Que partagent Pelissanne (13) et Vaulx-en-Velin (69) pour avoir envie d’y crapahuter à quelques heures d’intervalle ? Ce jeudi de février, notre groupe de journalistes suivait les pas de Dominique Coulon, architecte strasbourgeois, au travers de deux réalisations récemment livrées : une médiathèque et un groupe scolaire. Deux équipements publics dans des contextes très différents. Carnet de voyage.
11H20, Pelissanne, Bouches-du-Rhône. Echelle domestique pour néo-ruraux cultivés
Après un peu moins de 3h de train depuis Paris et une heure de bus, nous arrivons à Pelissanne, petite bourgade entre Avignon et Aix-en-Provence.
Nous pénétrons dans le parc Maureau qu’Hélène Mura, adjointe déléguée à la culture de la ville, qualifiera de « très fréquenté ». Nous ne pourrons que la croire car, en cette fin de matinée de février, entre les vacances et la pluie, nous n’aurons pas croisé quand monde, mis à part deux ados visiblement impatients d’entrer dans la nouvelle médiathèque. Si ce n’est pas un signe ! Cela étant, c’est dans ce parc agréable que nous découvrons la médiathèque Jean Bottero.
Au début des années 2000, la ville avait préempté un vieil hôtel particulier datant de 1642 et demeuré en mauvais état. Le parc avait sitôt été ouvert au public que le projet d’une médiathèque murissait doucement du côté des édiles. La maison, témoin d’une vie de ville-fortifiée prospère, devait bien sûr être conservée. Toute l’intelligence de la proposition de Dominique Coulon a consisté à prendre garde à ne pas « engluer » l’existant.
« Nous avons gardé en partie la maison visible à laquelle nous avons ajouté une extension en béton en la raccordant sur une des pointes de la maison. C’est pourquoi l’extension s’implante en décalé de la façade principale, respectant la fois la bâtisse, un vieux platane conservé et le parc », explique Dominique Coulon.
Le projet dialogue entre deux époques et deux dimensions, entre la verticalité de la maison de deux étages et l’horizontalité de l’extension, soulignée par 30 mètres linéaires de baies pour laisser entrer le parc dans la médiathèque, à moins que ce ne soit l’inverse. Les lecteurs du deuxième étage sont quant à eux plongés dans la canopée du platane plusieurs fois centenaire que contourne le bâtiment. « C’est très reposant de regarder un si bel arbre », poursuit l’architecte.
L’agence a choisi de concevoir une architecture en béton de site rappelant la pierre de Rognes, locale. « Le béton de site a été fabriqué à partir d’agrégats locaux », raconte Jean Scherer, architecte ayant suivi le chantier pendant presque deux ans et demi pour l’agence. « C’est ce qui donne la texture et la couleur à la façade de l’extension pour une meilleure insertion dans le contexte urbain en se rapprochant de la pierre de Rognes ». Dès lors, l’extension prolonge la minéralité de la maison ancienne et, plus généralement, de l’impression urbaine émanent des alentours en mentionnant la matérialité et les teintes locales
Son implantation dans le parc, la porosité entre le dedans et le dehors, la réutilisation de l’échelle domestique, des vues dégagées vers l’extérieur, tout converge ici vers une invitation au voyage au travers des milliers d’histoires qui garnissent les étagères. Selon Nathalie Allemand, directrice de la médiathèque, l’échelle et l’implantation du bâtiment sont responsables du succès de fréquentation que rencontre l’équipement depuis son ouverture fin 2018.
« Le côté dedans-dehors plaît. D’autant que le bâtiment donne envie d’y entrer et, surtout, d’y rester. Il casse le côté ‘temple de la culture’. Nous sommes passés de 1 000 à 4 000 inscrits, ce qui est beaucoup. Les habitants de Pelissanne, dont quelques néo-ruraux, ont des habitudes culturelles qui les poussent sans doute vers les médiathèques mais nous remarquons que d’autres usages se développent, notamment le coworking », souligne-t-elle.
16h45, Vaulx-en-Velin, Rhône. Echelle carcérale, des barreaux autour du ciel
Dans le cadre d’un plan de renouvellement urbain, la ville de Vaulx-en-Velin a décidé d’associer à ce groupe scolaire important des programmes utiles pour le quartier comme une crèche, une salle de danse, une salle de sport, une petite bibliothèque et un restaurant. C’est ainsi que depuis la rentrée 2019 cohabitent sur un ancien terrain vague l’éducation nationale et les associations municipales.
« Le bâtiment affirme clairement son statut d’équipement public », indique Dominique Coulon. « Les différentes entrées sont rassemblées vers un parvis commun et, de là, les programmes se déploient dans une imbrication complexe mais fluide ».
Depuis la rue, le constat s’impose : point d’espaces extérieurs ou de végétation pour donner un peu de délicatesse à un quartier minéral, hétéroclite et abîmé. Le contexte est ainsi fait. Vaulx-en-Velin est une ville en proie aux tensions et qui souffre de la dynamique de Lyon et Villeurbanne, ses puissantes voisines de la Métropole.
« Le groupe scolaire a été commandé dans l’urgence », se souvient l’architecte. Les abords du site et la densité du programme témoignent déjà d’une mutualisation financière entravant encore un peu plus la créativité des architectes.
Notre groupe pénètre alors dans le bâtiment. Ou plutôt, il passe une première grille, carcérale si elle n’était pas bleue, pour se retrouver dans un espace de béton, ni grand, ni petit, ni tout à fait extérieur, pas encore intérieur, une sorte de parvis sans appropriation possible et dont le seul but est d’offrir suffisamment de recul par rapport à l’espace public.
Serait-ce une réinterprétation du parvis de l’école, là où les parents attendent leurs rejetons en discutant gaiement ? A Vaulx-en-Velin, rien de bucolique. La grille et le parvis ne sont que des réponses normatives à des peurs difficiles à canaliser. Pour éviter tout risque d’attentat, les enfants ne doivent pas être visibles de l’extérieur. Alors on les parque dans des prisons ? Bonjour tristesse…
Comme pour rappeler les symboles sociaux sous-jacents de cet équipement posé sur un ancien terrain vague, François Hollande, alors Président de la République, et Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, avaient même fait le déplacement pour la pose de la première pierre.
Au rez-de-chaussée, la crèche, la salle de sport et son tatami et l’école maternelle. Les intérieurs sont généreux, la lumière pénétrante malgré toute l’agitation qui doit régner ici en journée. Au second étage, les salles de classe de l’école élémentaire enjambent en un pont porté par une poutre de 60 mètres, dont 40 en porte-à-faux, le niveau inférieur. La cour est ainsi placée à l’étage, à l’abri des regards et de l’agitation de la cité.
Se pose ici, au regard des contraintes posées à l’architecte, une nouvelle fois la question du rôle d’une ville dans laquelle les enfants se trouvent un peu plus reclus et bunkérisés, au nom d’un éventuel principe de précaution zélé quand ailleurs, l’ouverture sur la ville, la mixité, la porosité sont brandis comme autant d’étendards architecturaux face à la misère sociale et au cloisonnement des communautés.
Surtout que, ironie du sort, les espaces de sports et le tatami ne sont en réalité qu’à quelques centimètres du trottoir, par vitre interposée dans le coin opposé du bâtiment. « Oui, mais là ce n’est plus chez nous », intercepte la directrice de l’école, qui assiste à la visite. Les enfants auraient-ils besoin d’être davantage protégés à l’école que lors de leurs activités extrascolaires ?
L’imbrication des divers programmes ménage de nombreuses cours et patios qui irriguent de lumière naturelle le bâtiment, adoucissant la densité sans l’annuler complètement. Pour rendre l’architecture plus « belle » et agréable, Dominique Coulon choisit d’utiliser un camaïeu de bleus vifs. « Il y avait ici peu d’éléments d’accroche, peu de repères. Il s’agissait de concevoir un cocon en rappelant ce qui était beau. Or ce qui est beau ici, c’est le ciel. Le bleu s’est ainsi simplement imposé à nous ».
Contre toute attente, le bâtiment entre en dialogue avec l’horizon et le bleu du ciel. Les multiples programmes imbriqués dans une complexité apaisée se complètent harmonieusement.
« Les variations sont liées à la lumière et aux orientations multiples du soleil. La couleur vient altérer les surfaces blanches qui finissent aussi par se colorer. Ces variations chromatiques et lumineuses se modifient au fil de la journée et des orientations du soleil. Ces blancs ne sont donc jamais vraiment blancs et les multiples reflets donnent aux espaces la sensation d’une architecture en mouvement », conclut l’architecte.
A Pelissanne, bourgade tranquille baignée de soleil, la population sage et néo-rurale est doublement récompensée. L’équipement est ouvert, les usagers voient le vrai ciel tandis que les petits Vaudais, dans un contexte de tensions tant urbaines que sociales, ne devront se contenter que d’un beau mais faux ciel bleu dans la densité du béton de la métropole.
Le TGV roule sur tous les rails à la même vitesse tandis que l’humanisme des programmistes semble être arrivé au point mort.
21h04, Paris, Gare de Lyon. Fin du voyage.
Alice Delaleu