C’est une série de chiffres vraiment épatants que l’on peut découvrir dans le bilan de l’Etude sobrement intitulée «Réenchanter les Champs-Elysées».
Cette étude, réalisée par Philippe Chiambaretta (PCA-Stream) pour le Comité des Champs-Elysées, fut une première fois présentée au public le 10 avril 2019. Pour les étourdis, une nouvelle présentation a eu lieu le 13 février 2020 en lever de rideau, au Pavillon de l’Arsenal, de l’exposition sobrement intitulée Champs-Élysées, histoire & perspectives.
Un lieu – l’Arsenal, bras culturel de l’hôtel de ville – et des dates – à partir du 13 février, en pleine campagne électorale, jusqu’au 10 mai – qui ne doivent bien entendu rien au hasard. Et puis, cela ne fait-il pas toujours plaisir d’apprendre toute une série de prévisions remarquables d’optimisme quand il s’agit de se projeter vers l’avenir, vers 2030 par exemple ? Foin des collapsologues, oyez, oyez !
Ces données précisément chiffrées et destinées à donner le moral sont rangées en cinq chapitres aux titres engageants : Durable, Neutralité carbone, Désirable, Accroissement du confort, Inclusif, chacun d’eux étant divisés en sous-chapitres tous porteurs d’une bonne nouvelle inédite.
Pour la biodiversité par exemple, la surface de strate arbustive des Champs passe ainsi de 32 087m² à 95 141m², soit une hausse de 197%, rien moins. Ils sont communistes les jardiniers de la ville ? Pour la neutralité carbone, pas d’inquiétude puisque le nombre de bâtiments raccordés au réseau de fraîcheur sur le haut de l’avenue passe de 18 à 131, soit une augmentation de 628% tout de même, tandis que la masse de CO² stocké dans les sols organiques fait quant à elle carrément un bond de +1 133 %, la version stakhanoviste de l’énergie renouvelable chez les camarades d’EDF sans doute. Sans oublier évidemment l’augmentation du nombre de bornes wifi (+533%). Que des informations sensationnelles donc, et il y en a 55 comme ça !
Puisqu’il faut bien se restaurer, le nombre de couverts dans les jardins et sur l’avenue basse passera de 440 à 1 672 soit une modeste hausse de 280%. Il y aura d’ailleurs 81 points d’eau potable, contre 10 actuellement (+710% !), ce qui va évidemment ruiner les petits revendeurs d’eau glacée pakistanais pendant les canicules.
Il n’y a en effet pas de place dans cette étude pour le petit commerce, encore qu’elle parvient à prédire la réduction du prix moyen des repas dans les jardins et sur l’avenue basse de 160 à 36,5 € soit -77%. Ce serait bien la première fois de son histoire que baisserait le prix du sandwich à Paris ! Et en prime un tour gratuit de grande roue avec ça ? En tout cas, le casse-croûte bio Made in Paris à 20€ l’abeille, ce doit être bon pour le bilan carbone de l’opération.
L’étude a donc été commandée par ce fameux Comité des Champs-Elysées, soit le Who’s who du business, du luxe, de l’hôtellerie et du cinéma parisiens. Chacun comprend aisément que les membres de ce club de grands propriétaires tous aujourd’hui voisins ne seraient pas malheureux de voir leur avenue bien restaurée et transformée selon leur goût sinon à leur main.
Il s’agit paraît-il de redonner le goût aux Parisiens d’y flâner mais, entre nous, si les visiteurs sont 100% de touristes étrangers, dépensent un panier moyen de x centaines d’euros, et que les Gilets jaunes préfèrent Bastille, le Comité ne va pas venir se plaindre du manque d’attrait pour les Parisiens jamais contents des aménagements proposés par l’étude qu’il a financée ?
Sinon à quoi ça sert pour les mêmes de faire appel entre autres à BIG (Galeries Lafayette au 54) ou Sir Norman Foster (Apple au 114) ou Franklin Azzi (restructuration du 26) pour développer leur Avenue des Marques ? Voilà toute l’ambition pour la «plus belle avenue du monde», une sorte de Plan de campagne du luxe où tout sera justement fait pour les touristes, surtout étrangers.
D’ailleurs, si l’étude de PCA* porte jusqu’en 2030, ce Comité ne serait pas malheureux non plus que les choses accélèrent un peu, que l’avenue soit prête pour les J.O. par exemple, pour ce moment où «les Champs-Élysées deviendront le premier média mondial : lieu de compétitions, de célébrations, d’installation pour les plateaux de télévision du monde entier, ils doivent devenir le démonstrateur de l’excellence française et le symbole d’une ville durable, inclusive et résolument tournée vers l’avenir».**
Pur hasard sans doute, Nike a ouvert fin 2019 au 79, Adidas s’est d’ores et déjà agrandi au 22. Ce sont les Parisiens qui doivent être contents.
Alors, puisque nous en sommes au temps des promesses, si la mairie pouvait mettre du lien dans les relations, sociales et de bonnes compagnies, pour la réalisation de ce rêve partagé par tous… Et puisqu’il est quasiment de service public sinon d’intérêt général, si la ville voulait bien contribuer au budget de ce projet estimé à 150 M€, le Comité n’y verra rien à redire.
Qui fait la ville ? Qui fait les Champs-Elysées ?
Réponse en 2024, en 2030 au plus tard !
Christophe Leray
*Lire notre article Après Réinventer Paris, Réenchanter les Champs-Elysées… Aie !
**Lire notre article Les Champs-Elysées à la recherche de l’effet Bilbao