Chicago, j’ai choisi cette fois d’aborder la ville horizontale, soit 95% du territoire. D’où cette publication qui traite des maisons de Franck Lloyd Wright à Oak Park et de celles de I.M. Pei à Hyde Park.
Oak Park, c’est la culture d’Hillary Clinton. Et elle est fan des Cubs, l’équipe de baseball du nord de la ville (qui viennent de remporter un titre pour la première fois depuis 1908, symbole ?) et qui joue à Wrigley Field (oui, Wrigley comme les chewing-gums – dès le début du XXe siècle, les équipes américaines savaient déjà sponsoriser le nom de leurs stades….), un stade mythique dans un quartier branché près du centre et du lac.
Hyde Park, au sud, c’est la culture d’Obama, lequel est fan des Chicago White Sox, l’autre équipe de baseball, qui joue à Comiskey Park (désormais nommé ‘Guaranteed Rate Field’ mais je préfère l’original), dans le sud de la ville, dans des quartiers populaires, le plus souvent noirs, assez loin du centre et du lac.
D’habitude, les fans des Sox n’aiment guère les fans des Cubs et réciproquement. Souvenez-vous en 2008 de la rude primaire entre Barack Obama et Hillary Clinton et la victoire du premier. Les White Sox furent sacrés champions en 2005 et Obama gagnait la présidence trois ans plus tard. Aujourd’hui, Les Cubs ont enfin gagné et le même Obama a fait le travail pour l’élection d’Hillary. Même les fans des deux clubs se sont réconciliés.
Si Clinton gagne/ a gagné, ce sera encore reparti pour quatre, voire huit ans, c’est-à-dire que pendant 12 ou 16 ans, c’est un esprit chicagoan qui aura dirigé le pays et cela montre que Chicago a désormais atteint une maturité économique et politique telle qu’elle entend désormais imposer ses valeurs. D’où les résistances sans doute.
Cette posture n’est d’ailleurs pas sans rappeler la rivalité entre Shanghai, puissance économique et pragmatique, et Pékin, puissance politique conservatrice et rigide. Pour connaître la politique chinoise, il suffit de regarder si les membres influents du politburo (pour simplifier) sont de Pékin ou de Shanghai et, selon, ce sera plus de libertés ou les camps.
Mais, pour en revenir à l’architecture et l’urbanisme, avec Clinton en passe d’être élue, c’est un nouveau modèle qui s’installe durablement, celui de la grande ville américaine qui a réussi. New York, Manhattan plutôt car New York est plus vaste et plus compliquée et plus subtile que Time square et la 5ème Avenue, bref Manhattan est une ville à part, la plus européenne sans doute des villes américaines. Los Angeles ? Ce n’est pas une ville. Une mégalopole peut-être (ou tout autre suffixe en ‘pole’, le mot-clef est ici ‘mégalo’) mais ce n’est pas une ville. Chicago est une ville.
Si l’on en juge par les contextes qui prévalaient au moment de la construction des maisons de Frank Llyod Wright et, plus tard, celles de I.M. Pei, ce n’était pas gagné. Pourtant tout est déjà là avec le premier qui, au tournant du siècle, enterre l’ordre victorien des grands bourgeois et le second qui, cinquante plus tard, pose les bases d’une nouvelle façon d’habiter pour la classe moyenne.
Il est d’ailleurs symbolique que Oak Park et Hyde Park ont aujourd’hui des populations beaucoup plus diverses que celle d’une ville encore énormément ségréguée et divisée en quartiers ‘ethniques’ – pour simplifier, les Noirs au sud et à l’ouest, les Blancs au nord, les Hispaniques à l’ouest, avec des enclaves : Chinatown, Greektown, Ukrainian village, Little village, etc. – et les communautés indistinctes se logeant dans les interstices. Mais la ville possède une âme commune et singulière dont le centre-ville est le reflet.
Cette vision urbaine d’une grande ville américaine à taille humaine – on peut y marcher et faire du vélo (à noter que les villes canadiennes y sont parvenues bien avant) – cela fait huit ans qu’Obama la promeut et chacun peut constater l’évolution culturelle qui a eu lieu sous son mandat en termes d’urbanisme : les grandes villes américaines, à l’instar de Chicago, ont entrepris ou entreprennent de vastes programmes de densification tout en s’inscrivant, avec retard certes, dans un phénomène mondial de redéfinition de la ville en regard des enjeux du changement de climat en cours.
Se souvenir qu’il y a huit ans à peine les pétroliers texans George Bush père et fils ne croyaient pas au réchauffement de la planète et roulez bolides… Si le président ne peut imposer une quelconque règle d’urbanisme aux différents Etats, c’est le gouvernement fédéral qui distribue néanmoins les fonds dédiés à l’éradication des habitats insalubres, lesquels servent souvent de levier à de vastes projets de réhabilitation et de revitalisation de quartiers délabrés.
Quant à Hillary Clinton, elle a suivi son Bill de mari jusqu’en Arkansas, puis elle fut sénateur de l’Etat de New York (pas la ville). Elle connaît donc la réalité de la cambrousse américaine et elle-même, la citadine de Chicago, n’en pense pas moins. Si elle est élue, c’est donc une vision urbaine, liée à la nature de Chicago, similaire à celle de son prédécesseur qui va finir par s’imposer peu à peu dans le pays.
Tout comme les Shanghai boys sont parvenus à transformer la Chine en accédant au pouvoir – les jeux olympiques, l’expo universelle, souvenez-vous – avant le retour de bâton actuel, Barack Obama puis Hillary Clinton seront, dans huit ans, peut-être parvenus à transformer profondément, enfin, la ville américaine.
P.S. (MAJ le 9 novembre 2016): Sauf que c’est Donald Trump qui a gagné !
Christophe Leray