Les Chroniques de sable paraissent aujourd’hui pour la première fois puis chaque quatrième mardi du mois, aussi longtemps qu’il vous plaira… Par Tina Bloch, créatrice du projet Archisable.
Chroniques de sable est le récit d’un petit projet nommé Archisable, né sur une plage normande et présenté pour la première fois en 2016 dans un ancien garage reconverti en galerie éphémère, en format A2… Tandis que, depuis décembre 2022 et pour quatre ans, cinq œuvres en version monumentale – sept mètres par neuf – habillent le mythique hall du Terminal 1 de Roissy, celui de Paul Andreu.
Cette chronique est née du fil de mes souvenirs, de l’actualité et de mes rencontres, ce n’est pas celle d’une réussite mais d’une histoire en marche. Une histoire d’architectes évidemment – Archisable… Ils étaient 15 architectes en 2016, ils sont 130 à ce jour, des femmes (pas assez mais pas ma faute, pas la peine de m’attaquer sur la parité) et des hommes.
Une histoire d’architecture pour et par des architectes. Donc une histoire d’humanité. Ce n’est pas vous qui me direz le contraire …
Du moins vous qui portez ces valeurs et à qui je m’adresse, ici, et là-bas sur le sable.
Archisable qu’est-ce que c’est ? Un laboratoire en plein air, une performance, de l’architecture éphémère, oui, tout ça. Du Land Art ? Non ! même si souvent ça y ressemble, non absolument pas, et je vais vous dire pourquoi. Non par la dimension, par le propos et par le temps.
Le temps de construction imparti n’est pas le temps humain mais celui universel de la marée montante, quatre à cinq heures au plus. Au premier coup de pelle s’engage une course de vitesse avec les flux, le vent qui active le processus, les mouvements de lune qui régissent les marées, la pluie qui altère le durcissement du sable…
Au bout de ce temps durant lequel l’architecte confronte sa technique, sa créativité et sa réactivité aux impondérables et aux imprévus, l’œuvre est diluée. Archisable ne marque rien, ne modifie rien, ne laisse rien. La trace n’est pas imposée au paysage mais gravée dans le souvenir et pérennisée par l’image. Chaque fois, la page, sitôt écrite, est remise en blanc.
Le sujet c’est Laboratoire. Le seul vrai sujet.
L’un de mes souvenirs préférés (il y en a beaucoup) est celui de Patrice Doat, l’homme de CRA-Terre : il est venu trois fois. La première fois avec des vases de chimie, pour recueillir des échantillons de sable et faire ses expériences de densité et de durcissement par l’eau. La seconde fois avec sa brouette, ses cordes, ses pelles et ses râteaux pour faire. Et la troisième fois lors de notre exposition à Caen dans le bâtiment de Rem Koolhaas, avec sa petite mallette de magicien chimiste, pour montrer, expliquer, transmettre. Immense Patrice Doat, d’une simplicité et d’une bonté à l’égal de son savoir.
Dans le premier livre Archisable son texte s’appelle : Juste un petit grain… Cet homme est juste… magnifique.
Comment se déroule le projet ? Sur une plage de sable fin et entre deux marées, un ou deux architectes sont invités à venir s’exprimer sur le sable, en sable et sans autre liant que l’eau de la mer. Il leur est demandé une œuvre-manifeste, qui parle de leur vision, leurs projets ou leur rêve. Vous l’avez compris, la dilution par la marée montante, participe pleinement à l’action poétique.
La mer a le beau rôle. Elle est partie agissante et prenante mais aussi imprévisible, insatiable, sempiternelle et pourtant jamais lassante. Bouleversante au sens propre.
On ne badine pas avec l’amour … ici non plus…
Dramatique, violente, vorace – dans le genre j’ai en stock une image absolument maniériste, effrayante et totalement imprévue, de l’œuvre d’Inessa Hansch – laquelle est connue pour un travail aussi précis et puriste que d’ailleurs toute sa personne… Je n’ai pas pu m’empêcher de le lui faire remarquer, elle a souri…
La mer est aussi une sacrée capricieuse et la table des marées ne dit pas tout !!! trop vite, trop lente … et même pas du tout : c’est arrivé deux fois !
Cent-trente architectes donc, une incroyable réunion inédite, loin d’être finie… pas de concurrence, pas de concours, pas de PLU, très petit ou très grand, le focus brouille les cartes – que du désir et du plaisir, de la liberté… pas de loi sinon une, le temps de la marée. C’est lui le chef. Le temps.
La photographie, en noir et blanc comme il sied aux rêves, rend compte. La photographie aérienne par drone, utilisée depuis la seconde édition grâce à Michel Denancé photographe d’architecture, décante, redessine, donne sa juste place à l’idée. Une fois la fatigue oubliée, le souvenir de l’accomplissement et de l’iode consommée, l’image seule demeure, comme preuve et trace…
Elle ne relate pas le goût du sel, la fatigue et le bonheur imprévu de l’éreintement.
Il ne saurait être question de terminer cette première chronique de sable sans nommer l’acteur récurrent : Dominique Châtelet, architecte. Premièrement parce que depuis vingt ans qu’il partage ma vie, il m’a très exactement nourrie de son regard et que ce que je sais et ce que je sens d’architecture c’est clairement de lui que je le tiens.
Ensuite parce qu’il est aussi le scénographe d’Archisable et le photographe de la troisième édition.
On me demande souvent comment j’ai imaginé ce projet. Bien sûr il y a eu un chemin que je raconterai aussi… Mais celui qui m’a inspirée, qui a rendu la chose possible, c’est lui. Sur la plage, on le repère de loin à la silhouette haute et fine, crinière argentée, chemise blanche dans le vent… Une image en noir et blanc … Ceci explique cela !
L’une de ses premières œuvres de sable montre une falaise fendue en son centre, une faille immense. Cette image m’a hypnotisée. Secrètement je pense que c’est de moi qu’il s’agit…
Tina Bloch