Durant la COP 27, à quelques heures de route de Sharm El Sheikh (Egypte), au cœur de la réserve naturelle de mangrove de NABQ, l’architecte français Jean-Pierre Heim et le Dr. Mounir Neamatalla, pionnier de l’environnement en Egypte, présentaient une exposition intitulée « A tale of two oases » (Un conte de deux oasis). Pour l’observateur, un contraste saisissant entre deux visions du monde.
Ce que nous pensions appartenir au passé est devenu notre présent. Bouleversements géopolitiques, changement climatique, mise en place d’une économie circulaire, inflation, épidémie, la liste peut continuer. Nous vivons des cycles rapprochés mais l’homme est un mutant qui évolue et s’adapte à ces changements. Mais vers quoi, où, comment ?
Je reviens de la COP27 (du 6 au 18 novembre 2022). Une analyse me ramène à la réalité : plus de quatre cents avions privés ont paraît-il atterri à Sharm El Sheikh ! La décarbonisation aurait-elle commencé ?
J’avais déjà eu l’occasion de visiter Sharm El Sheikh, petite bourgade transformée en station balnéaire de la mer Rouge. Devenue en quelques mois capitale de la COP27 en plein Sinaï, la « station orbitale » reçoit les représentants de près de 200 nations.
Il y a trois zones dans le périmètre de la COP27
La zone rouge – Si vous n’êtes ni membre d’un gouvernement ni Président d’un pays, il est quasi impossible d‘accéder à cette zone d’échange internationale où tout se passe, se traite et se négocie.
La zone bleue est celle de l’accueil, de l’enregistrement pour ceux qui ne le sont pas déjà, et le lieu où les 200 états ont leurs stands. Échanges, conférences, rencontre avec la presse et B to B… Le cheminement n’est pas organisé et il est difficile de retrouver une conférence ou une réunion. Les organisations non gouvernementales (ONG), la presse, les fonctionnaires des états, les conférenciers se mêlent et s’entremêlent dans une grande messe cacophonique.
Ces rencontres et opportunités, et les nombreux centres d’intérêt du lieu, ne font pas oublier que c’est dans la zone rouge que tout se décide.
La zone verte, paysagée, est la plus accessible, les grands acteurs de l’écologisme lui donnant l’aspect d’une foire. Les plantes du parc, achevé en quelques mois, sèchent déjà au soleil malgré les jets d’eau qui jaillissent des bassins. Après la COP27, ces bassins seront-ils à leur tour asséchés ? Il y a des passages ombragés pour passer d’un bâtiment à l´autre, là l’organisation est parfaite mais la consistance fait défaut, une fête foraine de l’écologie, des magasins d’artisanat et de doctes spécialistes d’un pavillon à l´autre.
L’Égypte est à l’honneur. Dans le Sinaï, terre Biblique de la Mer Rouge, non loin du Monastère Sainte-Catherine, cette Egypte propose de larges stands élégants où l´accent est mis sur la bienveillance… sous l’œil d’un service de sécurité rébarbatif. Si cette COP27 est un succès, à qui profite-t-elle si ce n’est à l’Egypte elle-même (qui a reçu la COP pour une deuxième fois) ?
L’objectif d’une hausse du réchauffement climatique contenue à 1,5° sera-t-il atteint ? Les pays industrialisés, malgré la guerre, vont-ils s’y atteler ? Toute cette énergie déployée, à qui profite-t-elle ?
Les délégations de 200 pays sont convenues de mettre en place un fonds « pertes et dommages » destiné à aider les pays vulnérables à faire face aux catastrophes climatiques. C’est un accord historique. L’accord complet de la COP27, dont le fonds fait partie, a également réaffirmé l’objectif de maintenir le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels …
La nuit, puisque nous sommes proches de l’aéroport, le spectacle fait penser à un film d’animation colorée, les avions se succèdent dans un grand brouhaha au-dessus de la fête de l’écologie ! Ce n’est pas le seul paradoxe. Les LED colorés sont à l’honneur tout au long de l’avenue des hôtels 5 étoiles où les palmiers sont entourés de guirlandes, les abris de bus électrifiés, les lampadaires solaires bordant par centaines les nouvelles routes fraîchement bitumée. Le tout s´illumine « Made in China ».
Une mégalomanie égypto maniaque de bâtiments pastiches longe la route. Les hôtels de la station balnéaire ont triplé leurs prix, ou plus, les taxis également et les réceptions et galas privés essaiment dans les hôtels de luxe.
La sécurité est l’amendement principal : l’armée veille, la police aussi !
Une ambiance militarisée excessive, des ‘Check points’ partout (Charm and Check), des militaires rutilants flambants neufs, pantalons et chemises blanches amidonnées et repassées, galons dorés, en bref des uniformes neufs et des voitures et motos de police neuves. À chaque ‘Check point’, le passage obligé des réflecteurs pour observer le dessous de votre voiture et les contrôles d’identité permanents dès que l´on s’éloigne du périmètre de la COP27.
En direction vers la réserve naturelle de NABQ. Je dois montrer mon passeport au moins trois fois à chaque ‘Check point’, à l’aller et au retour dans une zone pourtant désertique. Heureusement que demeure alors cette gentillesse égyptienne inégalable.
Les architectes dans tout ça ? Je n’en ai pas rencontré beaucoup. Pourtant c’est de nous dont tous ces gens ont besoin. Ce sont nous, les créateurs, les visionnaires, les planificateurs qui devrions être les acteurs principaux de cette fiesta. Les slogans ‘Eco bio smart’ polluent les publicités, ce n’est plus COP 27 mais ECOp27 …
Je n’étais qu’un figurant de cette COP27 au travers d´une exposition réalisée conjointement avec le Dr. Mounir Neamatalla intitulée « A tale of two oases » (Un conte de deux oasis). Dr. Mounir Neamatalla a construit l’écolodge Adrere Amellal à Siwa* dont il a rénové la vieille forteresse avec sa compagnie EQI, il restaure actuellement un écolodge en terre dans la vieille ville d´Al Ula** sur la terre des Nabatéens. Pour ma part, après avoir sillonné les déserts, dessiné des centaines de fois ces habitats en terre et construit des ‘lodges’ dans divers pays, je me concentre sur la conception organique afin de proposer des solutions et des conceptions pour un tourisme durable….
En parfaite continuité avec leur passé, les deux oasis présentées – Siwa et El Alula – sont construites en harmonie avec leur environnement, leur climat et leur géographie. Leur architecture repose exclusivement sur la brique crue, les feuilles et troncs de palmier ainsi que sur le savoir-faire unique de leurs habitants.
Des écologistes entendent modifier le climat avec de nouvelles technologies. En attendant, les architectes peuvent importer moins, utiliser notre biodiversité pour construire avec des matériaux locaux et s´inscrire dans un climat, une géographie et une culture locale. À chaque projet son économie et sa source créative pour parvenir à une construction durable.
Rien n’empêche non plus de lutter frénétiquement contre la pollution esthétique des poteaux électriques, des antennes, des paraboles, de l’affichage anarchique de panneaux publicitaires, des constructions inachevées à cause de lois fiscales, etc. Sans parler des déchets et des dépotoirs…
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Novembre 2022
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* En Egypte, les traversées du désert de Jean-Pierre Heim
** Retour à Al Ula, le calme du désert avant la cohue touristique