Une cartographie visuelle des confins du monde à travers une archéologie de l’architecture contemporaine ? Chronique-photos d’Erieta Attali.
Au départ, je suis photographe de paysage et d’architecture, mais je me considère également comme une cartographe et une narratrice de géographies personnelles.
La géographie a été, pendant une grande partie de l’histoire de l’humanité, un genre littéraire : un récit basé sur un pastiche d’observation, de ouï-dire et d’expériences personnelles du conteur. Au cours d’un voyage photographique s’étendant sur trois décennies, à travers une exploration à la fois littérale et picturale, j’ai assemblé une vision de la Périphérie.
Sur les cartes anciennes, ces lieux invisibles représenteraient les « bords (edges) », ou les limites extérieures de toute géographie culturelle donnée, où la présence humaine cède la place à des paysages étranges. C’est l’absence simultanée d’humanité et la présence tenace et surprenante de ses artefacts architecturaux qui définissent le sentiment, autrement éphémère, d’être « aux confins du monde ».
L’expression « les confins du monde » remonte à l’époque où les Grecs archaïques croyaient que le monde connu était entouré par un fleuve mondial, Oceanus, où le royaume humain devenait incertain, un lieu pour les monstres et les divinités. En capturant l’existence de l’architecture dans les « paysages de bordure » en périphérie du monde, je révèle une relation intégrale, souvent négligée, entre les artefacts humains et leurs environnements respectifs.
L’architecture contemporaine se présente souvent comme une pionnière de la présence humaine sur des terres inhospitalières mais, à travers la photographie, je souhaite que la direction temporelle demeure ambiguë : l’humanité pourrait soit avancer dans la nature sauvage, soit se retirer derrière ses ruines, tandis que la nature récupère les structures dans un cycle continu de désintégration et de régénération.
À une époque de sursaturation picturale et d’homogénéité dans le monde de l’édition architecturale, je crois que des approches alternatives dans la communication visuelle de l’architecture sont essentielles afin de maintenir un discours critique qui transgresse la simple image et étudie la relation entre l’espace construit et son environnement culturel et naturel.
Les premières cartes n’étaient pas les représentations graphiques précises que nous connaissons aujourd’hui mais plutôt des diagrammes décrivant les transitions d’un endroit à un autre. En inversant le sens traditionnel de la représentation, c’est-à-dire de la réalité au diagramme, les paysages que je capture se transforment en cartes visuelles de transformations temporelles et spatiales.
À la frontière entre la photographie de paysage et la photographie d’architecture, je fige ces transformations en photographiant l’architecture comme un élément naturel, indissociable de son contexte et faisant partie des cycles saisonniers et circadiens.
Erieta Attali
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