Contrairement à ce que veulent nous faire croire les lobbyistes « néocyclistes », le développement des déplacements à vélo n’est en rien une question écologique mais bien, principalement, une lutte de pouvoir.
L’engouement pour le vélo semble se confirmer un peu partout en France, ce qui ne peut qu’être salué positivement, ne serait-ce que dans un premier temps pour la santé des Français qui n’ont ainsi plus besoin d’aller s’entasser dans des salles de sport pour pratiquer une activité physique.
J’ai déjà écrit à propos des inepties de ces apôtres des mobilités douces dans les rues de la capitale,* force est de constater que les choses ne se sont pas améliorées. En témoigne ce panneau destiné aux cyclistes leur indiquant qu’ils n’ont pas besoin de s’arrêter s’ils tournent à droite, s’ils tournent à gauche ou s’ils vont tout droit. Dit autrement, à quoi sert ce feu, sauf à faire du vélo à reculons ? Je laisse à la sagacité de chacun de trouver une justification crédible à une signalisation pareille.
Compter en effet l’acier nécessaire à la fabrication du poteau, le bloc de béton comme fondation, l’aluminium du panneau, la couche de pétrole pour le décorer, les terres rares de composants électroniques, la consommation électrique des feux et des serveurs pour mettre tout cela en musique… Sans oublier le coût de la main-d’œuvre pour l’installation.
Une anecdote écologique me direz-vous puisque finalement, que la piste cyclable soit ou pas, le sol sera en enrobé comme le trottoir ou la chaussée desquels la piste a été substituée.
Désormais que la plupart des rues des villes ont été préemptées à l’usage unique de cette nouvelle catégorie d’usagers, nos lobbyistes s’en prennent aux campagnes. Ainsi, il y a quelques mois, en Ille-et-Vilaine, a été inaugurée une première piste cyclable à « haut niveau de service ». Quezaco ? Il s’agit d’une piste cyclable sans interaction avec les autres moyens de transport.
Sur le papier pourquoi pas. Il est cependant clair que, dans sa réalisation, l’écologie n’a absolument rien à voir avec la question du développement du vélo… En effet, à quoi ressemble cette piste du troisième type ? À une route à côté de la route ! Quatre mètres de large soit plus de 50 % de la largeur de la voirie qu’elle longe et séparée de quelques centimètres à plusieurs mètres à certains endroits, histoire de créer quelques délaissés supplémentaires corollaires au développement de toute nouvelle trame viaire de type autoroutier.
Comment cette piste cyclable est-elle constituée ? Comme une route pour voiture : une série de sous-couches de grave-ciment recouverte d’une couche d’enrobé… avec bordures et avaloirs pour récupérer les eaux de pluies. Notez que l’enrobé est rouge pour bien marquer son territoire au cycliste ! Cela étant, comme le noir, ce rouge est issu du pétrole mais avec un colorant en plus… Donc en termes d’écologie, il faudra repasser. À l’heure du ZAN, il faudra aussi repasser sur l’artificialisation des sols en rase campagne. Si cela avait été pour une nouvelle route, quelle levée de boucliers cela aurait été !
Du coup, comme il ne faut pas d’intersection avec les autres usagers… allez hop deux ouvrages d’art ! Deux ponts… à vélos ! Structure légère ? Bien sûr que non ! L’élément discriminant n’étant pas le poids mais la portée à franchir, du bon gros béton pour vrai ouvrage d’art résistant au passage des automobiles… et des poids lourds… mais juste pour les cyclistes !
L’une de ces pistes est même contre le pont dévolu au reste de la circulation… Une petite coursive rapportée sur l’ouvrage d’art existant aurait peut-être pu suffire ? Ou en profiter pour reprendre et élargir l’existant qui ne manquera pas de devoir bientôt subir une restauration ?
Et ses instigateurs de regretter tout de même que cette piste ne soit pas éclairée. Il est vrai que la route de campagne qu’elle longe ne l’est pas. Il convient de se battre contre la pollution lumineuse en ville mais une piste cyclable à la campagne devrait être éclairée ? Apparemment, il n’y a pas que la piste qui n’est pas très éclairée !
Cela dit, s’il s’agit d’un itinéraire hyperemprunté par les vélos, un tel projet peut se justifier. Pensez donc : Romagné – Saint-Sauveur-des-Landes, 2 440 habitants d’un côté, 1 551 de l’autre, 3,1 km de distance entre les deux… Voilà qui méritait bien une autoroute à vélos avec deux ponts !
Notez que le pire a été évité… il n’y a pas de feu tricolore pour les traversées de piétons ou de passerelles pour que ceux-ci puissent franchir cette autoroute à vélos en toute sécurité ! Peut-être bientôt des clôtures pour éviter qu’un lapin ou un chevreuil ne vienne entraver la progression ultrarapide de ces néocyclistes !
À l’heure où les architectes doivent justifier du moindre gramme de CO² dépensé dans la construction, justifier du moindre m² imperméabilisé ou à tout le moins artificialisé, que les dépenses publiques font l’objet d’arbitrages stricts avec des équipements scolaires annulés faute de moyens, de tels aménagements interrogent, pour le moins !
Quand de nombreux ouvrages d’arts font l’objet de luttes entre les différentes strates administratives pour savoir qui n’aura pas à en supporter l’entretien, construire ainsi deux ouvrages surdimensionnés pour satisfaire quelques lobbyistes interroge !
Combien de déplacements à vélos seront nécessaires pour équilibrer le bilan carbone d’une telle piste cyclable ? Un surélargissement de la voirie n’était-il pas suffisant ? Une chaussée en calcaire stabilisé plutôt qu’en pétrole ? Pourquoi ces néocyclistes au discours si vertueux récupèrent-ils tous les codes et exigences de « confort » des transports carbonés qu’ils décrient ?
En effet, il y a dans cette démarche de « piste cyclable à haut niveau de service » ni plus ni moins que l’argumentaire utilisé depuis des décennies pour défendre les projets d’autoroutes et de voies rapides qui se sont développés avec les transports motorisés… « Plus rapides et plus sûrs ! ».
Pour piquer les idées propres aux mobilités carbonées, croient-ils si peu dans la soutenabilité de leur proposition pour ne même pas faire l’effort d’inventer un imaginaire pouvant susciter l’adoption en masse des déplacements à vélo à nos concitoyens ? C’est un peu comme les industriels du véganisme qui se battent pied à pied pour pouvoir utiliser les mêmes noms que les charcuterie et boucherie traditionnelles qu’ils dénoncent, faisant fi de la valeur culturelle de ces dénominations ! Leur projet de vie est-il à ce point insipide et sans saveur qu’il faille essayer de leurrer les masses plutôt que d’inventer une nouvelle désirabilité ?
Comme quoi le « néocycliste » n’est autre qu’un « antéautomobiliste » qui ne souhaite qu’une chose : retrouver ses petits privilèges. Sauf qu’une voirie ne sert pas qu’aux automobilistes mais aux motocyclistes, aux transports de marchandises, aux véhicules de secours, même aux cyclistes !
La plupart de nos trames viaires sont issues de tracés historiques qui ont façonné notre territoire, notre culture, elles reliaient les villes entre elles, par le chemin le plus direct ou le plus facilement praticable en fonction de la topographie, des cours d’eau à franchir le plus intelligemment possible, et ce sans distinction de catégorie d’usager. Aujourd’hui foin de tout cela, l’abondance énergétique nous pousse à nous affranchir de toute cette intelligence au profit de postures égotiques qui confinent à l’ineptie ! Chaque groupuscule de pression veut sa petite infrastructure, son petit équipement et les pouvoirs publics paient… Enfin, nous payons tous !
Alors quand l’enrobé, usé par l’air du temps plus que par l’usage, devra faire l’objet d’une réfection, ainsi que les ouvrages d’art… sera-t-il, là aussi, question de s’inspirer des autoroutes en faisant payer les usagers plutôt que la communauté ?
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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