Alban Lécuyer a une façon bien à lui de déconstruire – littéralement en l’occurrence – les discours pompeux autour de l’architecture, de l’immobilier et, ici, du patrimoine. Et si les grands ensembles étaient la clef d’un futur vivre ensemble, le vieux monde, déjà précaire, mis à mort sans regret ? Une chronique-photos qui a du souffle.
« L’habitat du pauvre est volatil, l’habitat du riche demeure ». Marc Perrone, 93 la belle rebelle (2010)
La sédimentation de la ville s’opère par couches successives. Un modèle prolifère sur les décombres du précédent, on démolit, on reconstruit. L’image est connue : l’implosion en public des grands ensembles périurbains. On vient voir, en voisin ou en curieux, le dynamitage d’un immeuble comme on assiste au spectacle de la mise à mort.
Se retrouvent l’espace symbolique des arènes (le périmètre de sécurité), la figure du matador (l’entreprise de démolition, l’artificier), l’attente de l’estocade (le compte à rebours), la carcasse de la bête vaincue (les tonnes de gravats). À la fin, généralement, le public applaudit.
La poussière de béton retourne à la poussière et c’est toute l’existence de ces architectures collectives, uniformes, qui apparaît dérisoire et dénuée d’empreinte historique.
La série Downtown Corrida propose de transposer un patrimoine persistant, transmissible, dans l’environnement anachronique des chantiers de démolition.
Rendus génériques par le simple jeu des perspectives ou de la répétition en série, les hôtels particuliers et les façades en tuffeau du XVIIIe siècle deviennent à leur tour précaires, instables, et leur écroulement fait écho à la vulnérabilité de l’habitat périphérique, produit d’un après-guerre en reconstruction et d’une fin de siècle en pleine crise du logement.
En arrière-plan se dessinent les contours d’une cité empruntée aux peintures métaphysiques de Giorgio de Chirico, un espace morcelé où le champ de vision heurte sans cesse les limites d’une parcelle, d’un terrain, d’un chantier.
Les paysages se referment progressivement pour devenir des intérieurs, des périmètres sans issue où l’on devine la métamorphose d’une ville enceinte, à la fois close et en instance de mutation. La corrida minérale qui se joue dans le décor d’une topographie fictive devient alors tour à tour ironique, théâtrale ou surréaliste.
Alban Lécuyer
Lire /découvrir : Ici prochainement, Sarajevo, par Alban Lécuyer Editions Intervalles
(Re)découvrir les Chroniques d’Alban Lécuyer
Pour découvrir plus avant le travail d’Alban Lécuyer