Mykonos, dans les Cyclades en Grèce, est une source d’inspiration pour les architectes, peintres, photographes et musiciens du monde entier. Y dessiner est un enchantement. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Mon métier d’architecte me fait voyager constamment dans des pays lointains et chaque voyage est une découverte mais quelle joie, quand je fais une escale en Grèce, de retrouver Mykonos. C’est un endroit privilégié sur Terre; ses habitants le savent bien et ont su conserver leur quotidien unique où la blancheur des maisons rime avec vent et soleil.
Son architecture a inspiré nos plus grands artistes et architectes. Le Corbusier l’appelait « La Blanche » et, disait-il : « Nul ne peut prétendre être un architecte à moins d’avoir vu les maisons de Mykonos ». La célèbre église appelée Paraportiani a inspiré Ronchamp. Vénitiens, Turcs et pirates y ont fait relâche. Les visages burinés par le vent, la mer et le soleil des habitants sont encore empreints de légendes et de mythologies.
Mythologie née à quelques encâblures vers l’ouest sur un rocher des Cyclades, l’île de Délos qui donna naissance à Apollon, de Zeus et son amante Leto. Dans l’Antiquité, Délos comptait 25 000 habitants, elle est aujourd’hui déserte, devenu un havre de paix non loin de l’ambiance festive de Mykonos. Centre archéologique inestimable – du IIIe millénaire av. J.-C. jusqu’à l’époque paléochrétiennetandis que 60% du site sont encore à fouiller – Délos est désormais depuis 1990 classée par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité.
Ce lieu sacré dédié au culte d’Apollon fut un grand centre religieux et économique : marchands, banquiers, tout le monde s’y pressait jusqu’à sa destruction, un comptoir de richesses qui s’est peu à peu vidé de ses habitants avant sa destruction lors des guerres mithridatiques (entre -120 et – 63 avant JC).
En parallèles, sur Mykonos, les Cariens et les Phéniciens puis les conquérants Byzantins construisirent des fortifications pour se protéger des Arabes. Finalement passée sous le contrôle des Vénitiens, la ville est détruite par le pirate Barberousse, amiral de Soliman le Magnifique en 1537. L’île devenue territoire ottoman, les résidents de Mykonos et leur cheffe, Manto Mavrogenous, repoussent la flotte turque en 1821, lors de la guerre d’indépendance, et l’île devient grecque.
Depuis Mykonos est considérée comme l’une des plus belles iles des Cyclades et, comme l’histoire est un perpétuel recommencement, les richesses de Delos sont aujourd’hui à Mykonos. En été, la population grossit subitement avec l’arrivée des touristes venus des quatre coins du monde, ce sont plus de mille bateaux de croisière qui jettent l’ancre dans le port et l’aéroport, devenu international, voit atterrir quotidiennement des avions venant de toutes les capitales européennes.
Le petit village de Hora, je l’ai dessiné et redessiné mille fois. Jamais, je n’aurai imaginé de mes photographies de plus de mille visages deviendraient un livre et un projet conceptuel pour le musée de Délos. Je comprends la langue. Je connais Mykonos dans ses moindres détails.
J’ai vu Hora changer mais je le vois encore comme au premier jour car le petit village a connu une restauration exceptionnelle ; il a rajeuni et s’est embelli aux cours des années. Intact, il demeure un don des dieux. J’ai retrouvé quelques dessins réalisés au fils des années qui témoignent de cette évidence : il existe un style de vie propre à Mykonos.
De nuit comme de jour, la lumière met en valeur les formes. Les ombres changent et chaque coin de rue est une nouvelle découverte. Le dédale de ruelles semble un labyrinthe infini. Mon crayon, ma plume et mon encrier ont contourné les lignes parfaites de cette architecture vernaculaire sans architecte. Une architecture née de l’ingéniosité des insulaires pour le sens du détail.
Pas deux escaliers se ressemblent. Des milliers de marches se mêlent et s’entremêlent. Des toits-terrasses brûlent au soleil et récupèrent l’eau des violentes pluies de février et de mars.
Je ne porte jamais le même regard sur Mykonos.
Je trace des lignes, j’apporte les ombres en noir et blanc et je ne me lasse pas de me perdre dans des visions différentes. Que ce soit au printemps avec ses fleurs, en été avec ses buissons séchés qui se mêlent aux rochers, sous le soleil ou la lune, Mykonos reste étrange, mystérieuse et bavarde. Dès mes premiers pas sur le port de Mykonos, dès la sortie du ferry venant d’Athènes, j’ai su que je reviendrai.
Quand le vent est assourdissant sur le port, aussitôt qu’il essaye de s’engouffrer dans les ruelles, c’est le silence qui s’installe. On n’entend plus que les enfants qui jouent et les femmes qui se parlent d’une maison à l’autre. Plus loin un triporteur file dans une ruelle. L’été Mykonos est une cacophonie de bruits tard dans la nuit jusqu’au petit matin quand la musique continue son parcours en quadriphonie.
Comme une carte postale. Telles des marguerites et des chams de coquelicots qui fleurissent au printemps, les maisons se sont construites par centaines autour de Hora. Mais la vision globale est restée la même. Quelques palmiers ponctuent l’espace de cette ville aux centaines de petits jardins cachés.Les moulins n’ont plus leurs voiles mais ils ont été rénovés et pour certains transformés en habitations.Un grand nombre de piscines rafraîchissent des oasis cachées.
Ce respect de l’original est dû à des lois impitoyables de restriction à toute créativité. Paradoxe, il en résulte une créativité et ingéniosité permanentes permettant de créer sans déranger, sans imaginer autre chose que ce qui existe déjà. À Mykonos le talent revient aux Mykoniotes qui n’ont pris aucun risque en décidant de ne surtout rien changer.
Les touristes partis, Mykonos retrouve son âme. L’hiver, sous la pluie, la rue principale, Matogiani, est déserte. Le visage de Mykonos n’a pas changé, il est resté intact.
Le quartier de la petite Venise, tel la proue d’un navire, est battu par les flots ; le port a fait peau neuve mais les bateaux ont disparu. C’est une grande perte pour le village. Les caïques sont l’âme du village et des pêcheurs. Les cafés aussi ont fait peau neuve. Un strict cahier des charges règlemente désormais l’aménagement des terrasses et le mobilier et les tentes blanches au mécanisme parfait viennent ordonnancer la régularité des espaces. Chaque café rassemble une clientèle fidèle et distincte.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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