Comme aucun des candidats du premier tour n’a parlé d’architecture, il est acquis que les deux derniers en lice n’en parleront pas non plus lors de leurs débats. Pour pallier ce trou noir dans le programme de l’une et de l’un, Chroniques est parvenu à recueillir les idées des finalistes concernant l’architecture, la ville et le logement. Tous deux, en effet, répondent aux questions des lecteurs parvenues à la rédaction via notre réseau 3615 Archi.
(Note de la rédaction : à l’issue du tirage au sort, c’est Emmanuel Macron qui répond en premier.)
Question de Fabien R., architecte dans le Val-de-Marne. Pouvez-vous nous en dire plus sur le concept de « human centric » désormais à la mode dans le bâtiment tertiaire ?
Emmanuel Macron (sérieux) – Tout à fait. L’« human centric » est un concept qui mise sur l’égoïsme et l’ego à fin d’efficacité dans les bureaux. Le premier arrivé le matin peut choisir son emplacement. De ce fait, les employés viennent de plus en plus tôt, ce qui a pour premier bénéfice d’éviter d’engorger les transports en commun. Avantage aux premiers de cordée donc. Surtout, « Human centric » signifie que chaque employé peut travailler dans l’immeuble où qu’il soit, à tout moment de la journée. D’où l’importance que tous les bureaux soient dorénavant connectés à la 5G pour que chaque fait et geste de l’employé soit stocké quelque part. Il s’agit d’encourager l’open innovation au cas où un employé ait envie de parier sur les courses à Longchamp au lieu de bosser corporate… C’est le « Future of collaboration ».
Marine Le Pen (déjà énervée) – « Human centric » c’est encore un nouvel algorithme destiné à contrôler la population. Sinon, « centrique humaine », ça ne veut rien dire, c’est donc bien la preuve d’un complot mené par vous savez qui. Si la France n’y prend garde, après les bureaux, les logements seront tous « Human centric », leurs habitants surveillés et épiés. Bon, la Stasi – la surveillance et l’épiance – c’est déjà dans mon programme mais, au moins, c’est du français que tout le monde comprend.
Question de Julie D., architecte en Touraine. Que faire contre la France Moche ?
EM (autoritaire) – Alors là, je sais. Et je suis bien placé pour le savoir puisque c’est moi qui, ministre de l’Economie, insistais dès 2015 pour libéraliser l’affichage publicitaire dans nos campagnes qui ont bien besoin de ressources. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, la France moche, ce sont ces entrées de ville que je me fais fort de faire disparaître. En effet, pourquoi se déplacer au Lidl ou Leroy Merlin local si tout ce dont vous avez besoin – TOUT – peut vous être livré en quelques minutes ? Il faut être cohérent. Sinon, à qui va servir la 5G ? Bref, les plates-formes logistiques sont mises loin de la ville, au milieu des champs agricoles, où l’hectare ne coûte pas cher et où personne ne les voit. Puis vous replantez des arbres en entrées de ville, devenues des forêts urbaines. Et voilà ! La fin de la France moche.
MLP (encore plus énervée) – Mais qui dit qu’elle est moche la France sinon des petits-bourgeois parisiens ? Vous avez vu le score d’Anne Hidalgo au premier tour ? Pourquoi faire disparaître ces entrées de ville qui sont créatrices d’emplois locaux et non délocalisables ? Au contraire, pour éviter en effet ces nappes de parking et l’usage de la voiture, je propose que les logements sociaux soient construits au-dessus de ces grandes surfaces de bricolage ou d’alimentation. Comme ça, pour faire leurs courses, les pauvres n’auront qu’à descendre et au prix du gasoil aujourd’hui, si ça ce n’est pas écolo….
Question de Francis R., architecte à Nantes. Abolirez-vous la loi ELAN ?
EM (qui lève les yeux au ciel) – Mais vous êtes fou ? J’ai déjà eu tant de mal à la faire passer… Maintenant, mettez-vous à ma place. D’un côté, 30 000 architectes, pas deux qui pensent pareil, et tous ensemble sous la douche ne pèsent rien, ni financièrement ni politiquement. Combien de divisions ? De l’autre côté, des majors du bâtiment qui pèsent une part prépondérante du PIB du pays, qui comptent des millions d’employés et les meilleurs cabinets d’avocats d’affaires de la planète. Combien de temps pensez-vous que mon cœur balance ? Et qui va financer la 5G ? Les architectes peut-être ?
MLP (qui lève les yeux au ciel) – Abolir la loi ELAN ? Vous n’y pensez pas ! Au contraire, il faut rendre à la France son industrie triomphante et produire français. Je propose donc, à l’opposé de l’abolition, la fusion de Bouygues, Vinci et Eiffage avec Dassault afin de créer un groupe français champion du monde – que dis-je, de l’univers – le savoir-faire de Dassault permettant que les immeubles soient construits comme des avions, industriellement, ce nouveau monopole assurant une source de revenus inépuisable pour les investisseurs et une rationalisation de la construction de logements, dont la France manque tant. Vive l’excellence française !
Question de Fabien R., architecte dans le Val-de-Marne. Excusez-moi d’insister mais pouvez-vous nous en dire plus à propos du Customer Experience Center (ou CXC) ?
EM (enthousiaste) – Tout à fait, c’est facile. Le Customer Experience Center, ou CXC, a pour mission de favoriser l’acculturation interne et externe et l’accompagnement au changement illustrant ainsi la vision de « learning company » des ressources humaines du pays. Voyez la 5G dont nous avons déjà parlé. La « learning company », c’est la clef de la start-up nation. Ce n’est pas difficile à comprendre quand même…
MLP (grave) – Voilà bien le problème, mon adversaire confond ‘Customer’, client, et citoyen. Le but de cette lingua incognita, c’est-à-dire une novlangue à laquelle la majorité des Français ne comprend rien, est d’abrutir le citoyen. Que pensez-vous qu’il en pense, de la ‘Customer Expérience’ et de la ‘start-up nation’, le gilet jaune sur son rond-point ? Mais le citoyen est en effet également un consommateur dont la consommation est essentielle au PIB du pays, ce pour quoi j’augmenterai tous les salaires, sauf ceux des émigrés évidemment, afin que les Français puissent continuer à consommer sans trop se poser de questions…
Question d’Emmanuel G., maître d’ouvrage à Paris. Emmanuel Grégoire, adjoint à l’urbanisme de la ville de Paris, a proposé une « esthétique » pour Paris. Quelle est votre esthétique pour la France ?
EM (sûr de lui) – Il n’y a pas d’esthétique, il n’y a pas de beauté puisque cela ne peut pas se mesurer dans les tableaux Excel de la start-up nation. L’esthétique, la beauté, tout ça, sont autant de données subjectives qui nuisent à l’efficacité. Voyez d’ailleurs, pendant mon mandat on n’a jamais aussi peu … oups excusez le lapsus … autant construit de logements ! Et croyez-moi, dans le monde de la finance qui est mon berceau, l’esthétique et la beauté du monde, sa survie même, on s’en tamponne le coquillard.
MLP (offusquée) – Evidemment qu’il y a une esthétique de la France. C’est la France des villages, des clochers – d’ailleurs avec moi, afin que les citoyens se souviennent bien de la culture chrétienne millénaire du pays, les églises à nouveau sonneront les cloches à longueur de journée. Quelle plus belle esthétique que ces petits vieux, à la retraite bien méritée, qui prennent le soleil sur un banc de pierre multiséculaire ? Où ces toits de tuiles mécaniques qui se répètent à l’infini, ce qui permet de soutenir une industrie locale… Si ce n’est pas une esthétique dont chaque Français peut être fier…
Question de Jean-Michel P., architecte à Mazamet. Concernant le logement, dont le pays manque cruellement, quel rôle pour l’Etat ?
EM (sans hésitation) – Aucun, si je puis dire. D’ailleurs les cinq dernières années en témoignent. Le logement est une problématique délicate, qui doit être gérée au plus près du local, la responsabilité revenant aux acteurs de terrain. Non seulement, l’efficacité en sera renforcée mais l’Etat fera de substantielles économies. L’Etat n’a pas à s’immiscer dans le cadre de vie des Français, il faudrait sinon augmenter les impôts des riches, au risque de les « emmerder », ce qui ne se fait pas. Que les maires se débrouillent, ils font déjà ça très bien. Quant à nous, la start-up nation, aidés de la 5G, notre rôle est d’imposer des normes d’excellence salutaires pour le CAC 40, que quiconque ne puisse plus échapper à la rationalité économique, surtout s’il faut sauver la planète.
MLP (sans hésitation) – Dans le domaine du logement, le rôle de l’Etat est central, et la planification, autoritaire si nécessaire, s’impose s’il s’agit de loger tous les Français de souche. C’est avec une telle planification que l’URSS a su reconstruire les pays de l’Est après sa grande victoire contre les nazis. Souvenez-vous de ces quartiers de barres à l’infini… Il faut un sacré planificateur pour dessiner des villes pareilles ! Le Corbusier en avait rêvé, l’URSS l’a fait ! La Chine s’est d’ailleurs inspirée du modèle. Chez nous, dès que je suis élue, le premier plan quinquennal va cependant organiser une destruction radicale de ces cités qui font peur, une fois que tous leurs habitants auront été renvoyés chez eux, humainement cela va de soi. Il sera alors temps pour Dassault & Co. de reconstruire.
Question de Christophe L., journaliste à Boulogne. Pour conclure, que diriez-vous aux architectes qui vous lisent ?
EM – Les architectes français sont les meilleurs au monde. C’est une profession dont le pays peut s’enorgueillir, d’ailleurs j’ai tout fait lors de mon premier mandat pour leur faciliter la vie ; pourquoi s’embêter à construire quand une vie d’artiste s’offre à vous ? Regardez-moi ! Je m’attacherai à ce que leur art soit exposé dans les plus grands musées, je connais déjà quelques sponsors qui seront heureux de soutenir cette initiative et de rendre les architectes à leurs illustrations.
MLP – Je leur dirais que la France est un beau pays, séculaire, formidable avec ses toits de tuiles et, parfois, d’ardoises. Je leur dirai que tout comme leurs ancêtres du noble art, qui par modestie ne laissaient pas leur nom gravé aux pieds des cathédrales, il leur faut bosser dur, quasi gratuitement et disparaître silencieusement. Qui a besoin d’architectes si le conglomérat dont je parlais tout à l’heure construit des bâtiments comme des Rafales ?
Propos recueillis (en toute confidentialité) par Christophe Leray