Dans la ville blanche de Ghardaïa (Algérie), dans le dédale des rues, les murs sans fenêtres laissent de temps en temps apparaître un moucharabieh qui donne à voir la mosquée dominant la ville. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
La 403 Peugeot ayant quitté Alger, la ville blanche, en fin d’après-midi. Après huit heures de voyage, j’arrive à Hassi-Messaoud, une arrivée tardive dans un paysage aux cent cheminées de feu, un paysage époustouflant. La nuit est éclairée, le ciel est orange, un champ de feux et de puits de pétrole où l’odeur est aussi euphorisante que dérangeante…
Il n’y a pas d’autres de moyen de transport en cette saison pour atteindre Ghardaïa, que je rejoins le lendemain après une nuit brève dans un campement local.
Arrivé au petit matin, je trouve l’hôtel de Fernand Pouillon fermé pour rénovation. C’est un grand bâtiment, un hôtel de 150 chambres appelé le M’Zab qui offre une vue spectaculaire panoramique sur la pentapole du M’zab, appelée ainsi car cinq villes composent l’oasis.
Cet hôtel fut inauguré en 1972, Ghardaïa fut classée patrimoine universel en 1982, Ghardaïa est une des plus belles villes et oasis d’Algérie. À la porte mythique du désert du Sahara, Bounoura, Beni Isguen, Melika, El Atteuf et Ghardaïa sont les cinq oasis de cette Pentapole.
Marcher dans les oasis est une expérience unique pleine de sérénité et de grandes beautés. Ce ne sont ni Le Corbusier ni Ricardo Bofill ni Frank Lloyd Wright, ni André Ravereau qui vont influencer ma visite. Je suis sur les traces de ces bâtisseurs qui ont laissé l’empreinte de leurs doigts sur les murs en pisé et brins de paille des murailles et des maisons de cette Pentapole.
Cette architecture, qui date du Xe siècle et où les mosquées représentent les seules structures verticales de ces villes, a exercé une grande influence sur l’architecture des grands architectes et explorateurs. Le Corbusier s’est par exemple inspiré des mosquées de El Atteuf et de Sidi-Brahim pour construire la chapelle de Ronchamp en 1955. Les cités Ibadites ont stupéfié l’architecte André Ravereau qui créera « L’atelier du désert », redessinant et effectuant les relevés de cette architecture.
Le climat du désert, ses paysages, ses cultures m’ont toujours fasciné. C’est avec ces trois principes que je construis depuis toujours. Hassan Fathi, qui s’imprègnera également durant toute sa carrière de cette architecture Ibadite, expliquait lors d’une leçon d’architecture que « les palmeraies, les oasis, les déserts, les lacs, les puits, les villages… Le tout est enchanteur avec des proportions humaines, une invitation au voyage et à la découverte, tout est un art ».
Ce tout est minimaliste, d’une grande simplicité et offre le sentiment de vivre dans la nature avec la nature.
Les minarets et les tombeaux s’élancent dans le ciel, avec les rayons du soleil, leurs ombres jouent au sol avec celles des terrasses et des murs. La couleur bleue contraste avec la couleur de la terre et le blanc dans une gamme de coloris harmonisés.
L’aboiement des chiens qui me suivent se mêle à la voix de Muezzins, dans ce paysage de nuit, de temps en temps dans les ruelles, la silhouette d’un drap blanc ou la silhouette d’une femme transportant l’eau du puits.
Ghardaïa fut fondée en XIe siècle sur la rive de l’Oued M’Zab. Les tombeaux des Abadites sont tous dirigés vers La Mecque. Le tombeau et mausolée du Sheikh Sidi Aïssa et de ses disciples sont une pure merveille architecturale, un ensemble presque urbain sans échelle. Infiniment petit ou infiniment grand, le tout est hors d’échelle, les pierres tombales rehaussées de sculptures qui tel des doigts d’une main s’élèvent vers le ciel.
Devant le désert, les pierres blanches de la mosquée de Sidi Brahim éblouissent, une merveille de courbes, de niches dans des arcades étourdissantes. La mosquée de la palmeraie de Beni izquen, avec son cimetière et ses arcades entremêlés, est à la porte du désert.
Dans la ville blanche de Ghardaïa, dans le dédale des rues, les murs sans fenêtres laissent de temps en temps apparaître un moucharabieh qui donne à voir la mosquée dominant la ville.
Sur la place du marché, le matin, villageois et nomades se rassemblent. Troupeaux de moutons, volées de poules, dromadaires chargés de denrées, étals envahissent sous un soleil de plomb cette place bordée d’arcades blanches. Issue du Soudan, une minorité de la population est noire, témoignage d’une immigration ancienne, ces communautés ayant conservé certains droits par exemple jouer de la musique.
Beni Izquen, qui conserve une muraille, magnifique ouvrage de défense qui a permis à la ville d’être préservée ; la ville de Bounoura restaurée et désormais également classée au patrimoine mondial de l’humanité.
J’ai vécu quelques jours hors du temps dans cette oasis loin du tourisme. Dessiner dans ce site merveilleux est l’occasion de marier des ombres, des sons, la lumière à des formes harmonieuses vernaculaires. Visions inoubliables.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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