L’appel à projets initié par le Sénat pour sa ‘Conférence de consensus sur le logement’* a reçu près de 160 contributions, certains acteurs n’hésitant pas à en envoyer 4, 5 ou 6 ! Evidemment nombreuses sont celles à demander plus de sous et de moyens : il faut sauver le budget de l’Anah ! Surtout, c’est là l’occasion de retrouver réunies l’ensemble des corporations de la construction, chacune en l’occurrence prêchant pour sa paroisse.
Il y a par exemple les sociétés de conseil si promptes à se porter volontaires pour donner des conseils avec l’espoir que quelqu’un quelque part se souviendra du nom de l’agence en temps voulu. Celles-là vous offrent des phrases du genre : «Le dedans comme le dehors, c’est-à-dire l’intérieur des bâtiments comme les espaces publics d’usage privés du centre-ville, doivent être repensés» ou encore «pour permettre aux rez-de-chaussée de retrouver un usage, il pourrait être proposé d’inciter les initiatives privées à les réinvestir, pour des locaux communs par exemple, ou encore de réfléchir à l’ancrage physique du e-commerce». Voilà le législateur bien avancé.
Il y a encore l’Alliance du commerce qui préconise «des mesures spécifiques et ciblées pour engager la reconquête des centres-villes connaissant actuellement des difficultés et des mesures d’ordre général visant à créer un nouvel équilibre plus favorable aux activités de centre-ville». On ne saurait être plus spécifiquement et généralement précis.
Il y a aussi le Conseil Français des Urbanistes, lesquels affirment comme de juste «que la question du logement ne peut se résumer à une question de construction». On ne leur fait pas dire. Et puis il y a évidemment tous les lobbies avec leurs habits du dimanche.
A lire et parcourir cette littérature hétéroclite, quelques remarques.
La première concerne le ‘coût global’, un concept décliné sous toutes ses formes dans moult contributions. Cela fait par exemple plus de 15 ans que l’UNSFA (Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes) en réclame le calcul. Il est donc normal qu’elle le réclame encore. L’occasion d’apprendre cependant que ‘Le guide relatif à la prise en compte du coût global dans les marchés publics de maîtrise d’œuvre et de travaux’ établi par la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du ministère des Finances, indiquait en mai 2010 que «la conception ne pèse guère que 2% du coût global d’un bâtiment contre 10% du coût immédiat». 2%, c’est la valeur du travail de l’équipe de maîtrise d’œuvre. C’est officiel ! Ca ne coûte pas cher un architecte, surtout en regard des responsabilités qu’il porte !
De fait, note l’UNSFA, «les choix opérés lors de cette phase engagent 10% des coûts de réalisation (investissement) mais 90% du coût global. Il est donc essentiel d’accorder à la conception l’attention qu’elle mérite, tant en termes de délais que de financement. Pourtant depuis 2010, le montant des honoraires chute inexorablement et ne permet plus à l’équipe de maîtrise d’œuvre d’exercer correctement sa fonction et de remplir efficacement sa mission».**
Les organismes certificateurs disent désormais la même chose. «Le coût global doit s’intégrer dans les étapes de conception pour éviter des contre-performances en exploitation. Cette notion n’est pas nouvelle mais l’absence de méthodes et d’outils connus et reconnus par l’ensemble des acteurs ne permet pas sa généralisation», souligne la contribution de L’Association QUALITEL.***
Idem pour la contribution de la maison de l’architecture IDF qui considère «qu’il est indispensable d’inclure, dans l’investissement initial d’une construction de logements, l’exploitation, les assurances et le coût global des immeubles». Sans doute que dans 15 ans, le sujet sera abordé de la même façon, avec les mêmes mots, sans que les mentalités aient à ce sujet bougé d’un iota.
Le coût global n’est d’ailleurs pas une considération du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) qui déplore dans sa contribution la perte de temps pour la réalisation des projets de centres commerciaux. «La France a la particularité d’avoir adopté et conjugué les deux systèmes [nordique et latin] rendant ainsi le temps de réalisation d’un projet deux à trois fois plus long qu’ailleurs en Europe et dans le monde. Ainsi, il faut en moyenne entre 10 à 15 ans pour réaliser un projet en France», se plaint le CNCC.
Sa contribution ad hoc est donc une liste argumentée de 20 propositions pour réduire ces délais. «Dans une hypothèse maximisée, l’ensemble de ces propositions permet de gagner jusqu’à 7 ans et 10 mois», s’enthousiasme le CNCC. La France est déjà championne du monde en matière de centres commerciaux, Carrefour vient d’annoncer un plan de restructuration drastique dans un secteur en plein doute mais sans doute ne faut-il pas mollir.
La notion de temps de réalisation – les Anglo-Saxons souvent montrés en exemple – est une antienne reprise par presque toutes les contributions mais aucune autre ne propose une réduction si drastique que celle du CNCC. Le CNCC sait-il quelque chose que nous ne savons pas ?**** D’autres sages proposent encore, pour gagner du temps, de «respecter la liste des pièces exhaustive». Il fallait y penser.
L’UNSFA pour sa part propose trois contributions et monte au front avec beaucoup d’aplomb, se présentant ainsi. «L’UNSFA est une fédération de syndicats locaux d’architectes qui se sont réunis il y a près de 50 ans pour créer une Union Nationale, ce qui lui confère une très grande représentativité locale et la première représentation nationale des architectes». Première représentation nationale oui, légalement, par la force des choses. Mais très grande représentativité ? Cela se discute. Encore qu’au Sénat, représentativité locale et représentation nationale sonnent comme des mots doux…
Toujours est-il que parmi ses suggestions, l’UNSFA propose de constituer des établissements publics ou semi-publics autorisés à monter des projets de zone constructible pour «combattre la spéculation» sur les zonages constructibles.
«Aujourd’hui, écrivent ces architectes avertis, le zonage est prédéterminant dans la valeur marchande du foncier. Les zones constructibles sont actuellement définies au préalable. Ce système réduit l’offre de terrains et crée une valeur artificielle immédiate. Nos élus sont soumis à des pressions très fortes (voire des tentations) pour inscrire des propriétés dans les meilleures zones. De tels établissements contrôlés par les différentes administrations, pourraient faire des offres d’achat en conformité avec les SCOT sur une grande étendue de terrains qui n’auraient pas cette valeur artificiellement créée par le zonage. Un prix d’équilibre devrait s’établir entre celui du terrain naturel (de l’ordre de 0.5 € le m²) et celui du terrain constructible (de 200 à 400 €, voire plus le m²). La différence permettrait de financer des études et des équipements bien plus productifs». Voilà qui a le mérite de la précision et qui vient rappeler utilement que le logement, hormis pour les architectes, est souvent d’abord et au final une affaire de gros sous.
D’ailleurs, à l’autre bout de l’échiquier, la Confédération Nationale du Logement (CNL), qui apporte pas moins de six contributions engagées, n’y va pas par quatre chemins dans son Plan Logement : «Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence de la République la casse de notre modèle social s’accélère et s’amplifie par la promotion d’une conception résiduelle du logement social. C’est la précarité à tous les niveaux que nous promet le gouvernement et le secteur du logement n’en est pas exempt».
C’est l’occasion d’apprendre au fil des 17 pages de ce plan logement que «la progression des dépenses de l’Etat pour les dispositifs d’aides fiscales au privé a quadruplé entre 2004 et 2017. Elles atteignent 1,8Md€ selon le ministère de la cohésion des territoires». 1,8Md€, pour se faire une idée, c’est environ 20% du budget 2018 de la Culture en France.
La CNL considère par ailleurs que «les HLM sont bien plus qu’une aide sociale en direction des plus démunis mais un véritable modèle de société qui, en tant que tel, doit être valorisé. Le logement est avant tout un droit et ne devrait donc pas être soumis au marché». Tous en HLM, comme chez les Soviets ?*****
Concernant les PMR, le CNL propose enfin «de revenir à un système 100 % évolutifs». «Un locataire doit pouvoir recevoir dans son logement toute personne en situation de handicap. Il est donc impensable de ne pas prendre en compte les besoins des handicapés. La nécessité de rehausser le niveau de construction en France ne doit pas se faire sur une base discriminatoire». Voilà qui est dit. Si tu n’es pas handicapé, c’est donc ton frère
Autre sujet récurrent, la loi SRU continue de susciter bien des interrogations, la contribution la plus directe étant sans conteste celle du maire de Versailles, François De Mazières, accessoirement ancien président de la Cité de l’Architecture à Paris. Dans un court texte de deux pages, qui se passe de préliminaires, l’édile entend «responsabiliser l’Etat propriétaire».
Après avoir rappelé que l’article L302-5 du CCH précise que «les résidences principales retenues pour l’application du présent article sont celles qui figurent au rôle établi pour la perception de la taxe d’habitation», François de Mazières explique au législateur «les biais induits par ce mode de calcul».
«Les logements de fonction, propriété de l’Etat et de ses établissements publics, ne sont pas considérés comme des logements sociaux et donc pas inclus dans le calcul au niveau du numérateur. Ils sont en revanche considérés comme des résidences principales et font de ce fait partie intégrante du dénominateur. Cette anomalie pénalise les communes accueillant un parc important de logements de fonction de l’Etat notamment celles ayant des grandes casernes militaires ou de gendarmerie». Comme Versailles par exemple ? Au moins cette contribution s’inscrit fièrement dans le cadre d’un grand projet pour la France.
La contribution de Lorient Agglomération pointe aussi un biais induit par la loi SRU avec le constat que pour «des communes de plus de 3 500 habitants avec un faible taux de résidences principales en secteur aggloméré, les prescriptions des lois Grenelle et ALUR reviennent concrètement à concentrer massivement la construction de logements sociaux sur les centre-bourg, ce qui entraîne incompréhension et sentiment d’injustice». Loi SRU ou mixité sociale, il faut choisir !
Enfin, en filigrane de nombre de contributions, l’Etat est vilipendé pour son inaction, voire son incompétence, ce qui nous vaut ce cri du cœur de l’Association des Maires de France. En tête de ses préoccupations dans d’un document de 17 pages, l’AMF appelle ainsi à «stabiliser les règles applicables au logement dont les modifications incessantes ont suscité l’insécurité juridique ainsi que le rallongement et la complexification des procédures nécessaires à la mise en œuvre de projets».
Vœu pieux sans doute puisqu’il revient désormais à l’Etat de trancher parmi les propositions contradictoires de ces contributions en majorité corporatistes. Si l’on se fie à la capacité de l’administration française à compliquer les choses, il n’y aura pas beaucoup de gagnants autres que les gagnants habituels.
Christophe Leray
*Pour rappel, Gérard Larcher, président du Sénat, et Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, ont lancé au Sénat la conférence de consensus sur le logement qui doit permettre d’engager une vraie concertation sur la politique du logement avant la présentation en Conseil des ministres du projet de loi annoncé par le Gouvernement pour le printemps 2018, afin que le Parlement puisse légiférer de la manière la plus précise et sereine possible, dans l’intérêt de la Nation.
**http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/evenement/loi_logement_2017/Contribution_Unsfa.pdf
***http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/evenement/loi_logement_2017/Contribution_qualitel.pdf
****http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/evenement/loi_logement_2017/contribution_CNCC.pdf
*****http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/evenement/loi_logement_2017/contribution_CNL_plan_logement.pdf