Nous vivons une époque formidable. Nous croyions de bonne foi que l’époque des grandes épidémies était chez nous révolue. D’ailleurs seuls les anciens se souviennent des affres de la rougeole et des oreillons. Quand est-ce la dernière fois que vous avez croisé quelqu’un claudiquant sur ses cannes à cause de la poliomyélite ? Or voici soudain que nous vivons, littéralement en direct, l’expansion du Covid-19. On se réveille et c’est la guerre. Quelques remarques.
Un mot sur la capacité d’anticipation de notre gouvernement, plus exactement de tous les gouvernements européens et au-delà. Les premiers cas du Covid-19 sont apparus à Wuhan, en Chine, en décembre 2019. Il y a trois mois ! Et les habitants de Wuhan ne sont toujours pas sortis de l’auberge. Notre gouvernement ne savait donc pas ce qu’il s’y passait durant tout ce temps ? Vraiment, il n’a rien vu venir ? La Chine construit à Wuhan de toute urgence un hôpital en dix jours et cela ne met la puce à l’oreille de personne au gouvernement ?
Oh il fut bien empressé comme d’autres à rapatrier fissa ses ressortissants mais pour le reste, la Chine pouvait bien se débrouiller toute seule. Comme d’ailleurs aujourd’hui les ressortissants français dans d’autres pays, africains notamment. Avez-vous alors entendu un gouvernement européen proposer son aide à la Chine quand ça chauffait dur ? Voilà qui leur apprendra à manger du pangolin, entendait-on ! Où était Médecins sans frontières ? Il aura donc fallu que ça parte en vrille en Italie pour que soudain nos Enarques se disent : tiens, on a un problème ? Pourtant les épidémies, c’est comme les ouragans, on a le temps de les voir venir.
Mais notre gouvernement aveugle ne savait rien. La preuve, le président de la République lui-même doit intervenir deux fois en quatre jours pour nous confiner plus sérieusement d’une fois sur l’autre. « Jeudi soir, je me suis adressé à vous pour évoquer la crise sanitaire que traverse le pays. Jusqu’alors, l’épidémie de Covid-19 était peut-être pour certains d’entre vous une idée lointaine. Elle est devenue une réalité immédiate, pressante », dit-il en préambule.
Donc, jeudi soir, il n’avait aucune idée de ce qu’il allait se passer quatre jours plus tard alors que depuis trois mois ils hurlent leur détresse à Wuhan ? Et c’est nous, pauvres cloches de Français qui avions une vision lointaine ? Pourtant la même décision de confinement total, annoncée lundi soir, aurait été prise quinze jours plus tôt que cela ne changeait absolument rien pour nous sinon d’offrir deux semaines de plus aux hôpitaux pour se préparer. Et puis dès février, donner une semaine ou deux aux gens pour se préparer à l’inévitable n’aurait pas été idiot non plus. Mais le 49.3, les élections, les petits intérêts particuliers, tout ça… En France, question vision lointaine, le gouvernement se pose-là. Ou alors chapeau pour le plan com, une réussite. Et dans deux jours, il revient encore à la télé le président, pour jeter la clef ?
Et les professeurs, élèves et parents de se retrouver de but en blanc le jour 1 du confinement imprévu avec des cours en télé-études inaccessibles. Et les usines et les commerces, etc. de fermer du jour au lendemain, sans préparation aucune. C’est vrai que depuis décembre, nul n’a eu le temps d’anticiper quoi que ce soit. Les vingt millions d’habitants de Shanghai, à des milliers de kilomètres de Wuhan, sont en résidence surveillée depuis fin janvier mais personne au gouvernement français n’en sait rien ni, en conséquence, ne s’alarme ? Il est vrai que la ministre de la Santé était occupée ailleurs à des activités bien importantes.
Le livre d’Albert Camus La peste raconte une épidémie à Oran, une ville soudainement confinée, dirait-on aujourd’hui, dans laquelle les morts se comptent par centaines chaque jour. L’auteur prête ces propos au Docteur Rieux, héros emblématique de l’histoire, à un personnage qui l’interroge : « face à la peste, il n’y a que l’honnêteté ».
Or depuis plusieurs jours notre gouvernement ne nous parle pas « d’honnêteté » mais de « transparence » ce qui n’est pas du tout la même chose. Parce que, de transparence, dans de telles circonstances, n’importe quel gouvernement un peu responsable en fait l’économie.
Chacun comprend bien en effet que la première priorité d’un président en temps de crise est de ne pas créer de panique. Il n’a pas le choix. S’il est donc normal qu’un président se veuille rassurant aussi longtemps que possible en disant que tout va bien, cela cependant ne signifie absolument rien. Ne croient alors sur parole ce que racontent le gouvernement et le président que ceux qui veulent y croire. Le problème est que, en l’occurrence, le président et sa cour, trop occupés d’eux-mêmes, semblent n’avoir jamais, depuis trois mois, pris la mesure de la gravité de la situation. Sauf quand c’était trop tard évidemment.
Du coup, quand ça va mal, président et ministres, en guise d’honnêteté, ne manquent pas de propos lénifiants. « On a vu dans les parcs des grands-parents avec leurs petits-enfants ». C’est tout juste si ce n’est pas de notre faute qu’il nous faille être confinés ; c’est vrai quoi, on n’avait rien compris à la communication gouvernementale. Le premier ministre Edouard Philippe s’insurge d’avoir vu des gens dans les restaurants, les bars et à la boulangerie quand l’Assemblée nationale est elle-même un foyer de contamination. Bonjour les donneurs de leçon ! Et cela ne fait que trois mois, depuis Wuhan, qu’ils n’ont pas d’infos !
Heureusement notre service de renseignement s’est réveillé, a passé un coup de fil à l’ambassade de France en Chine et, du jour au lendemain, d’un coup d’un seul, « nous sommes en guerre », a martelé – cinq ou six fois ! – Emmanuel Macron qui semble d’évidence n’en avoir jamais connue aucune ! N’est pas Churchill qui veut, ni même Mitterrand avec sa subtile « logique de guerre ».
« Face à la peste, il n’y a que l’honnêteté », disait Rieux. Alors parlons de guerre, la vraie, puisque notre président, pour masquer son incurie en matière sanitaire fait assaut de transparence et de discours martiaux. Pendant que les gilets jaunes s’époumonaient et que les services publics, dont l’hôpital, étaient laissés en déshérence, la France, cocorico, est cette année devenue le troisième plus gros marchand d’armes de la planète. Question de priorité.
Ce n’est cependant qu’une question de temps que le Covid-19 ne prenne souche dans les multiples camps de réfugiés et bidonvilles de la planète, des frontières de la Grèce à celles du Venezuela, de Lagos à Mexico et à peu près partout, comme au Yémen, où tombent les bombes, intelligentes ou non, de nos gras industriels. Si les pauvres ont du retard à l’allumage, c’est qu’ils ne prennent pas l’avion et ne sont pas encore rentrés dans l’histoire comme dirait l’autre mais dans leurs camps de fortune, en toute promiscuité, ils ne perdent rien pour attendre. Ceux-là, pour de vrai, n’auront pas à choisir entre la peste et le choléra, ils auront et la guerre et le choléra et aujourd’hui le Covid-19. Bienvenue dans l’histoire. Qui sait, quand la poussière sera retombée, la Chine leur enverra des masques, des docteurs et des hôpitaux construits en dix jours.
En attendant, ici chez nous avec notre guéguerre à nous, si les morts s’accumulent, il va falloir pour la population se faire à l’idée d’enterrements de plus en plus efficients. Nous n’en sommes pas encore à brûler les corps sur des bûchers mais les fours crématoires risquent de bientôt tourner à plein régime avec des cérémonies funéraires de plus en plus stylisées.
Tiens c’est l’occasion de se souvenir de l’origine du mot croque-mort. Non, on ne mordait pas l’orteil du macchabée pour vérifier s’il était bien mort. Depuis longtemps, l’homme avait compris le principe de la virulence et, en cas d’épidémie, les agents publics quels qu’ils fussent à l’époque, par prudence, utilisaient des crochets pour évacuer les cadavres sans avoir à les toucher et se contaminer. Pendant la grande peste de Babylone, ces crochets étaient paraît-il utilisés sur les vivants pour les conduire direct au charnier. Voilà pour les croque-morts. Un bon virus a cette capacité de révéler des pans entiers de la nature humaine.
Ca fait drôle n’est-ce pas de se retrouver dans la peau des Indiens !
Imaginez que les virus et autres bactéries invasives, comme on dit aujourd’hui, ont décimé jusqu’à 90% de la population autochtone des Amériques. Vous croyez vraiment sinon qu’une bande galeuse d’hallucinés fous de Dieu sans aucune hygiène serait parvenue à vaincre des civilisations millénaires peuplées de millions de guerriers aguerris ? Je ne le pense pas et si les Sioux, Comanches et autres Incas et Aztèques avaient été immunisés contre la grippe, l’histoire ne serait pas telle que nous la connaissons aujourd’hui et, qui sait, le monde serait peut-être meilleur. Mais bon, le virus a liquidé leurs civilisations.
Pareil chez nous un peu auparavant. Sans la grande peste qui a décimé entre 30 à 50% de la population européenne au XIIIe siècle, pas de Renaissance. Quand il ne reste plus qu’un seul charpentier pour quatre châtelains, le serf qui a bientôt compris la loi de l’offre et de la demande devient vite artisan à son compte. Sans la peste, la plupart d’entre nous en seraient encore à devoir effectuer des corvées de bois, ou pire, pour le seigneur local. Une bonne peste et le régime féodal avait vécu.
Un virus a donc la capacité de susciter, à lui seul, de profondes transformations de la société humaine mondiale. Encore faudrait-il que ce virus Covid-19 soit vraiment méchant. Il y a en effet peu de risques, semble-t-il, qu’il ne décime la moitié de la population (ce qui mettrait le nombre d’habitants au niveau de celui de la France au sortir de la seconde guerre mondiale). Au contraire, son manque de virulence risque de renforcer l’arbitraire partout dans le monde.
On l’a vu en Chine. Le pouvoir absolu de Xi Jingping a vacillé pendant quelques semaines devant l’ampleur de l’épidémie mais quand le pic est passé, ce qui semble être le cas, il était toujours là, plus puissant et psychorigide que jamais, s’imposant comme un modèle pour nos sociétés démocratiques décadentes. La Chine s’est même permise d’envoyer de l’aide à l’Italie. Notre président parle de guerre et la Chine nous fait la charité. Merci l’anticipation !
Le problème risque de se renouveler partout. Si Donald Trump, un autre psychorigide, passe le cap et que finalement le nombre de morts n’est pas si dramatique, il en ressortira encore plus fort et plus illuminé qu’avant. Idem chez tous les autocrates qui ne comptent pas les morts un par un et verront leur pouvoir renforcé.
De fait, il nous faut garder à l’esprit que 640 000 personnes meurent chaque année en France, c’est-à-dire qu’au moins deux personnes sont décédées depuis que vous avez commencé à lire cet article. Certes 10 000 cas, par exemple, de surmortalité, c’est beaucoup en trois mois mais à peine un dos-d’âne lissé sur un an et un clin d’œil lissé sur dix ans. Et nous sommes encore loin des 10 000 morts puisque, à l’heure où j’écris, les autorités en recensent 148 !
Alors les propos guerriers, à propos d’une crise sanitaire rappelons-le, accompagnés de mesures d’exception – les amendes sans contact ? – de la part de ce gouvernement autoritaire et visionnaire au possible, n’inspirent que moyennement confiance pour l’avenir. Lundi soir, après le président s’exprimait le ministre de l’Intérieur ! Parce qu’il est docteur Christophe Castaner ?
D’autant que, en guise de révolution de nos modes de vie quand la joie sera revenue, je ne m’inquiète guère pour les bourses et leurs traders hors de prix. Vendre au plus haut au début de la crise, racheter au plus bas aux premiers signes de redémarrage est un air connu et le Covid-19 sera l’occasion pour nombre de margoulins de faire de bonnes affaires. La preuve, avez-vous remarqué au travers des propos du président les milliards qui soudain tombent du ciel comme à Gravelotte ? A la guerre comme à la guerre, être payé à rester chez soi, voilà carrément un revenu universel ! C’est un chef de guerre et un père noël notre président formidable. Si ça dure trois mois comme à Wuhan, champagne !
Mais où donc était caché tout ce trésor soudain disponible ? Il aurait pourtant été bien utile pour maintenir un hôpital public d’excellence qui serait aujourd’hui, pour beaucoup moins cher sans doute, tout à fait prêt à encaisser une crise d’une telle ampleur. Au lieu de ça, les personnels hospitaliers déjà exténués par des années d’incurie politique et six mois d’appels à l’aide sont déjà débordés, et nous n’en sommes qu’au début, comme ils disent à Wuhan. Si on vient en France à manquer de respirateurs et que, comme en Italie, il faille faire un tri, je propose que les goinfres qui s’étouffent avec leurs jetons de présence dans les grandes multinationales de la guerre chère à notre président passent en dernier, histoire de leur rappeler les vertus du service public et de la solidarité nationale.
En tout cas, pour tous ceux qui sur leurs réseaux sociaux en avaient oublié la définition, ils sauront désormais que le Covid-19 est un virus, un vrai, pas un machin informatique. Et on n’a peut-être pas encore tout vu. Si le virus de la tomate qui arrive par l’ouest et le virus des oliviers qui arrive par le sud se rencontrent et font des enfants avec le Covid-19, qui sait si plutôt qu’en ’Walking dead’ nous ne serons pas tous bientôt transformés en huile d’olive à la tomate ?
D’ici-là, puisqu’il n’y a pas d’alternative, joyeux confinement à tous.
Christophe Leray
PS : Attention au télétravail, la distance se traduit souvent par un manque de rigueur et crée des malentendus. Cela écrit, nous allons essayer à Chroniques d’architecture de poursuivre sans rupture la chronique de notre temps avec cependant, entre deux publications, une distance de sécurité d’une semaine.