Le 30 mars 2017, Chroniques d’architecture a envoyé aux principaux candidats à l’élection présidentielle un email commun leur posant trois questions à propos d’architecture et d’urbanisme. Une semaine auparavant le CNOA leur avait fait 21 propositions tandis que l’Académie d’architecture, pas en reste, les interpellait quelques jours plus tard dans une lettre ouverte*. La rédaction a donc pris le parti de s’adresser directement à eux. Récit.
Le projet
La première difficulté fut de trouver l’adresse mail de leur service de presse. En effet, tous ont pris l’habitude de communiquer via leurs réseaux sociaux et la liaison entre les équipes des candidats et la presse, hormis pour les journalistes politiques qui les suivent au jour le jour, s’en trouve compliquée.
Seul Emmanuel Macron propose sur son site un numéro de téléphone et une adresse mail pour son service de presse. Il a fallu chercher mais nous avons fini par trouver également le mail du service de presse de Benoît Hamon. Pour tous les autres, rien, aucun contact direct avec leur service de presse, ce qui en dit long sur l’organisation et les priorités des candidats.
Nous avons donc alors utilisé les adresses mail des fonctions électives des candidats, par exemple celle de l’Assemblée nationale pour plusieurs d’entre eux ou de l’assemblée européenne. En tout état de cause, des adresses mail publiques.
Il était important de disposer de ces adresses afin que tous les candidats soient en copie et découvrent le même mail adressé à tous en même temps, qu’au moins les stagiaires bénévoles de leur service courrier se décident de passer l’info à leur immédiat supérieur.
Un mot sur le choix des six candidats retenus (de gauche à droite) : Mélenchon, Hamon, Macron, Fillon, Dupont-Aignan, Le Pen. Nous avons fait le choix de ne pas interroger les ‘petits’ candidats parce que nous avons considéré, sans leur manquer de respect (il faut d’ailleurs saluer leur courage de défendre ainsi leurs opinions, quelles qu’elles soient) que le pourcentage de voix prévu par les sondages ne leur donnait pas les moyens d’intervenir plus tard sur une quelconque politique urbaine, ni nationalement ni localement.
La question s’est posée pour Nicolas Dupont-Aignan. Entre mi et fin mars, alors que nous préparions cette édition, il flirtait avec les 5%. C’est le niveau auquel ses frais de campagne sont remboursés par les contribuables et un pourcentage du corps électoral suffisant pour lui donner les moyens de peser sur le vainqueur de la présidentielle et plus tard lors des législatives. Nous l’avons donc retenu. Bien nous en a pris, il est le seul semble-t-il à avoir une opinion quant à l’architecture et l’urbanisme et le seul donc à avoir répondu à nos questions. La raison pour laquelle il se voit seul à partager la Une de cette édition.**
Le mail
Le mail, ci-dessous, a donc été envoyé le jeudi 30 mars avec pour objet : De l’architecture
«Madame***, Messieurs,
Je suis rédacteur en chef d’un magazine consacré à l’architecture, Chroniques d’architecture, qui compte 11 000 abonnés. Dans le cadre des programmes des candidats à l’élection présidentielle, je vous soumets trois questions simples traitant d’architecture auxquelles je vous invite à répondre. La date limite pour me renvoyer vos réponses est le 14 avril. Vos propositions ainsi que l’article afférent seront publiés le mardi 18 avril à 20h.
Voici ces trois questions :
1) Quelle urbanité pour le citadin ?
2) Dans quelle mesure l’architecture peut-elle améliorer la vie du citoyen ?
3) Quel architecte vous a marqué et pourquoi ?
PS : Vous pouvez en dire plus et librement sur ce sujet (10 lignes)
Dans l’attente de vos réponses et de vos propositions, veuillez agréer, Madame, Messieurs, l’expression de mes salutations distinguées.»
Chaque phrase a été pesée et les questions sont issues de plusieurs conversations avec des architectes.
La mention du nombre d’abonnés était purement incitative. A l’heure où ils reçoivent le mail, les candidats ne sont pas encore dans la dernière ligne droite, la campagne officielle n’a pas encore commencé, et l’idée est de leur montrer l’intérêt de prendre quelques minutes pour nous répondre.
En effet, les candidats sont alors lancés dans une longue suite de meetings publics. Combien de ces meetings devant 3 000 ou 2 000 militants, voire moins ? A quel coût financier ? La logistique, les transports, la fatigue du candidat… De plus, ces meetings ont généralement lieu devant des supporteurs enflammés qui ont DEJA choisi leur champion. Ces petites-messes ne rapporteront que quelques voix supplémentaires, au mieux, peut-être seulement parce que les gazettes auront retenu telle ou telle phrase polémique. Et encore, combien de meetings passent totalement inaperçus ?
En l’occurrence, 11 000 abonnés représentent la foule de deux ou trois meetings ou un demi-Bercy et c’était là une opportunité offerte aux candidats de s’adresser à un électorat non captif et, selon la qualité des réponses, de peut-être gagner des voix. Et cela, à part quelques minutes de réflexion, sans que cela ne coûte un centime à leur budget de campagne.
Encore que, pour ce qui est de la réflexion, appliquée à un domaine aussi fondamental que l’architecture, qui concerne absolument TOUS les citoyens, sans distinction de sexe, race, religion ou opinion politique, dont l’activité déclarée par les seuls architectes adhérents de la MAF est de 51,6 Md€, (chiffres 2015) soit plus que le budget de la Défense (44,3 milliards en 2017), bref la réflexion aurait déjà dû avoir lieu depuis longtemps et répondre en quelques minutes à trois simples questions d’architecture ne devrait poser aucun problème à l’équipe d’un prétendant à la présidence de la république.
Les questions
Les questions justement. L’idée était de partir d’un plan large – l’urbanisme – avant de resserrer la focale sur l’architecture puis enfin sur l’architecte. Pas question pour autant d’utiliser les mots ‘politique de la ville’ désormais trop connotés (Mitterrand, Borloo).
L’écueil que nous souhaitions éviter est la compilation de mesures (mesurettes ?). En effet, les candidats aux élections tendent à présenter des éléments de programme avec pléthore de propositions, plus de 100 parfois, sans que ne se dégage une vision d’ensemble, sans que ces éléments épars – le logement, la construction, le patrimoine, etc. tous sujets traités chacun séparément et pourtant tous liés les uns aux autres – ne fassent une politique cohérente et réfléchie.
La première question, ouverte, – Quelle urbanité pour le citadin ? – avait donc pour objet de révéler un projet de société.
En effet, chacun sait que désormais la majorité de la population vit en ville. Puisque gouverner c’est prévoir, que la ville se construit lentement, c’était l’opportunité d’aborder nombre de problématiques urbaines qui concernent directement l’avenir du citadin : place de la voiture, mixité, défis climatiques, énergie, les maisons individuelles, les effets de seuil, l’imperméabilisation du pays, le plateau de Saclay pourquoi pas, etc. Un pouvoir fort et directeur ou une approche locale ? Quelle échelle de compétence ? Bref, si la question paraît difficile de premier abord, il y avait la place pour nos prétendants d’exprimer une pensée intelligible à ce sujet. La preuve, Nicolas Dupont-Aignan n’a pas eu de souci.
La seconde question – Dans quelle mesure l’architecture peut-elle améliorer la vie du citoyen ? – était aisée à répondre. Les candidats pouvaient parler de logement, de développement durable, des écoles, de la culture, du confort, des usages, de l’économie, etc. Au pire, un boulevard pour la langue de bois. Une question cadeau.
La dernière question enfin – Quel architecte vous a marqué et pourquoi ? – était destinée à nous éclairer quant à leur vision de l’architecture. Répondre Nouvel ou de Portzamparc, ce n’est pas dire la même chose. C’était surtout, pensions-nous, l’occasion pour les candidats d’évoquer une rencontre. En effet, à part Macron, tous sont des élus de la république et ont eu à ce titre à participer à des jurys ou à des tours de table financiers et à prendre des décisions avec un architecte avant d’inaugurer des bâtiments.
Fillon par exemple aurait pu parler de Jean-Philippe Pargade qui a construit sous sa houlette un hôpital dans son fief. Jean-Luc Mélenchon indique dans sa déclaration de patrimoine posséder un appartement parisien de 110m² dans lequel il a effectué pour 37 000 euros de travaux de rénovation. Avec un architecte ? Sans ? Idem pour sa «maison rurale» de 150 m² acquise en 1996 ? Macron quant à lui déclare avoir «fait des travaux, en particulier dans la maison de [sa] femme, pour 300.000 euros». C’est un budget. Toujours sans architecte ? Hamon, député depuis 2012 et ministre pendant un peu plus de deux ans entre 2012 et 2014, il a bien dû rencontrer un architecte qui l’a marqué durant ces années ? Non ?
Bref, aucun piège dans cette question, juste une curiosité.
Les réponses
Si nous pensions que le sujet était important sinon fondamental et que les candidats se saisiraient de cette opportunité pour faire campagne avec intelligence et à moindre coût auprès d’un lectorat de qualité, nous en sommes pour nos frais. En effet, comme nous l’avons écrit, seul Nicolas Dupont-Aignan a offert une vraie réflexion et l’a renvoyée dans le temps imparti sans se plaindre de quoi que ce soit. Voyons pour les autres.
François Fillon a été le premier à répondre, dès le 8 avril, dans un mail non signé dont l’expéditeur est presse@francoisfillon.org. Le voici in extenso :
«Bonjour monsieur,
Nous vous remercions pour votre demande à laquelle nous ne pourrons malheureusement donner suite. En raison d’un grand nombre de demandes, nous ne saurions vous répondre dans les meilleurs délais.
Cordialement,
Le service de presse de François Fillon»
Réponse étonnante sachant qu’il lui restait encore huit jours. En raison d’un trop grand nombre de demandes ? C’est bien d’une élection présidentielle qu’il s’agit et, pas encore élu, déjà débordé ? Ou c’est juste le stagiaire qui n’a pas fait gaffe ? Bref, le sujet et la cible ne l’intéressent pas.
La seconde réponse est la plus ‘space’. Elle émane d’une Gisèle Chidiac, avec une adresse @gmail. La voici in extenso :
«Bonjour,
Nous vous remercions pour votre intérêt. Nous avons bien pris votre demande en compte et nous reviendrons vers vous prochainement.
En vous souhaitant une bonne journée, cordialement,
Gisele Chidiac»
Super ! Je ne sais même pas au nom de quel candidat(e) elle me répond. J’étais curieux et impatient. Je n’ai pas eu d’autres nouvelles de sa part !
La troisième réponse est venue d’En marche le 13 avril, un jour avant la deadline. Vous vous souvenez, ce service de presse très pro, facile à trouver ? Au moins elle est signée. La voici in extenso :
«Bonjour,
Merci de votre sollicitation, malheureusement en raison d’un agenda surchargé, et d’un grand nombre de demandes, nous ne pourrons pas répondre favorablement à votre proposition.
Merci de votre compréhension,
Cordialement,
Héloïse Thill – service presse d’En Marche !»
En voilà un autre qui est débordé. Un grand nombre de demandes, ça arrive quand on veut devenir président de la république. Donc, parmi elles, comment est effectué le tri ? 11 000 abonnés architectes, c’est ‘peanuts’ ? 11 000 pêcheurs à la ligne, c’était gagné ? Et si nous étions un journal professionnel destiné aux banquiers, Chroniques Bancaires, la question ‘Quel est votre banquier préféré’ aurait-elle reçu une réponse ?
Sinon, nonobstant le mystère autour de Gisèle, rien de Benoit Hamon, Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon. Extrême indifférence ?
Résultat des courses
Que penser de cette expérience sinon que les cinq principaux candidats se soucient comme d’une guigne de l’architecture ? En effet, les services de Fillon et Macron invoquent le manque de temps. C’est curieux, Dupont-Aignan a lui trouvé le temps. Serait-il moins occupé que ses concurrents durant cette campagne ? Même Gisèle a fait un effort !
Surtout, au-delà de la notion de temps, que cela nous dit-il de l’organisation des candidats ? Qu’aucun d’eux, sauf un, n’a dans son équipe quelqu’un capable dans ces conditions de répondre à ces questions ? Pas un architecte, pas un urbaniste, pas un ingénieur à qui le service de presse pouvait confier le bébé ? Personne n’a jamais réfléchi à ces sujets dans l’équipe du candidat au point de ne pouvoir présenter quelques lignes programmatiques à la presse spécialisée? Ou les questions étaient-elles trop compliquées pour des candidats qui préfèrent nous abreuver de réponses simples, voire simplistes, et de lieux communs ? Un projet de société, c’est trop demander ?
Le budget global de la construction et des travaux publics, 193 Md€ en 2016, compte pour 9% du PIB de la France. Aucun donc de ces présidents putatifs ni personne autour d’eux, ni leur service de presse ni personne, ne semble capable de s’adresser aux architectes et parler d’urbanisme et d’architecture ? 193 Md€ et pas le début d’une politique, d’une orientation, énonçable en quelques lignes ? D’ailleurs, l’Académie d’architecture et le CNOA, comme Chroniques d’architecture, attendent encore leurs réponses.
Christophe Leray
* Voir également nos articles Lettre ouverte aux présidentiables, et les autres : Vol I et Lettre ouverte aux présidentiables : Vol. II, le logement publiés dès le 14 février 2017.
**Voir notre article La commune est la seule échelle intelligible
***A noter que la lettre ouverte aux candidats à la Présidence de la République de l’académie d’architecture commence par «Cher Monsieur», seulement. C’est un choix.