
La France est endettée. Il faudra bien un jour rembourser et pour cela retrouver une économie vaillante qui dégage suffisamment de profits et qui supportera les prélèvements nécessaires. Rappelons que nous n’avons pas voté de budget à l’équilibre depuis 1974 et les chocs pétroliers. Le déficit public s’est accru régulièrement avec l’espoir que la croissance permettra de rembourser, espoir déçu donc, depuis 50 ans.
Il nous faut une économie saine et, pour cela, que nos choix d’aujourd’hui permettent d’économiser de l’argent demain. Une règle de bonne gestion tout simplement mais qui semble négligée en ces temps de simplification et de préparation du prochain budget. Objectif : évidemment de faire des économies mais il semble bien que certaines décisions fassent à l’inverse creuser la dette.
Chaque jour court de nouvelles rumeurs sur les suppressions d’organismes, ou des abandons de politiques de longue haleine. Il a été question la supprimer l’ADEME et l’Office français de la biodiversité. L’agence de financement les infrastructures de transport semble également visée de même que l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) par exemple. Parmi les dispositifs menacés se trouve par exemple le diagnostic de performance énergétique, bien utile malgré ses imperfections, et les zones de faible émission (ZFE). Un défaut ? Une difficulté ? On supprime ! La règle est simple et permet de faire des économies tout en satisfaisant des forces politiques.
Cette manière de faire illustre un phénomène hélas courant : des ambitions sans les moyens qui devraient les accompagner. Rappelons-le : la pollution atmosphérique coûte très cher, un prix payé en partie par de la souffrance, toujours difficile à traduire en argent, mais aussi une autre partie comptabilisée en argent sonnant et trébuchant, public et privé. Un rapport sénatorial de 2015 donne le chiffre de 106 milliards d’euros par an. Il s’agit pour l’essentiel de dépenses de santé, y compris les arrêts de travail avec leurs indemnisations et les désordres qui en résulte sur les unités de production. Une déclinaison particulière d’un constat plus global, que notre santé dépend à 75 % de facteurs environnementaux.
La mutation du parc automobile et les politiques en matière transports de marchandises et de mobilité, transport en commun, circulations douces, sont des instruments incontournables de cette politique à la fois de santé publique et de finance. Le rapport sénatorial, voté à l’unanimité des 17 membres de la commission, l’exprime clairement : « la pollution n’est pas qu’une aberration sanitaire, c’est aussi une aberration économique ».
Encore faut-il que les instruments de cette politique soient soutenus dans la durée. La transformation de la mobilité s’étale sur plusieurs dizaines d’années. Les ruptures dans ces politiques, les stop-and-go, les incertitudes sur les échéances, sont autant d’obstacles sur le bon déroulement de ces transformations.
L’échec, pour l’instant, de la voiture électrique à 100 € par mois a permis de dénoncer le caractère antisocial des ZFE et de les condamner, alors qu’en bonne économie il aurait fallu accélérer le renouvellement du parc. L’argent investi aurait permis de réaliser rapidement des économies substantielles et un assainissement de nos budgets. L’abandon des ZFE et les retards dans l’électrification du parc automobile sont des économies immédiates qui coûteront cher demain.
C’est comme les études préalables aux grands projets d’infrastructures ou d’aménagement, et les consultations du public qui vont avec. Évidemment, elles coûtent un peu d’argent mais les erreurs de positionnement, ou d’intégration de contraintes diverses, ou encore de dimensionnement, coûtent bien plus cher, surtout quand il faut assumer pendant des dizaines d’années des erreurs de ce type.
Interrogé pour la rédaction d’un livre, Le maire et son écoquartier (Eyrolles, 2013), Alain Juppé, alors maire de Bordeaux, évoquait le temps consacré aux consultations. Il reconnaissait qu’elles retardaient la sortie des projets mais il concluait sur l’amélioration apportée. Une année de plus en amont mais un gain en qualité pour un équipement qui rendra service pendant des dizaines d’années. Les premières dépenses dans l’élaboration d’un projet sont déterminantes et conditionnent largement sa viabilité et des coûts de réalisation et de fonctionnement. C’est aussi là où se joue sa qualité, sa capacité à répondre à des besoins diversifiés, son intensité.
La recherche de la qualité et la prévention des risques peuvent coûter cher dans un raisonnement hors du temps. De mauvaises décisions pourraient en découler, pour passer un cap par exemple ou respecter une « règle d’or » caractérisée par la myopie. Dès que la durée entre dans les calculs, avec les coûts de fonctionnement, la durée de vie des équipements, leur capacité à évoluer et à s’adapter aux besoins, il apparaît que de telles économies coûtent cher. Nos déficits actuels sont en partie le résultat de choix de ce type, des gains tout de suite, mais des pertes demain.
Dominique Bidou
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