Il faut entrer dans la cour du Lycée Franklin Roosevelt de Reims pour découvrir l’ingéniosité et la dimension du travail de l’architecte Rémois Jean-Michel Jacquet. En effet, rien n’est visible de la rue. Et encore, même dans la cour, une grande partie du parti architectural, tant en neuf qu’en réhab, est quasi invisible. Mais où sont les 6.000m² construits ?
Pour décrire son intervention au sein du lycée Franklin-Roosevelt de Reims– avec 2.200 élèves, le plus grand de toute la Champagne – Jean-Michel Jacquet parle «d’une opération à la petite cuillère». Pas celle qu’il a fallu utiliser pour procéder aux fouilles archéologiques durant les travaux mais celle qui lui a permis d’insérer trois bâtiments neufs dans la cour du lycée, plus un quatrième dans une autre cour «reconquise». Même un chausse-pied était encore trop grand.
Il est vrai que le site n’était pas banal. Etablissement historique – le Général Eisenhower y avait installé son quartier général en septembre 1944, avant d’y signer l’armistice le 7 mai 1945 – ce lycée affirme aujourd’hui une vocation scientifique et technologique, de la seconde aux classes préparatoires. Surtout, le lycée est caractérisé par quatre bâtiments en brique rouge, reliés par une coursive en soi caractéristique, implantés autour d’un espace central, vaste cour de 7.700 m² ceinturée, comme il se doit, de marronniers.
Devenu inadapté aux exigences d’un enseignement technologique de pointe et non conforme aux normes de sécurité, le lycée a fait l’objet d’une consultation en maîtrise d’œuvre en 2003 qui a définit un programme de constructions neuves portant sur une médiathèque (ou CDI), un amphithéâtre de 250 places, une salle polyvalente, des laboratoires et une extension de l’administration ainsi qu’une profonde restructuration de l’existant. Problème, dans le cadre d’une architecture existante contraignante et peu adaptable aux nouveaux besoins, il n’y avait, apparemment, aucune disponibilité foncière pour une extension
«La rénovation et l’extension du Lycée Franklin-Roosevelt posait d’emblée la question de l’esprit du lieu, de sa conservation et de son adaptation aux fonctionnalités requises par un établissement d’enseignement moderne,» explique Jean-Michel Jacquet. La cour, seul espace public du lycée, était le seul où pouvait être construits les bâtiments mais l’architecte tenait à préserver le quadrilatère originel et «l’esprit de la cour, un lieu d’échanges et de détente, à la croisée des circulations et des flux, qui fonctionne comme une véritable agora». Il a donc décidé d’en amplifier la fonctionnalité. «J’avais une marge de manœuvre complète,» sourit Jean-Michel Jacquet. «Dans la cour, il manquait des arbres, j’ai implanté les bâtiments dans les vides,» dit-il. Quelques arbres malades supprimés (mais replantés) ont ajouté du vide opportun. Très bien. Mais comment insérer une médiathèque, un amphithéâtre et des laboratoires à hauteur de 6.000 m² de construction neuve sans rupture d’échelle et d’ambiance ?
Réponse de l’architecte : en creusant. «Le décaissement a permis d’inscrire les volumes des bâtiments sans ‘bousiller’ le volume de l’école,» explique-t-il. Le niveau R-1 est devenu le socle de la médiathèque (surmontée de laboratoires) et de l’amphithéâtre, articulé à la salle polyvalente sur une double-hauteur, qui disposent ainsi d’un double accès en rez-de-chaussée ou par la coursive. Le bâtiment de biologie, sur pilotis, a permis de créer un nouveau préau tout en permettant que l’espace de la cour ne soit pas déséquilibré.
De fait, à la découverte de la cour depuis l’entrée du lycée, la première question que peut se poser le visiteur est : mais où sont ces 6.000m² de constructions neuves ? En effet, le patio creusé en contrepoint de la grande cour minérale permet d’escamoter les hauts volumes de l’amphithéâtre et de la médiathèque. «La perception de la grande cour centrale est ainsi préservée, son cadre de brique régnant à l’identique et son dessin enrichi d’une composition insérée avec justesse,» assure Jean-Michel Jacquet. Un quatrième volume neuf accueille des bureaux et locaux de service sur une arrière-cour.
Ce parti pris architectural a eu pour conséquence de créer un autre défi, cette fois logistique et opérationnel : comment mener les travaux en milieu occupé, avec 2.200 élèves sur place, pendant trois années scolaires, sans nuisances trop fortes pour les élèves et les enseignants présents ? «La seule manière de faire pour avoir la paix sociale est de désamorcer à l’avance tous les conflits,» explique en substance Jean-Michel Jacquet. Le temps consacré aux études (2003-2005) a donc été aussi celui d’une vaste concertation puisque chaque phase d’étude a été validée par les enseignants et le personnel, auxquels l’architecte rend grâce : «l’encadrement du lycée a été partie prenante du projet et la présence constante de la proviseur Sylve Gautier nous a permis de ‘tenir les choses’,» dit-il. Les interventions ponctuelles et phasées se sont ainsi étalées de 2005 à 2008.
La région maître d’ouvrage s’est également, selon le maître d’œuvre, montrée «compréhensive» lorsque les surprises se sont accumulées lors du chantier et du creusement de la cour. Des traces de civilisations romaines ont notamment été retrouvées sous l’enceinte de l’établissement, telles que des objets de la vie courante, des restes d’édifices et une voie romaine, preuve d’une occupation du site depuis des siècles…Mais des réseaux «disparaissaient dans la nature» et des blocs de béton et, encore en-dessous de la couche archéologique, un massif de cheminée d’une ancienne briqueterie ont également été découverts. Ouf !
L’arbre des bâtiments neufs cache en fait la forêt de la lourde réhabilitation technique des circulations et des classes (plancher, ventilation, électricité, etc. – «un travail banal mais de fond,» dit l’architecte) qui fait également partie du programme. Dans le quadrilatère du lycée d’origine 12.000 m² ont été réalisés à ce jour. La coursive qui ceinture la cour a fait l’objet d’une restauration scrupuleuse, tout comme les façades de brique dont elle rompt l’austérité. La encore, l’architecte a eu une assez grande marge de manœuvre au sens où il a pu à l’occasion intervenir sur le programme. C’est ainsi qu’il a pu aussi bien révéler l’ancienne voûte de l’entrée et créer un foyer entre l’amphithéâtre et une salle de répétition, voire encore de recréer, littéralement, un escalier intérieur, permettant ainsi d’enlever des super-structures de la cour. La troisième phase de réhabilitation est celle de la partie atelier.
«Les volumes simples et lisibles qui concourent à la (re)composition de la cour centrale font appel à une construction rationnelle, utilisant un nombre restreint de matériaux mis en œuvre de manière appropriée, dans des emplois adaptés à leurs performances respectives,» explique Jean-Michel Jacquet. Les murs porteurs sont des voiles de béton armé, plans et courbes, dont l’expressivité est renforcée par l’effet brut de décoffrage produit par une matrice de type ‘planchettes juxtaposées’. «Les structures horizontales et les points d’appuis ponctuels font appel à une charpente métallique relativement basique, sans complications inutiles, composée de poutres et de poteaux en profilés du commerce pour l’essentiel».
Enfin, pour la petite histoire, sachez que la région Champagne-Ardennes interdit les stores extérieurs. Ce qui explique que les grandes parois vitrées ne sont jamais orientées à l’ouest ou au sud et se doublent d’écrans en tôle d’acier ajourée et laquée en atelier dont le motif s’inspire du feuillage, «afin d’assurer un effet de rideau végétal, en continuité visuelle avec la canopée créée en été par les marronniers».
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 14 janvier 2009