Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, a décerné le vendredi 21 janvier 2022 les labels EcoQuartier aux 17 lauréats 2021. Entre Quezac, Quasquara et Septèmes-les-Vallons, Prunel à Saint-Denis à La Réunion. Une pépite d’empire aux préoccupations pourtant bien éloignées de celle de la Métropole.
Dans la chaleur des salons parisiens, 17 projets de renouvellement urbain se sont vus récompensés au terme de cette 9ème campagne de labellisation de la démarche EcoQuartier. Pour rappel, le label, lancé en décembre 2012, vise à encourager la réalisation par les collectivités territoriales d’opérations exemplaires d’aménagement durable, en accompagnant la vie des projets depuis leur émergence jusqu’à trois ans après la livraison.
Selon le communiqué du ministère de la Transition écologique, plus de 257 000 logements auraient été construits ou rénovés dans les ÉcoQuartiers, dont 52% de logements aidés, montrant la voie pour « un habitat de demain conciliant durabilité, accessibilité et désirabilité ».
De belles promesses donc pour le désormais EcoQuartier Prunel à Saint-Denis. Localisé sur le littoral nord de l’île, entre le centre-ville historique et le quartier très populaire du Chaudron, le secteur Prunel (pour Projet de Rénovation Urbaine de la zone Nord Est Littorale – « AAAtchoum ! ») comprend les quartiers du Bas-Maréchal Leclerc, soit le prolongement de la rue commerçante du centre-ville, des quartiers Vauban, du Butor et de Patate à Durand.
Dans son escarcelle, une arlésienne locale, Espace Océan, un hypothétique morceau de ville du futur sur lequel tous les acteurs locaux y ont déjà laissé des dents. Comprendre un des plus grands terrains vagues de l’île, aux pieds du centre-ville, face à la mer.
Il est vrai que l’endroit n’est pas sans atouts. Situé à quelques dizaines de mètres du littoral et de son front de mer largement ventilé par les alizés, le projet Prunel est déjà piloté par l’aménageur local, la CINOR. Il bénéficie en outre depuis son lancement d’un fort investissement public à hauteur de 138 millions d’euros en provenance de la ville de Saint-Denis, de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (Anru), des bailleurs sociaux et de l’Europe.
Dans un secteur où le manque de logements de qualité est endémique, ce quartier des bas de la ville recèle encore d’incroyables parcelles libres d’emprise. De quoi espérer endiguer un jour la vétusté de bon nombre de logements.
Pourtant, sur l’île Bourbon, les inégalités sociales sont fortes et ces quartiers n’échappent pas à l’insalubrité qui guette les logements, à la dégradation générale des équipements publics et d’une activité économique et commerciale aux abonnés absents. Les raisons en sont probablement multiples : des politiques locales inadaptées, un climat qui fragilise la construction, la paupérisation des populations…
C’est dire si la tâche est lourde de s’attaquer aussi frontalement à ce territoire à la fois si riche (en théorie) et si pauvre (en pratique). Prunel doit à terme apporter un nouveau visage et une nouvelle dynamique dans cet espace où l’habitat individuel est fortement dégradé et les lieux de vie quasiment inexistants. Les objectifs ici seront donc de donner « la priorité à l’humain, sa dignité, la création de lien social et intergénérationnel dans un cadre de vie valorisé », dans, « un habitat agréable, durable et facteur de mixité sociale ».
Le projet Prunel proposera aux habitants « des logements dignes et durables, alliant confort thermique, acoustique, ventilation, sobriété énergétique et énergies renouvelables ». Traduction, le projet Prunel (et l’Etat derrière) respectera à la fois ses citoyens et la réglementation thermique locale répondant au petit nom de RTAADOM. Il fallait au moins un coup de tampon pour s’obliger un peu !
Ce n’est que le début, puisque le communiqué du ministère ajoute, en toute connaissance de l’endroit probablement, que « des espaces publics généreux et ombragés favorables aux mobilités douces et actives, des lieux de rencontre et de vivre-ensemble pour toutes les générations. A pied, à vélo, en fauteuil ou en transports en commun, on accédera aux commerces, à des équipements publics renouvelés, des lieux publics rafraîchis, aux quartiers historiques du centre-ville et à l’océan par les maillages paysagers et écologiques, supports de modes actifs ». Ces technocrates ont-ils vraiment posé un jour une savate sur le macadam bucolique de la plus grande ville des DOM, laquelle est impossible à traverser à vélo sans risquer sa peau à cause de la chaleur (31 degrés – 85% d’humidité) ou de la circulation ?
Quant aux transports en commun, certes, la gare routière n’est pas loin, et le réseau de ville n’est pas si décourageant mais, à l’évocation en sous-marin un énième projet de tram, il est permis de penser que les habitants auront plus de chance de voir de la neige dans l’enclos du volcan qu’un tramway nommé désir à Saint-Denis !
A ce blabla inconséquent, ajoutons des « équipements structurants à usages mixtes, facilement accessibles et attractifs seront créés pour développer les rencontres et les pratiques solidaires et de bien-être ». Le lobby du yoga a encore frappé ! Des créneaux doivent d’ailleurs être réservés à la ville pour des cours collectifs à côté de « l’offre multi-partenarial des commerces ».
Bref, ici où ailleurs, il semblerait que le combat soit le même pour les experts-juges du comité qui ont ainsi récompensé la Ville de Saint-Denis, maître d’ouvrage de Prunel, dépositaire du dossier EcoQuartier comme nouvelle ville écolo-durable-soutenable. Une récompense un peu hors-sol au demeurant puisque bien éloignée des préoccupations des 5 500 habitants concernés par le projet. En matière d’habitat, le logement social, souvent vétuste, est prépondérant dans ces quartiers populaires dans lesquels vivent près de 86% des habitants, dont moins de la moitié a accès à l’emploi.
Le label ÉcoQuartier récompense ainsi la vision, la volonté et l’action de la collectivité locale porteuse du projet. Mais le label permet surtout d’entrer dans le club ÉcoQuartier, un réseau de collectivités et de professionnels engagés pour une transition vers des villes et des territoires durables. Une récompense politicienne plus qu’urbaine apparemment, un échange de politesse en somme …
Alice Delaleu