
Devant la litanie de catastrophes non naturelles partout dans le monde, l’esprit a tendance à s’engourdir. De même avec toutes ces guerres qui n’en finissent pas de dévaster des régions et pays entiers.
Idem face à l’assaut, ici et là-bas, de l’extrême droite sur les valeurs universelles issues de la seconde guerre mondiale, plus particulièrement en France de la Résistance, qui nous ont apporté en Europe 80 ans de paix froide et fragile. Pourtant, tous les fascismes, tous les autoritarismes, toutes les dictatures (et voici venu le temps des dictatrices) laissent leur pays en ruines quand ils en ont fini. Il est possible en effet de soutenir que la terre est plate pour prendre le pouvoir sur le dos des sots, il est plus difficile ensuite de développer un programme spatial.
Bref, face à la logorrhée des horreurs portée par des médias asociaux, l’esprit a tendance à s’habituer, à n’y prêter plus attention, voire tenter d’y échapper, à s’engourdir en somme. Une proposition risquée tant nous sommes sans doute – et l’humanité avec nous – à l’aube d’une nouvelle ère.
Pour les architectes aussi, attaqué(e)s de toutes parts, il est aisé de s’engourdir, de céder aux pressions, fussent-elles imbéciles, ne serait-ce que pour faire avancer le projet, ne serait-ce juste par ce qu’on en a soupé de l’incompétence d’un service d’urbanisme ou de la malignité des agents de l’État ou d’un élu retors.
Il est alors aisé de se laisser porter par le courant des idées, forcément généreuses, à la mode, qui sont le cache-sexe permettant à l’État, fauché, de préférer confier aux promoteurs et industriels le développement de la ville plutôt que s’en remettre aux hommes et femmes de l’art. Souvenez-vous : il y a six ans maintenant, la Loi ELAN, destinée à « construire mieux, plus vite et moins cher ». Tout le monde voit mieux aujourd’hui la grande réussite de ce dessein présidentiel tout à fait désintéressé : le pays n’a jamais si peu construit. Nous le savons – ce n’est pas un scoop – mais nous restons étourdis, démunis devant l’ampleur du désastre comme défilent les Mickey au ministère du Logement.* La beauté n’est même plus un sujet ! Et nous sommes dans un pays riche qui construit d’utiles ‘data centers’ (centres de données) qui font le bonheur de Big Brother. Alors un pays pauvre…
La morale, dont l’ordre fait son grand retour, les pair(e)s, l’administration, le genre, les normes, les ingénieurs, le Code civil, la loi, les élus, les bureaux d’études exotiques, les impôts, la paperasse, les conseillers de toutes sortes… Face à l’engourdissement et la sclérose déjà imaginés par Alexis de Tocqueville dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, l’urbanisme et l’architecture sont de ces rares pratiques – avec celle des agents forestiers – aujourd’hui capable d’imaginer un avenir à 50 ans de distance, pas forcément radieux, certes, mais une vision autre que celle de se barricader chez soi drapé dans sa vertu blanchâtre. Cependant ces domaines sont les derniers des soucis de l’État. D’ailleurs, quand il y pense, c’est pour inventer le fiasco du Louvre !
Comment résister à l’engourdissement, ne pas rester muet face à la sidération, aux désordres de tous ordres – politiques, économiques, technologiques, sociaux – que nous propose l’avenir ? Peut-être en se fiant à des intelligences non artificielles et, pour les architectes, à la créativité de qui entend résister à toutes les doxas. En effet, ce qui importe au fond est d’opposer à l’imaginaire nourri d’apocalypses de toutes sortes et d’intérêts commerciaux bien compris un autre imaginaire, nourri de toutes les possibilités qu’offre demain. En tout état de cause, considérant l’ampleur et la difficulté de leur tâche, face aux forces inertes, sinon mauvaises, qui les assaillent, il convient aux architectes, demain plus qu’hier, de ne pas céder aux sirènes du découragement. « L’architecture est un sport de combat ». L’assertion de Rudy Ricciotti, qui date de 2013, n’a pas pris une ride.
Quoi qu’il en soit, en hommage à cette année 2025 qui, comme les précédentes, a le mérite d’avoir été, voici donc, en 45 articles, de l’architecture en France quelques faits et gestes contemporains.
Toute la rédaction vous souhaite de bien joyeuses fêtes. Rendez-vous en 2026.
Merci de votre fidélité.
Christophe Leray
Rédacteur en chef
> Retrouvez notre Edition Spéciale l’Année 2025 en 45 articles
*Lire l’édito Rachida 5 sur le départ, quel Mickey 6 pour le ministère de la Culture ?