Depuis le début de l’année 2020, les annonces de concours prestigieux se suivent et se ressemblent. Les « agences internationales de renom » se bousculent aux portillons tandis que quelques rares architectes jouent les Français de service. Grand remplacement ?
Prenons par exemple la reconversion du centre d’échanges Lyon Perrache, pour la Métropole et la Ville de Lyon maîtres d’ouvrage. En janvier 2020, quatre équipes ont été retenues pour le second tour de l’appel à projets. Il s’agit de :
– Apsys + Quartus ; Dietmar Feichtinger Architecte (Autriche/Paris) ; Exndo (Architecte Lyon) ; ALEP Architecte du Patrimoine ; Base Paysagiste (Lyon) ;
– Icade ; Studios architecture (San Francisco/Paris) ; RL&A Associés(Lyon) ; Graphyte Paysagistes (Lyon) ;
– Frey + Citizers + Engie (Aire Nouvelle) ; Shigeru Ban Architecte (Tokyo/Paris) ; Archipat (Lyon) ; Moz paysagistes (Lyon) ;
– Ogic + Cie de Phalsbourg + Poste Immo ; Studio Libeskind (New York) ; Archigroup (Lyon) ; C. Rémond (Lyon) Architecte du Patrimoine ; Atelier Paul Arène Paysagistes (Montreuil-sur-Marne).
Cherchez l’intrus !
Ce n’est pas Dietmar Feichinger, le plus français de ces architectes étrangers.
Vous calez ?
Quelques jours plus tard, autre annonce spectaculaire, à Lyon également. La Région Auvergne-Rhône-Alpes indique en effet dans un communiqué de presse avoir présélectionné pour la rénovation de l’illustre Musée des Tissus « quatre grands cabinets d’architecture ». Il s’agit de : Rudy Ricciotti (France), Snøhetta (Norvège), Aia architectes – Wingardh Arkitekkontor (Suède) et Christ and Gantenbein (Suisse).
Cherchez l’intrus !
Ce n’est pas Gert Wingårdh (Wingårdh Arkitekkontor), inconnu en France, où il n’a jamais construit, et dont la seule mention en français remonte à 2013 lorsque l’agence suédoise fut retenue parmi les trois finalistes pour la construction du nouveau Palais du prix Nobel à Stockholm, concours finalement gagné par… David Chipperfield. David Chipperfield n’était pas disponible ? A moins que l’expérience de l’agence suédoise en Laponie ne soit de toute utilité à Lyon.
Ce n’est pas non plus l’agence baloise Christ & Gantenbein, dont « l’œuvre grandissante » – ce sont eux qui le disent – adresse « différentes échelles et sujets, d’extensions de résidences individuelles à des bâtiments institutionnels ou à des infrastructures et masterplans ». Emanuel Christ et Christoph Gantenbein pensent « l’architecture à partir de l’architecture » et évoquent « une architecture sensuelle et élégante exaltant les qualités inhérentes des matériaux employés ». Bref, rien de révolutionnaire et rien, entre extensions de maisons et masterplans, que ne sache réaliser au moins une bonne centaine d’agences entre Lyon et Bâle. Il est vrai cependant que « The duo’s rising-star firm » a eu les honneurs d’Architectural Digest.
Cela écrit, peut-être que la Région a déjà décidé de retenir Snøhetta ou Ricciotti et, quitte à faire venir des faire-valoir, autant les faire venir de loin, cela permet de ne heurter personne parmi les architectes locaux. En plus, toutes ces agences étrangères sont propres à impressionner l’intelligentsia régionale, voire jusqu’à Paris pourquoi pas, et peuvent donner l’impression d’un concours international tip top alors même que les jeux sont peut-être faits depuis longtemps.
Florence Verney-Carron, vice-présidente de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, déléguée à la Culture et au Patrimoine, a toutes les raisons de s’enthousiasmer de ce projet à 50M€. Le Musée des Tissus à Lyon est en effet un emblème du patrimoine historique, industriel et culturel de la ville et de la région. D’ailleurs, quand l’Empereur du Japon (qui ne l’était pas encore) est venu en France, sa première visite fut pour le musée des tissus. « Ce musée correspond à l’histoire industrielle de la ville, les Canuts, l’humanisme social, les Soyeux… », relève-t-elle à juste titre.
Sauf que l’objectif « d’un musée du XXIe siècle qui va porter l’image de la ville dans le domaine de la création » semble selon elle ne pouvoir être atteint qu’avec une sélection « internationale de grand renom ». « Pour Laurent Wauquiez et l’ensemble des vice-présidents [de la région], il est important d’avoir une signature internationale », dit-elle. Ce qui apparemment semble exclure Ricciotti. Lequel, dans un étonnant retournement de situation, serait devenu le Français de service, car il en faut bien un. En tout cas, à Lyon, en quelques jours, pour de gros projets, Ricciotti seul contre tous !
A noter que la maîtrise d’ouvrage pour le centre multimodal Lyon Perrache a préféré ne pas répondre à nos questions, « pour cause d’élections municipales ». On se demande pourquoi…
Il n’y a pas si longtemps, pour un concours de prestige, la règle, officieuse certes, était de retenir une agence connue, si possible parisienne, puis une ou deux agences locales et une jeune agence – souvenez-vous du jeunisme qui avait cours – qui servaient de faire-valoir. Et il y avait parfois des surprises, l’outsider parvenant à l’emporter. Comment se fait-il qu’en à peine dix ans, pour ces concours rémunérés, même les faire-valoir sont devenus étrangers ?
Encore que, dans le rôle du faire-valoir… Comme en témoignent les équipes du concours de Perrache, pur hasard sans doute, chaque agence « internationale de renom » s’est adjoint une agence lyonnaise locale. Il y a ainsi du travail pour tout le monde et cela évite les grincements de dents. Car, quand même, pour les agences du cru, et à Lyon elles sont quelques-unes dans le Top 50 des agences d’architecture françaises par chiffres d’affaires, si elles ne sont même pas retenues pour concourir à domicile pour la transformation de Perrache et du Musée des tissus, qui font partie de l’âme de leur ville, c’est à désespérer. Même pas une agence lyonnaise de service pour concourir en première division ! Elles sont tout juste bonnes à aller ramasser les ballons ? Bonjour le message au reste de la planète ! A Lyon, il faut y aller pour les bouchons, pas pour y recruter un architecte.
Il faut dire que les Français n’ont pas de chance. Tiens, le 12 février suivant, pour le futur stade de la Meinau, à Strasbourg, cinq agences sont retenues. Compter deux cabinets anglais, KSS Group (extensions des tribunes d’Anfield à Liverpool et à Twickhenham), et Populous, auteur de la nouvelle enceinte de Tottenham à Londres et plus connu en France pour la construction du Groupama Stadium de Lyon, et un cabinet allemand, HPP, ayant signé les stades de Schalke 04, Leverkusen ou Wolfsburg. Deux agences françaises sont nominées : SCAU et 2Portzamparc. Dans la presse locale le premier se voit correctement attribuer la rénovation du stade vélodrome de Marseille, le second se voit attribuer le Parc des Princes à Paris au lieu de La Défense Arena à Nanterre. C’est ballot ! Quand ça veut pas… Ou c’est la preuve que la recherche sans illusion pour ce qui concerne les deux agences françaises n’a pas été trop active. Pour le nouveau stade de la Meinau, réponse fin mai 2020.
Qui plus est, le flot des installations d’agences venues d’ailleurs ne tarit pas. Prenez l’agence Assar Architects, une grosse agence multicartes – hôpitaux, stades, logements, la maîtrise d’œuvre d’exécution du nouveau QG de l’OTAN à Bruxelles (avec SOM, 250 000m² !), etc. – œuvrant depuis toujours en Belgique et au Luxembourg. Le 22 janvier 2020, elle annonce fièrement à son tour* « poursuivre son rayonnement et ouvrir une agence au cœur de Paris ». Esprit pionnier ?
Il faut dire que depuis deux ans, la France se montre accueillante pour Assar Architects. Qu’on en juge… En 2019, l’agence est retenue pour le concours du nouveau bâtiment des Neurosciences de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris, soit 14 700 m², et pour celui de la construction d’un centre pénitentiaire à Troyes-Lavau (Aube), soit 31 000 m². En 2018 déjà, deux concours pour une Structure d’Accompagnement vers la Sortie (SAS) de 180 places à Osny (Val-d’Oise) et une autre à Meaux (Seine-et-Marne), tous deux de 6 800 m². Suffisant apparemment pour se sentir pousser des ailes. Au moins Assar Architects ne vient pas en France en touriste même si ses projets, contextuels sans doute, ont de faux airs de ressemblance.
Apparemment, peu importe le maître d’ouvrage, public ou privé : dès lors qu’il veut se faire mousser, c’est kif-kif bourricot. Tiens, ce mardi 17 mars 2020, était rendu public le nom du lauréat du concours, lancé en mai 2019, pour l’aménagement de 20 000m² sous-dalle à La Défense. « Avec ce projet, Paris La Défense souhaite proposer une expérience urbaine différente et inédite en Île-de-France », promet Marie-Célie Guillaume, la directrice générale de Paris La Défense.
Cinq agences avaient été retenues : les Belges de Baukunst, l’Espagnol Emilio Tuñon, le cabinet batave KAAN aarchitecten, les Parisiens Lacaton & Vassal, ainsi que le Japonais Tezuka architects associé au franco-japonais Ciel rouge création.
Cherchez l’intrus.
Le lauréat ? Baukunst ! Ca marche pour la Belgique en ce moment !
Pour la prise de conscience des maîtres d’ouvrage, cela risque donc de prendre du temps. Se souvenir qu’en janvier 2019 déjà, pour rien moins que l’Esplanade des Invalides à Paris, Dominique Perrault (DPA) a fini par l’emporter face à… Kengo Kuma, Sou Fujimoto et… Snøhetta.
Tu vois Rudy, t’es pas tout seul.
D’ailleurs pour le concours pour la réalisation d’un ouvrage de protection du portail de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers, cinq architectes ont été retenus : Bernard Desmoulin, Philippe Prost, Pierre-Louis Faloci – du lourd ! – et… Rudy Ricciotti. Kengo Kuma est le Japonais de service.
D’évidence, pour le patrimoine français à la Stéphane Bern, les Scandinaves, les Anglo-Saxons, les Asiatiques et les Américains peuvent toujours se rhabiller !
Christophe Leray
*Voir notre article France terre d’accueil