Dans le domaine de la construction, les ingénieurs ont un pouvoir de transformation et d’amélioration fondamental, potentiellement aussi impactant que celui des architectes et des entreprises. Il est question ici de transformation et d’amélioration sociale et environnementale, via les choix des matériaux, de leur mise en forme géométrique, des procédés ….
Ce qu’on observe est que ce pouvoir n’est pas conscient, ou peu conscient.
Ou, encore mieux, que ce pouvoir est manipulé avec des mains de feignants ou trop grasses.
Donc, pour bien commencer l’année, voici en vrac quelques souhaits et bonnes résolutions « d’ingénieurs », pour conjurer notre sort loin des vérités révélées.
Faire les poubelles puis faire beaucoup de science
Cette jolie formule est d’Yves Malier, génial chercheur et ancien directeur de l’Ecole Normale Supérieure. Cette formule a plus de 40 ans. Avec les urgences économiques et sociales de notre époque, elle sonne encore plus juste.
Elle se situe à l’exact opposé des incantations terminologiques et purement administratives censées incarner la valeur environnementale de nos projets : la comptabilité des quantités de matériaux, en ratio au m² couramment observés de préférence, c’est plus facile à comprendre.
Non, refusons : il faut faire de la science, et beaucoup de science.
Que les ingénieurs calculent
Les ingénieurs ne sont pas des comptables. Ils doivent concevoir, chercher, modéliser, calculer, optimiser, se tromper, et recommencer ainsi pendant des mois jusqu’à la mise en chantier. Presque poétique.
Et si les ingénieurs se mettent sérieusement à la conception des ouvrages, à la modélisation fine de leur comportement, à l’évaluation attentionnée des actions de la gravité, du vent, de la température, aux occurrences et approches probabilistes, aux lois de comportements des sols, aux essais matériaux … normalement ça marche très bien. A tous les niveaux : économie de matière, diminution de l’empreinte environnementale, conception d’ouvrages plus compacts et donc de plus grande durée de vie. Moins coûteux aussi ! La poésie de la matière est accessible.
Attention, ce n’est pas une coquetterie mais un « devoir impérieux » comme le disait Eugène Freyssinet à son époque de pénurie d’entre-deux-guerres.
Les quantités de matériaux et leur bonne organisation géométrique incarnent le principal levier d’optimisation économique et environnemental.
Cela paraît bête, mais les poissons nagent et les ingénieurs calculent.
Normalement.
Qu’on conçoive des ouvrages comme on cuisine
Ce n’est pas un dogme de fanatique, mais une nécessité urgente.
Pas de recettes ni de plats pré-cuisinés. Une cuisine in situ, des bons produits, frais, de saison. Et utiliser quand on le peut des ressources et des savoir-faire à proximité. L’ingénieur et l’architecte doivent être constamment aux fourneaux pour cela.
Donc exit l’ingénierie de catalogue ?
Les généralistes de l’ingénierie
Pour tenter de bien cuisiner, peut-être aussi que les architectes et les décideurs devraient faire évoluer leur lien avec les « majors » de l’ingénierie généraliste. Celles aux noms, modifiables tous les dix ans, de divinités gréco-égyptiennes ou de boites de médicaments.
A l’opposé du spectre économique, les PME d’ingénierie spécialistes (structures, fluides, environnement, façade, voire spécialiste par chaque type de matériaux) sont pourtant équitablement réparties sur le territoire, avec des équipes stables, et donc davantage porteuses d’une mémoire technique toujours plus proche des savoir-faire constructifs des entreprises, manufacturiers et ressources locales.
Architectes et maîtres d’ouvrage : ce recours systématique aux généralistes de l’ingénierie, au détriment des spécialistes, sur tous les projets, petits ou gros, phagocyte et affaiblit à la fois le tissu économique mais aussi le récit constructif. A vous aussi de faire évoluer cette habitude.
Innerver les territoires
Peut-être pourrait-on imaginer un jour inverser la polarité avec Paris, Paris… : plus d’infrastructures en province et dans les territoires d’outremer… plus de transports, d’équipements culturels, sportifs, éducatifs… et même plus de commissariats dans les quartiers demandent les 500 frères en Guyane !
Bref, inverser les flux budgétaires Paris / Province, et financiers des projets vitaux, qui à leur tour créeront plus d’emplois qualifiés équitablement répartis sur le territoire, tout en faisant baisser la pression artérielle parisienne.
Bon, on en est loin, mais l’inertie de notre économie et du climat rend cette inversion encore plus urgente.
Résolution cosmétique : on arrête la peinture sur les structures ?
A terme, les peintures sur les structures extérieures, notamment dans les milieux agressifs, finissent toutes dans l’air, dans la mer ou dans les sols et les nappes phréatiques.
Cette pollution est évitable. Aujourd’hui, l’ingénieur bâtisseur a d’autres moyens à disposition pour protéger durablement les ouvrages qu’il conçoit : la matière, son ADN, le procédé, la morphologie… Surtout en France, s’il prête attention aux recherches et innovations réalisées dans nos universités, centres de recherches mais aussi nos entreprises. Pendant ce temps-là, on continue à construire et à peindre les structures et les façades. Darwin, mais à l’envers.
A l’envers
En parlant d’à l’envers, on allait oublier. Qu’on ne nous fasse pas le coup de la toiture plate mais quand même portée par des voûtes de plein cintre. C’est comique sur papier mais devant la cathédrale d’Angers cela ferait très mal…
Ou qu’on arrête de démolir à tout va, de partout, sans envisager les potentiels de transformation des ouvrages. La réversibilité des structures et des façades existantes est possible, si on se met aux fourneaux.
Bonne année
Romain Ricciotti
Ingénieur civil des Ponts et Chaussées